THE NICE HOUSE BY THE SEA : C'EST PARTI POUR LE CYCLE DEUX


La première fois, Walter avait réuni dix personnes qui, à des titres divers, avaient compté dans son existence, afin de leur permettre de vivre la fin du monde dans une villa de rêve au bord d’un lac, où les désirs de chacun étaient exaucés à mesure qu’ils leur venaient à l’esprit. The Nice House by the Lake a finalement obtenu le Fauve d’or de la meilleure série en 2024 au Festival d’Angoulême. Le titre est rapidement devenu un best-seller chez Urban Comics, et sa suite était donc attendue avec beaucoup de curiosité. Cette fois, le décor change quelque peu, tout en restant aquatique et attrayant : du lac, nous passons à la mer. The Nice House by the Sea reprend le même principe : deux albums au grand format, de très belle facture, pour ce que l’on appellera désormais le second cycle du récit imaginé par James Tynion IV. Le projet consiste à nouveau à réunir dix personnes, choisie par Max, qui vont avoir l’occasion d’échapper à la fin du monde. Mais cette fois, place à dix figures d’exception : un acteur, une chanteuse, un mathématicien, une politicienne… Tous sont des pointures dans leur domaine, des individus dont les compétences ou les talents justifiaient sans doute une place à part dans l’humanité. Les règles sont à peu près les mêmes, les conséquences aussi, mais avec une nouveauté dans l’équation : ces personnalités n’ont aucune raison de cohabiter et n’ont, a priori, aucun lien entre elles — ce qui risque fort de provoquer quelques tensions… Parmi ces dix nouveaux venus, c’est Oliver Landon Clay, surnommé "l’Acteur", qui occupe le devant de la scène. Il devient notre guide un poil désabusé dans ce nouvel environnement, en nous accompagnant à la découverte des habitants de ce petit paradis baigné de lumière méditerranéenne. Tynion excelle dans l’art de donner à chacun de ses personnages une singularité bien marquée, ce qui les rend immédiatement reconnaissables. Si l’attention est au départ centrée sur Oliver, on sent vite poindre une multitude de pistes intrigantes, prêtes à être explorées, quitte même à perdre le lecteur distrait. Fait important à garder en tête : Oliver entretenait autrefois une relation très étroite avec Walter dans le monde réel, et il s’est montré, au départ, très réticent à l’idée même de faire partie de la "sélection" de Max pour cette nouvelle maison.




Walter (qui est censé être mort, rappelons-le) n’avait, de toute évidence, pas respecté le postulat de départ : les individus choisis par ses soins ne présentaient rien d’exceptionnel et n'incarnaient en rien le parangon de leur discipline respective. Le plus inquiétant, c’est que ces différentes « maisons », au sein desquelles subsistent des groupes d’individus, vont tôt ou tard prendre conscience de l’existence des autres. Et l’on peut parier sans trop de risques que ce ne sera ni l’entraide ni la compréhension qui domineront leurs relations, mais bien l’idée qu’il faut éliminer la concurrence pour pouvoir prétendre à l’immortalité définitive. Oliver, électron libre au cœur de ce dispositif, semble être celui qui en sait le plus. C'est lui que trois des "autres" vont rencontrer en premier. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles il devra se méfier de ceux qui partagent pourtant son camp : ces derniers sont prêts à tout pour obtenir les informations qu’ils convoitent — y compris à recourir aux tortures les plus abominables. Il règne dans cette série un parfum étrange, un petit quelque chose de Bret Easton Ellis mâtiné de science-fiction. Les personnages portent en eux un passé fait de trahisons, de relations déçues, d’égocentrisme exacerbé ou, à l’inverse, d’un vide intérieur jamais comblé. Ils ne semblent exister qu’à travers le regard des autres et exhibent, presque malgré eux, des failles béantes, dans l’espoir qu’un jour, peut-être, quelqu’un parviendra à les refermer. La prestation graphique d’Alvaro Martinez Bueno est, quant à elle, tout bonnement exceptionnelle. Son talent éclabousse chaque page (avec l'aide des couleurs de Jordie Bellaire), transformant chacune d’elles en une peinture saisissante, capable de sublimer même les scènes les plus calmes ou explicatives, les élevant au rang d’expériences immersives. Certes, on pourra sourire devant cette manie qu’ont presque tous les personnages de soliloquer, de se confier sans relâche, livrant à tout bout de champ leurs états d’âme et la manière dont ils se projettent dans la grande fresque de l’histoire. Mais il faut malgré tout saluer le travail d’orfèvre accompli par Tynion IV, avec une montée en puissance émotionnelle et narrative qui tient le lecteur en haleine jusqu’à la dernière page (à partir du troisième épisode le récit s'emballe), et qui donne furieusement envie de découvrir au plus vite la seconde partie de ce cycle 2.
Sortie la semaine prochaine, chez Urban Comics.


