"La papeterie du bonheur" de Sally Page (The Book of Beginnings)

 

La papeterie du bonheur (The Book of Beginnings)
Auteur : Sally Page
Traduit de l’anglais par Maryline Beury
Éditions : ‎ L'Archipel (17 avril 2025)
ISBN : 978-2809851236
440 pages

Quatrième de couverture

Pour surmonter une rupture douloureuse, Liz, 39 ans, accepte de s'occuper pendant un temps de la boutique londonienne de son vieil oncle Wilbur, qui vient d'être hospitalisé. Peu à peu, Liz rajeunit la gamme de la papeterie et découvre qu'elle aime échanger avec les clients qui souvent, pendant qu'ils essaient un stylo-plume ou choisissent un carnet, se laissent aller à des confidences.

Mon avis

Les gens se ressemblent plus qu’on pourrait le croire, et ils trouveront toujours un sujet de conversation commun.

L’oncle de Liz, Wilbur, a un problème de santé. Il est hospitalisé et sa boutique va être fermée. Liz, sa nièce, s’est séparée de James, son compagnon, et elle a quitté son travail. Elle n’a jamais bien su dire non et lorsque sa mère lui parle du magasin de Wilburn, elle accepte d’aller à Londres pour tenir la boutique, le temps qu’il se remette. Ce sera l’occasion pour elle de s’éloigner de ce qui l’a fait souffrir, d’être occupée et qui sait de, peut-être, retrouver le moral.

En commençant ce roman, je m’attendais à une histoire assez « convenue ». J’ai été plus qu’agréablement surprise. Je l’ai lu d’une traite, j’ai beaucoup appris et j’ai envie d’en savoir plus sur certains personnages évoqués et sur les poèmes de Louis MacNeice.

« Le temps était parti, quelque part ailleurs,
Il y avait deux verres et deux chaises,
Deux êtres et un même battement de cœur »

La solitude de Liz ne la dérange pas, elle pense qu’elle va faire le point sur sa vie. Elle s’est éloignée de Lucy, son amie de toujours et se questionne sur leur relation. Elle est tellement blessée qu’elle en devient susceptible et maladroite. Comment agir avec les deux responsables des commerces voisins, que dire, que faire ? Elle ne veut pas parler d’elle, elle préfère en dire le moins possible sur son passé. Dans la papeterie/ quincaillerie, elle fait connaissance avec quelques clients qui se démarquent. Ils sont seuls, comme elles. Tisser des liens ? Elle n’est que de passage …  Finalement, s’ouvrir aux autres apporte un peu de piment dans son quotidien. Et elle côtoie ainsi des gens aux personnalités singulières.

Moi qui n’écris qu’avec des stylos encre, qui choisis de jolis papiers à lettres, qui aime découvrir des individus qui sortent de l’ordinaire (ici dans le cimetière de Highgate), j’ai été enchantée de cette lecture (j’irai visiter les tombes dont parle l’auteur lors d’une prochaine visite londonienne).  La construction du roman, avec l’idée de ce que veut écrire Malcolm, un des protagonistes, est originale. Son projet rapproche Liz, une femme pasteur et lui-même alors qu’au départ, ils n’ont rien en commun, à part d’être plutôt isolés.

Ce récit parle d’amitié, de la difficulté à la garder, du bonheur de la voir évoluer, se construire et rendre plus fort. Le texte est pétillant, empli d’amour et de bonnes idées que l’on peut reprendre. Ce qui se crée sous nos yeux, même si c’est quelques fois improbable, est empreint d’amour (je n’ai pas écrit de bons sentiments mièvres) et ça fait du bien de lire des choses positives.

L’écriture est délicate (merci à la traductrice), pleine de sens. Les propos abordent des sujets d’actualité par l’intermédiaire d’un récit intéressant et réfléchi assorti d’une pointe de fantaisie. Je ne me suis pas ennuyée une seconde car c’est très riche au niveau historique et j’ai le souhait d’en savoir plus sur ceux et celles dont Sally Page parle car ils ont fait évoluer l’Histoire (avec un grand H).