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DIBBOUK : THRILLER ET MYTHOLOGIE JUIVE CHEZ LES HUMANOS


 De Toulouse à Paris, aller-retour en l’espace de vingt ans. Marie a quitté la Ville rose il y a deux décennies — ou, pour être plus exact, elle s’en est enfuie. Au fil des pages, on découvrira les raisons qui l’ont poussée à fuir le milieu juif orthodoxe dans lequel elle a grandi. La tragédie qui l’a frappée l’a contrainte à une décision radicale : tourner le dos aux siens, fuir dans la capitale et initier une vie nouvelle. Celle qui autrefois s’appelait Myriam se fait donc désormais appeler Marie. Elle a rencontré un homme avec qui elle a eu deux enfants, et semble avoir fondé une famille équilibrée — même si la situation économique du couple est loin d’être idéale. Elle est journaliste, mais ses revenus restent modestes ; lui, actuellement au chômage, espère rebondir à Toulouse. La maison dans laquelle la famille va s’installer est particulièrement spacieuse… mais tombe en ruine par endroits. Et, cerise sur le gâteau : elle est réputée hantée. Lorsque le lecteur comprendra ce qui s’y est réellement passé, il ne sera guère surpris. C’est en fouillant dans une des malles installées dans une chambre à l’étage que le petit garçon du couple, Félix, va faire une découverte qui bouleversera sa vie. Petit à petit, l’enfant — qui, à Paris, avait été victime de harcèlement scolaire — adopte un comportement de plus en plus étrange. Chaque fois qu’on le contredit ou qu’il est soumis à un stress intense, son nez se met à saigner (oui, il y a peut-être un soupçon d’influence Stranger Things ici), et des phénomènes de violence extrême se produisent. Ainsi, un camarade de classe finit dans le coma après avoir été roué de coups dans les toilettes. Quant à Lise, la fille, elle entre de plain-pied dans l’adolescence et s’inscrit, bien évidemment, dans une forme de rébellion envers ses parents — d’autant que les secrets que sa mère lui avait jusqu’ici dissimulés commencent peu à peu à remonter à la surface. Et croyez-moi, ce ne sont pas de petits secrets…



Le dibbouk, dans la culture juive, c'est l’esprit d’un mort qui, pour diverses raisons (péché non expié, mort violente, incomplétude spirituelle), ne parvient pas à trouver le repos et s’accroche à un vivant, souvent en prenant possession de son corps. En gros, une métaphore de la mémoire, du traumatisme, du péché ou du non-dit, qui hante les générations suivantes. Ici, un meurtre dans la famille, le poids des interdits et des attentes, qui peut plomber sérieusement ceux qui vivent dans le carcan de l'orthodoxie à outrance. S’il est possible de qualifier Dibbouk de thriller, c’est parce que les indices sont distillés progressivement tout au long de l’histoire. Au départ, on a du mal à croire à ce récit de possession démoniaque, mais il faut se rendre à l’évidence : les phénomènes qui accompagnent la frustration ou la colère de Félix relèvent du surnaturel, et semblent bel et bien guidés par un esprit malveillant. Déborah Hadjed-Jarmon parsème également son récit de références à la religion hébraïque, n’hésitant pas, d’ailleurs, à orienter résolument la conclusion dans cette direction. Ce sera une sorte de retour aux sources pour Marie, contrainte de se tourner vers son passé pour tenter de mettre un terme aux tragédies qui frappent son présent. Des révélations viennent renforcer cette lecture, et peu à peu, tout prend sens. Ce qui fonctionne particulièrement bien dans cette bande dessinée, c’est la dynamique entre les personnages, et la façon dont ils sont écrits. Chacun possède une personnalité distincte ; tous se trompent, souffrent, doutent de leur place. C’est précisément cette humanité qui rend cette petite cellule familiale à la fois attachante et crédible. Le dessinateur italien Alberto Zanon (héritier de l'école Disney) insuffle corps et vie à l’ensemble, en variant les angles de vue et en adoptant un trait incisif, parfois anguleux, qui insuffle mouvement et énergie à chaque planche. Même si la dernière partie est un peu difficile à avaler et atténue quelque peu l’impression de réussite globale, Dibbouk (publié chez les Humanoïdes Associés) demeure une lecture réellement plaisante, à laquelle on souhaite sincèrement de trouver son public.

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LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : KRIMI


 Dans le 197e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Krimi que l’on doit au scénario de Thibault Vermot, au dessin d’Alex W. Inker, un ouvrage publié chez Sarbacane. Cette semaine aussi, je reviens sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :


- La sortie de l’album Dix secondes que l’on doit à Max de Radiguès et aux éditions Casterman


- La sortie de l’album Le cahier à spirale que l’on doit à Didier Tronchet, un album édité au sein du label Aire libre des éditions Dupuis


- La sortie de l’album Dans ses yeux que l’on doit à Marc Cuadrado, un titre publié chez Grand angle


- La sortie de l’album C’est la faute à Molière ! Sur la création de la comédie française, un titre que l’on doit au scénario de Michaël Le Galli, au dessin de Virginie Augustin et qui est édité chez Rue de Sèvres


- La sortie de Wilbur, le premier tome d’Electric miles que l’on doit au scénario de Fabien Nury, au dessin de Brüno, un titre publié chez Glénat


- La réédition de Fatherland, album que l’on doit à Nina Bunjevac et publié chez Gallimard.



 
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ABSOLUTION : LA TÉLÉ-RÉALITÉ MACABRE DE PETER MILLIGAN


 Faites-vous partie de ceux qui pensent qu’un criminel ne peut jamais se racheter ? Que les pires éléments de notre société — ceux qui transgressent les règles, les lois, les normes — méritent à jamais l’enfermement, voire la peine capitale ? Dans l’univers dérangeant imaginé par le scénariste britannique Peter Milligan, il existe pourtant une échappatoire. Une porte de sortie. Un espoir totalement foutraque. Mais pour cela, il faut accepter de se livrer à une mécanique de rédemption particulièrement vicieuse : participer à une émission de télé-réalité ultra-violente, baptisée Absolution. Le principe ? Simple. Cruel. Parfaitement cynique. Le candidat — souvent un criminel lui-même, contraint plus que volontaire — est armé jusqu’aux dents, propulsé en terrain hostile, et chargé de traquer d’autres malfaiteurs dans un jeu de chasse à l’homme aux allures de purgatoire sanglant. Pendant ce temps, des millions de spectateurs suivent ses moindres gestes en temps réel, à travers les caméras greffées sur son corps, en commentant à tout va, comme on le fait aujourd’hui sous une vidéo YouTube ou un stream Twitch. Sauf qu’ici, ce ne sont pas des parties de jeu vidéo ou des bêtisiers de chatons qui sont à l’écran, mais la vie, la mort, le sang, et cette forme moderne de la crucifixion médiatique qu’est l’humiliation publique. Le personnage principal, Nina Ryan — ancienne agente de la paix et meurtrière involontaire — tente de racheter sa faute en jouant ce jeu de massacre en direct, tout en sachant que son salut dépendra du bon vouloir d’un public versatile, friand de violence, prompt à juger et à la condamner depuis le confort de son salon. Milligan pousse à l’extrême la logique du divertissement contemporain, où la frontière entre justice et spectacle s’est depuis longtemps dissoute dans un bain (sanglant) de pixels.



Avec Absolution, Peter Milligan livre une charge brutale contre une société où la justice est devenue un produit de consommation, et où le pardon se monnaie à coups de clics et de coups de feu. Pour parvenir à l'absolution, Nina doit évidemment tenir compte du caractère voyeuriste de ceux qui la suivent en ligne. Plus ses interventions seront spectaculaires, plus elle se complaira dans les meurtres et dans les moyens employés pour y parvenir ; et plus elle aura de chances de susciter l’adhésion de ses suiveurs. Bien entendu, ces courageux lions cachés derrière leur clavier se permettent aussi de l’insulter, de commenter de la pire des façons ce qu’ils voient, bien à l’abri de leur écran. C’est extrêmement bien écrit par Milligan, car il propose une vision parfaitement crédible, sarcastique et tristement contemporaine de cette manière qu’ont tant d’internautes de venir vomir leur ennui sur le Net. Peut-on vraiment se racheter quand on est exposé comme un gladiateur numérique ? Est-ce encore de la justice, ou juste une nouvelle forme de cirque romain, avec des drones à la place des fauves ? Absolution n’apporte pas de réponse facile. Mais il oblige à poser les bonnes questions et c'est un sacré bon divertissement ! Côté dessin, Mike Deodato, avec sa mise en page désormais caractéristique et son style en grande partie photo-réaliste, renforce le ton glaçant de l’histoire. Il livre des planches d’une grande efficacité, qui transforment cette bande dessinée en une sorte de B-movie d’action dramatique. Publié en V.O. chez AWA Studios, Absolution est toujours en attente d'un éditeur français. On peine à comprendre pourquoi. 