"Un air de famille" d'Alessandro Piperno (Aria di famiglia)

 

Un air de famille (Aria di famiglia)
Auteur : Alessandro Piperno
Traduit de l’italien par Jean-Luc Defromont
Éditions : Liana Levi (10 Avril 2025)
ISBN : 979-1034910786
440 pages

Quatrième de couverture

Cinquante ans, un cap difficile à passer, et particulièrement pour le professeur Sacerdoti, écrivain et universitaire de renom, qui subit, pour avoir cité en cours une phrase tendancieuse de Flaubert, une accusation d’antiféminisme. Sa désinvolture affichée ne fait qu’aggraver son cas. Honni par des influenceuses et des centaines de followers, rayé du monde universitaire, il choisit de se retirer dans un isolement dédaigneux. Célibataire et sans enfant, la solitude ne lui a jamais fait peur. Mais le hasard vient le débusquer car, de façon inattendue, on lui assigne le rôle de tuteur d’un lointain petit cousin désormais orphelin.

Mon avis

Le professeur Sacerdoti a cinquante ans, il est enseignant à l’université et a écrit un livre avec lequel il a connu un certain succès. Il est juif mais ne pratique pas. Célibataire, sa vie est assez linéaire. Suite à un cours sur Flaubert et des propos sortis de leur contexte, il est convoqué par ses responsables. Il est décontracté voire un tantinet hautain face aux reproches qu’on lui fait. Il n’a pas envie de courber l’échine, de se taire. Avec cette attitude, il aggrave son cas et on le suspend de son poste. Il se retrouve chez lui sans emploi. Il s’accommode de la situation. Peut-être va-t-il reprendre l’écriture mais ça semble difficile, d’autant plus qu’il est donné en pâture sur les réseaux sociaux, ce qui n’arrange rien. On suit son quotidien, ses quelques rencontres car il n’a pas une vie sociale bien remplie, les questions qu’il se pose sur sa vie, cette altercation dans le bureau de la faculté et ses conséquences. Tout cela ne le dérange pas outre mesure mais il y pense et essaie d’analyser pour comprendre.

Et puis, il se remet un peu en question avec un premier événement. Une ancienne camarade de lycée, qu’il appréciait, est décédée. Il réalise qu’à son âge, on peut mourir alors que ça lui semblait loin. Cela le renvoie au décès de son père et de sa mère, à sa propre histoire. Les sentiments se bousculent un peu et sur ces entrefaites, un tsunami émotionnel le renverse. On lui demande de récupérer un neveu qui vient de perdre ses parents. C’est une branche de la famille avec qui il n’avait pas de contacts. Récupérer ce gosse, bouleverser son quotidien ? Pour qui ? Pour quoi ? S’encombrer d’un enfant ? Pas pour lui, qui n’en a pas voulu.

Et puis finalement…. La rencontre se fait, les liens se tissent, fragiles. Il est démuni, il ne sait pas faire et en face, ce petit garçon est mal à l’aise lui aussi. Quel avenir pour ces deux-là ? Être tuteur ce n’est pas anodin, c’est accepter de changer ses repères, de sortir de sa routine… Est-ce que ça vaut le coup ? Ce petit est juif pratiquant, comment agir ? Si c’est pour ne pas manger un club sandwich qui vous fait envie, quel gâchis ! L’accompagner ou pas ?

 Avec une écriture (merci au traducteur) de qualité, fine, précise et fluide, l’auteur s’attache aux pas de son personnage. L’universitaire est déstabilisé par ce qu’il ne maîtrise pas : les réactions et les actes des autres, dans sa vie professionnelle ou personnelle. Il n’a pas le choix, il doit faire face mais comment ? Avec quels arguments, quelles idées, pour quels ressentis ? Il n’avait pas prévu tout ça. Son passé a de l’importance, rien n’est neutre. Ce qu’il a vécu a fait de lui l’homme qu’il est et ce qui se passe risque de provoquer d’importants changements. Est-il prêt ? Le souhaite-t-il ?

Ce roman aborde de nombreuses thématiques, celle de la parole dans l’enseignement, des possibilités d’expression libre, la culpabilité, la transmission familiale, le deuil et l’absence, l’interprétation que l’on peut faire d’un acte, d’une parole, d’un dialogue suivant où on se place, comment on observe.

Le ton est quelques fois ironique, détaché, comme si le protagoniste se moquait de lui-même. Il se sait imparfait, maladroit, il n’essaie pas de vivre en héros. Il évolue en découvrant les situations et il réalise que le dialogue et l’échange sont la base de tout.