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BARNSTORMERS : VOLTIGE, AMOUR ET MEURTRE AVEC SNYDER ET LOTAY


 Bienvenue à bord de Barnstormers, le dernier bolide scénaristique de Scott Snyder et Tula Lotay, qui décolle en trombe depuis les années 1920, entre cascades aériennes, amours contrariés et cavale à la Bonnie & Clyde. Un récit rondement mené et addictif, dans lequel l’élégance vintage d’une couverture du Saturday Evening Post peut rencontrer la tôle froissée de vieux biplans. À la manœuvre, Hawk/Bix, pilote nomade au sourire ravageur et aux secrets bien arrimés, et Tillie, passagère clandestine au bagage émotionnel bien plus lourd qu’un moteur d’avion. Dès les premières planches, le lecteur averti est prévenu par Scott Snyder, ça risque de virer au looping narratif. Les deux héros, tout droit sortis d’un casting de vieux films d’aventure, sont des figures presque trop parfaites pour être vraies – et c’est justement ça, le plan de vol. Snyder, vieux briscard du scénario, vise une montée en puissance tout en turbulences maîtrisées : archétypes d’abord, révélations ensuite. Et pour corser le tout, une galerie d’éléments intrigants : agents secrets, vieux dossiers, trahisons, amour en chute libre… Il faut dire que notre pilote charmeur n'est pas exactement celui qu'il prétend être, et que certains épisodes de son passé récent (qui vous seront dévoilés dans le troisième épisode) font de lui un casse-cou assez instable. C'est sur le tas qu'il a appris à piloter, pour épater la galerie et fasciner les foules en délire, à travers l'Amérique. C'est ce qu'on appelle le Barnstorming, une pratique spectaculaire née aux États-Unis dans les années 1920, à la croisée de l’aviation pionnière et du show à l’américaine. Mais en l'absence des réseaux sociaux ou de la presse complice, il faut séduire les jeunes opératrices pour s'annoncer de ville en ville, et c'est parfois extrêmement compliqué ! 




Lorsqu'ils sont tous là-haut dans les cieux et qu'ils réalisent les acrobaties les plus audacieuses, les deux tourtereaux que sont Bix et Tillie échappent au commun des mortels, et incidemment, à tous leurs poursuivants. C'est qu'ils ont un point commun, l'envie de fuir, la nécessité de ne pas revenir en arrière, trouver la liberté dans les airs. Echapper non seulement à la gravité mais aussi à la justice d'un côté (Bix), et au mari de l'autre (Tillie) qui utilise sa position sociale et sa force pour dompter une épouse qu'il considérer comme sa chose, qu'il désire mettre en cage, la traiter comme une simple possession ou un animal qu'il faut savoir dresser. Un drame en deux temps, un couple contre le reste du monde, un privé qui leur collent aux basques, un époux détestable, des visions cauchemardesques, en voilà un menu qui donnent des ailes. Visuellement, Tula Lotay propulse le récit dans la stratosphère. Son dessin est un festival d’élégance et de détails, avec une mise en scène qui donne parfois envie d’applaudir à la fin de chaque page, comme à l’atterrissage d’un vol mouvementé. Ses pleines pages, où Hawk et Tillie sillonnent le ciel, sont de véritables envolées lyriques. Le coloriste Dee Cunniffe, lui, joue les contrôleurs aériens avec doigté et pilote une palette lumineuse qui donne à l’ensemble une atmosphère suspendue, presque tactile. Magnifique, vraiment. Snyder sort de sa zone de confort pour livrer un récit plus personnel, porté par un souffle romanesque et une ironie douce. Barnstormers ne réinvente pas la gravité, mais l'album plane avec style au-dessus des conventions. Disponible chez Delcourt.