J’ai beaucoup apprécié cette lecture. Ce récit, profond, délicat, nous rappelle la fragilité mais aussi la beauté de la vie.

"Soignante" de Yann Madé

 

Soignante
Auteur : Yann Madé & Ju Ch'Ay (couleurs)
Éditions : Jarjille (31 Janvier 2025)
ISBN : ‎ 978-2493649300
130 pages

Quatrième de couverture

Être soignante dans le monde d'après la pandémie et ne pas se relever, chuter toujours plus bas sans baisser les bras pour autant. Elle tombe, Chloé, parce que l'hôpital qui était une de ses raisons de vivre, a été sacrifié. Infirmière dans un secteur négligé, la psychiatrie, où le soin passe par l'écoute, dans un monde où personne ne s'écoute plus.

Mon avis

Chloé est infirmière en CMP (Centre Médico Psychologique) un lieu où il faut écouter, accompagner, être « présence ». Et puis le COVID, les soignants qu’on applaudit, les malades chez qui il faut se déplacer, le rythme et le fonctionnement qui changent. Les annonces contradictoires, les masques et le gel insuffisants pour beaucoup de métiers (dont les professions médicales, les aides à domicile) et ce sentiment de solitude face à tout ce qu’il y a à gérer, sans repos.

Parce qu’être confinés, c’est ça. La notion de temps n’existe plus. Les profs bossent même le dimanche, d’ailleurs les élèves les contactent n’importe quand.

Et lorsque vous intervenez auprès de gens fragiles, les voisins vous demandent de garer votre voiture plus loin, des fois que le virus soit collé dessus, de ne pas toucher les poignées, les boutons de l’ascenseur, pourquoi ne pas arrêter de respirer également ? Pestiférés ? Presque … Comment ne pas craquer ? C’est ce qui arrive à Chloé.

Elle vit avec son compagnon, prof, qui lui travaille à distance et leurs deux grands enfants. On suit leur quotidien avec des dessins et des dialogues hyper réalistes. On ne peut que penser à des situations connues, des événements qu’on a vécus ou qu’on nous a racontés. C’est criant de vérité.

L’auteur glisse les interventions du président de la république, de Vincent Lindon à Médiapart, sur le devenir du système de la santé de notre pays. C’est édifiant Quel avenir pour ce domaine, pour les personnes hospitalisées, pour le personnel au bout du rouleau ? Il ne cache rien, il connaît ce monde là.

Yann Madé a réussi un exercice périlleux : avoir le ton juste, sans trop en faire pour nous rappeler ce que nous ne devons pas oublier.

Les croquis sont expressifs, les mots sont pertinents, chaque phrase est ciblée. Cet album est à lire, relire, partager car il ne faut pas mettre les « maux » sous le tapis.


"De mères en fils" d'Adam Haslett (Mothers and Sons)

 

De mères en fils (Mothers and Sons)
Auteur : Adam Haslett
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Etienne Gomez
Éditions : Bourgois (3 avril 2025)
ISBN : 978-2267054194
416 pages

Quatrième de couverture

Le quotidien de Peter, la quarantaine, se résume à son travail d'avocat spécialisé dans la défense des demandeurs d'asile à New York. Plongé dans les récits de ceux qui ont quitté leur pays dans l'espoir de trouver aux États-Unis une forme de réconfort face à la guerre ou à la persécution, il fuit sa propre vie. Vivant seul, se contentant de rencontres sans lendemain, il n'a presque plus de contact avec sa famille et notamment avec sa mère, Ann qui dirige un centre spirituel pour femmes dans le Vermont.

Mon avis

Deux univers, deux vies, peu de liens… Et pourtant, il s’agit d’une mère et de son fils. Pourquoi cette distance ? C’est ce que le lecteur découvrira avec ce roman exceptionnel d’émotions, d’analyse des relations familiales et du poids du passé.

Peter Fisher a une quarantaine d’années. Il est avocat et sa mission est d’aider les demandeurs d’asile. Il le fait, monte les dossiers avec eux, les soutient avec ses moyens, les guide. Il n’a pas un enthousiasme débordant et il s’acquitte de ses tâches d’une façon assez neutre. Ses liens avec ses collègues semblent assez superficiels et sa vie n’est pas très remplie, tout à fait terne. Il y a bien Cliff, un compagnon occasionnel mais tout cela semble bien léger. Dans les chapitres qui le concernent, il parle à la première personne.

En parallèle, on suit Ann, sa mère, elle dirige un centre spirituel où les femmes sont accueillies. Elle a effectué un gros tournant dans sa vie, elle ne vit plus avec le père de Peter. C’est un narrateur extérieur qui présente ce qu’elle fait.

Leur point commun ? Ne pas savoir se dire ce qu’ils éprouvent, être rongés par la culpabilité, les non-dits, les secrets, être habités par une forme de peur, celle de ne pas être dans la norme de la bienséance, celle du qu’en dira-t-on, du regard de l’autre… S’ils arrivaient à communiquer, ils réaliseraient qu’ils sont proches dans leur fonctionnement, leurs ressentis.

Ça pourrait continuer des années sans que rien ne change. Mais Peter reçoit un jeune albanais, Vasel, homosexuel qui craint l’homophobie et ses dérives. Cette rencontre le bouleverse dans ses sens, ses émotions, ses certitudes. Ce qu’il a vécu autrefois lui revient, comme un boomerang, en pleine figure. Il a toujours retenu ses sentiments, sans doute parce qu’on lui a toujours appris à se contenir, à ne rien laisser transparaître.

L’auteur s’attache à montrer combien les secrets pèsent sur le lien mère-fils, comment l’un s’est construit, comment l’autre a continué sa route. Il décortique, avec finesse, ce qui ronge l’esprit, le cœur, le silence qui obscurcit les jours. C’est le portrait de ceux qui ne savent pas, ou plus, se parler, sans doute parce qu’à force de tout garder à l’intérieur, ils sont incapables d’échanger.  

Ce sont deux personnes qui ont perdu le fil et qui vont, peut-être, tardivement, le renouer.  C’est quoi s’aimer dans une famille ? Peter a une sœur, Liz. A-t-elle été élevée comme lui ou les attentes étaient-elles différentes ? En « écrivant » l’histoire de ceux qu’il accompagne, Peter l’avocat, essaie-t-il d’oublier la sienne ? En accompagnant des femmes, Ann essaie-t-elle de remplir sa vie de services pour les autres afin d’oublier ce qu’elle ne fait pas pour son fils ? Finalement, ces deux-là se consacrent aux autres, peut-être pour éviter de penser ?

J’ai beaucoup aimé ce récit. Il est bien écrit (merci au traducteur). Je l’ai trouvé profond, délicat, ciblant ce qui fait l’essentiel des rapports humains, à savoir les obstacles dans les discussions mais également l’importance de l’écoute, du respect de l’autre et de l’acceptation de sa différence, pour mieux l’aimer, mieux l’aider, sans le juger.


"Un aller retour vers l'aventure de Michel François

 

Un aller retour vers l’aventure
Auteur : Michel François
Éditions : Douro (1 septembre 2024)
ISBN : 978-2384063987
230 pages

Quatrième de couverture

Avoir la vingtaine fin des années 60, mener une existence banale et monotone autour du lycée, et trouver une voie pour sortir de ce piège. Voilà bien le récit de quelques années, qui ont permis à l'auteur de voyager et d'apprendre des langues étrangères. Au cœur de ce récit, sa rencontre avec un personnage mystérieux et charismatique qui lui montrera toutes les facettes de la vie. 

Mon avis

Ce récit commence alors que le narrateur est adolescent. Il part en stage BAFA (brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur). S’il réussit, il pourra travailler en colonie de vacances et gagner quelques sous.  En dehors des périodes de congés, il est au lycée. On va le suivre jusqu’à l’âge adulte.

Il est avide d’expériences et n’hésite pas à dire oui pour partir en Angleterre afin d’apprendre la langue tout en travaillant. Parfois il a besoin d’être guidé, accompagné. Alors, lorsqu’il se retrouve quelques fois seul, il est un peu perdu. Mais il a une capacité à rebondir tout à fait impressionnante. Il a du caractère, de la volonté.

Les années passent. Il relève des défis, n’hésite pas à s’opposer ou partir lorsque ça ne lui plaît pas. Sa personnalité s’affirme, il grandit.  Son caractère prend « de la consistance », de timide et timoré il passe à plus sûr de lui et capable de répondre. Il apprend à vivre et à faire face à de nouvelles situations que nous découvrons, en France ou ailleurs.

C’est avec beaucoup de précision que nous sont narrées les « aventures » de Gérard Martin. Il n’y a pas de temps mort, on le suit avec plaisir, en se demandant ce qu’il va choisir, faire pour avancer. Il a suivi des études de compatibilité mais est-ce ce qui lui convient le mieux ?

Le style est fluide, l’écriture de qualité, l’orthographe impeccable, ce sont déjà de sérieux atouts pour cette lecture. Le texte enchaîne les événements, de temps en temps, il y a une pointe d’humour. Les personnes que rencontre l’auteur interviennent dans sa vie et on découvre que certaines décisions ont été liées à ces entrevues. C’est vraiment intéressant, il n’y a pas de temps mort.

J’ai été agréablement surprise par ce livre qui est une belle découverte !

"Le bonheur sur ordonnance" de Barbara Abel

 

Le bonheur sur ordonnance
Auteur : Barbara Abel
Éditions : Récamier (3 Avril 2025)
ISBN : 978-2385771867
384 pages

Quatrième de couverture

Méline est une mère de famille sujette aux sautes d'humeur. Jusque-là, rien d'anormal. Sauf qu'elle explose à la moindre contrariété et tyrannise son entourage. Ses craquages cachent en vérité une maladie orpheline qui s'attaque au gène du bonheur. Sans traitement, ce mal la tuera. Et de traitement, il n'en existe qu'un : recevoir une dose quotidienne de joie. Mais comment fait-on pour être toujours heureux ?

Mon avis

S’il suffisait d’une ordonnance pour être heureux, ça se saurait, non ? Car, on le sait bien, les antis dépresseurs, ce sont « des béquilles », une aide passagère lorsque ça va très mal, mais ça ne soigne pas le fond…

Méline Valliant est mariée à Vincent, ils ont deux enfants, Oscar et Agnès. Elle vient d’apprendre qu’elle souffre d’une maladie orpheline, très rare. Le gêne H, le gêne du bonheur qui régit les émotions, qui équilibre les sensations face à un émoi très fort, est défaillant chez elle. Elle n’a qu’une solution pour ne pas se laisser débroder par ses ressentis : être heureuse en permanence sinon elle va mourir. C’est ce que lui dit le docteur Leroy lors d’un rendez-vous médical. Assommée par cette information, elle décide de ne rien dire à sa famille et de gérer seule.

Pas de stress, une vie tranquille et ça devrait le faire non ? Sauf que ce n’est pas si simple. La pression est permanente, partout. Au boulot où il faut défendre ses projets, supporter les humeurs des uns et des autres. À la maison, où il faut être la mère parfaite, qui fait face, anticipe, accompagne les enfants à l’école…Face à la famille élargie, aux amis qu’il faut écouter sans se plaindre. Etc. Méline s’est oubliée, elle n’existe plus que pour les autres, pour leur bonheur à eux mais le sien ? Il est où ?

Sous de dehors légers, ce livre aborde le poids que la société fait peser, les « il faut, c’est mieux ainsi », il est important de rester dans la norme, sans faire de vagues. Pour Méline, c’est impossible, les contrariétés, l’angoisse, tout cela fait monter en elle d’irrépressibles colères. Elle rentre alors en crise et lâche en hurlant tout ce qu’elle a gardé en elle.  Le problème, c’est que ça la prend sans prévenir (ou si elle le sent, elle n’arrive pas à se contenir), elle est alors sans filtre, grossière (c’est amusant ce qu’elle peut crier….) Tout cela la met dans des situations improbables (dont elle a honte a posteriori) entraînant des dégâts collatéraux. C’est compliqué pour elle mais aussi pour tous ceux qu’elle côtoie. Comme elle n’en parle pas, personne ne la comprend…

Elle cherche comment s’en sortir, trouve quelques idées, qui fonctionnent un temps. Elle doit revoir ses priorités. Son mari prend peur devant ses comportements imprévisibles. Et elle tout lui échappe. Elle est en train de se perdre et de perdre ceux qu’elle aime…

Le trait est forcé, caricatural et c’est volontaire. C’est d’ailleurs ce qui rend ce livre drôle. Mais derrière le sourire, on peut se questionner ? C’est quoi être heureux ? Ai-je le temps de profiter de chaque instant de bonheur ? Quelle image je donne de moi ? Celle d’une personne forte, toujours contente ? Ai-je la possibilité de me montrer plus vulnérable, de me poser, d’être soutenue ?

L’écriture est pétillante, les événements donnent du rythme, permettent à chaque protagoniste de se dévoiler un peu plus. Les passages avec les enfants sont jubilatoires.

Ce récit est plaisant, bien rédigé, bien ficelé. Il nous permet de réfléchir à nos choix, notre attitude, nos désirs profonds, nos envies. Le bonheur ? Il appartient, sans doute, à chacun de nous, de le construire …

"Cargo blues" d'Audrey Sabardeil

 

Cargo blues
Auteur : Audrey Sabardeil
Éditions : Le bruit du monde (3 Avril 2025)
ISBN : 978-2386010484
384 pages

Quatrième de couverture

Vivre accoudé à un balcon suspendu au-dessus de la Méditerranée est un privilège. C'est le quotidien de Fab, qui navigue entre Corse et continent sur le Pascal Paoli. À quai, deux êtres chers l'attendent, son amie d'enfance Angelica, et Charlie, qu'il aime comme un fils. Lorsqu'une nuit, un drame les percute, son équilibre vacille. Une fusillade au pied d'un immeuble qui aurait pu n'être qu'un banal fait divers marque le début d'une longue cavalcade et Fab se retrouve pris dans un engrenage vertigineux au cœur de différents trafics.

Mon avis

Ce roman nous offre une immersion au cœur de Marseille, avec un récit très réaliste.

Angelica et Fab sont amis depuis l’enfance. Mère célibataire d’un petit Charlie, elle est assistante sociale et doit souvent se déplacer dans des quartiers un peu difficiles. Lui, il travaille sur les bateaux. Lorsqu’il est en repos, elle sait qu’elle peut compter sur lui. Une nuit, alors qu’il se rapproche du port pour quelques jours, elle l’appelle, totalement affolée. Elle est dans son appartement avec son fils mais elle entend des coups de feu à l’extérieur, elle est effrayée. Il la calme et lui promet de venir le lendemain.

Quand ils se retrouvent, elle lui apprend que le fils de la voisine a été tué, elle ne comprend pas, un gosse sans histoire, du moins en apparence…. Fab la rassure et lui conseille d’être prudente, entre autres lorsqu’elle va chercher ou compléter des dossiers à domicile. En effet, il y a une certaine tension dans l’air dans les coins où elle se rend. Elle promet. Elle n’est pas tout à fait consciente des dangers auxquels elle s’expose. Elle pense qu’elle est connue des habitants (ce qui est vrai) et qu’elle ne court aucun risque…. Lui, il est plus mitigé et lui rappelle d’être vigilante.

Les événements qui s’enchaînent donnent plutôt raison à Fab. Il se retrouve entraîné dans une histoire qui le dépasse.

Quelques rencontres lui permettent d’avancer, d’autres le confortent dans ses choix, certaines le mettent en danger…. Mais il continue car, au cœur de lui, la révolte et la colère grondent, il ne peut ni supporter ce qu’il entrevoit, ce qu’il comprend.

Audrey Sabardeil a vécu à Marseille, elle connaît cette ville, capable du meilleur comme du pire. Elle a une écriture digne des plus grands écrivains de livres noirs. Il y a du rythme, des rebondissements, des personnages charismatiques, du suspense. Elle nous présente une cité phocéenne gangrénée par la débauche, la perversion. On est loin du soleil et de l’accent chantant. C’est une bourgade où certains souffrent en silence, où la peur noue le ventre de quelques-uns. Comment vivre en harmonie lorsque la drogue déforme les pensées, lorsque l’appât du gain dérègle les rapports humains ? Humain ? Le sont-ils, ceux qui trempent là-dedans ?

J’ai lu ce livre d’une traite, il est prenant, bouleversant, intéressant (car on sent bien, on sait bien que la réalité est proche de ce qui est décrit). C’est une vraie « peinture sociale » et c’est excellent !