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X-MEN : DIEU CRÉE, L'HOMME DÉTRUIT (INDISPENSABLE LECTURE MUTANTE)


 Il est sans doute inutile de revenir sur l'importance fondamentale de Chris Claremont dans l'histoire et le succès des X-Men : non seulement ce scénariste de génie savait tisser, longtemps à l'avance, des intrigues complexes aux ramifications multiples, mais il est aussi celui qui a su rendre crédible, mieux que quiconque, l’hystérie anti-mutants — l’un des thèmes majeurs de la série, comme le souhaitait d’ailleurs Stan Lee dès les origines. Année après année, le climat s’est fait de plus en plus tendu, et les mutants ont été placés sur la sellette, jusqu’à être stigmatisés comme l’ont été, et le sont encore aujourd’hui, certaines catégories de la population en raison de leurs origines ou de leurs croyances religieuses. Tout cela s’inscrit dans l’ère Jim Shooter, qui choisit d’offrir au lectorat des œuvres plus adultes et ambitieuses, à travers une série de graphic novels qui, sur la forme, se rapprochent davantage de la bande dessinée européenne que du comic book traditionnel. C’est dans cet écrin que naît ce qui deviendra l’une des pierres angulaires de la mythologie des X-Men. God loves, man kills. Claremont y dénonce l’hystérie qui s’empare des États-Unis dès qu’il est question de religion, et l’écoute complaisante accordée aux discours de la droite religieuse extrémiste. Autrefois, c’était le Ku Klux Klan qui s’en prenait à la population noire ; aujourd’hui, c’est le révérend William Stryker — sorte de double maléfique du professeur Xavier — qui lance une croisade contre l’Homo superior. À ses yeux, ce dernier représente une perversion absolue de l’humanité, et il est prêt à tout pour l’exterminer, jusqu’à tendre un piège à Xavier et à ses élèves, au terme d’un débat télévisé. Les Purificateurs recourent systématiquement à la violence, à l’enlèvement, au meurtre ; pour eux, tous les moyens sont bons pour éradiquer ce qu’ils considèrent comme une mauvaise herbe. Le climat social est d’ailleurs particulièrement tendu : il suffit de voir cette scène où la jeune Kitty Pryde en vient aux mains avec un camarade d’étude, simplement parce que celui-ci reprend à son compte les idées de Stryker. Fatalement, l’étau se resserre, et les mutants finissent par être perçus comme une menace par l’opinion publique — sans qu’ils aient la possibilité de se défendre ni de faire entendre un quelconque contradictoire.



Les X-Men ne se retrouvent pas face à un vilain traditionnel qu'il est possible de détruire à coup de super pouvoirs, mais face à un homme très dangereux qui utilise son influence, les médias, l'ignorance des masses, pour semer la haine dans la société. Tout le monde est victime, y compris les enfants, et il n'est pas facile d'extirper les préjudices quand ceux-ci ont atteint les cœurs et les cerveaux. Regardez-le donc, ce Diablo et sa fourrure bleue, n'est-ce-pas forcément un monstre, une engeance pour l'humanité, puisqu'il est si différent "des hommes" à première vue ? Conséquence ultime, nos mutants préférés en arrivent à s'allier avec Magneto, pourtant considéré comme un ennemi, et ils font front commun pour mettre sur pied une résistance illusoire mais nécessaire. Le dessin de Brent Anderson subit l'influence de Neil Adams et il vaut surtout par la mise en page, dense mais inventive, et la qualité de l'utilisation des ombres. Certes, certains premiers plans ne sont pas des plus gracieux, l'artiste fera beaucoup mieux par la suite, néanmoins cela reste un travail de bonne facture, qui nécessite de la part du lecteur un véritable investissement : les dialogues et les didascalies sont très présents et ce n'est pas un album qui se lit en un quart d'heure, entre le café et les photocopies, au boulot. Toujours aussi moderne et d'actualité, Dieu créé l'homme détruit nous rappelle la grandeur des X-Men du passé, la raison pour laquelle nous en sommes tombés amoureux, et dont Jonathan Hickman a su raviver récemment la flamme (qui vacille déjà, tant je m'ennuie ces derniers moi avec le nouveau relaunch). L'ouvrage reste tristement d'actualité tant nous avons l'impression d'entendre nombre de personnes influentes ou (ir)responsables politiques tenir des propos de la même trempe de ceux de Stryker, même si l'étranger remplace systématiquement le mutant. Ce qui revient, pour finir, à poser cette question fondamentale : comment est-il possible de nourrir un vote clairement xénophobe (dois-je vous rappeler les condamnations pour incitation à la haine raciale de certains ?) et de lire et apprécier l'univers des X-Men ? Un grand écart idéologique que des lecteurs parviennent à faire, apparemment. C'est la version Extended Cut de 2020 que vous trouverez dans le Must Have édité chez Panini ces jours-ci, avec dix pages supplémentaires inédites, une postface, des tas de couvertures, des pages en noir et blanc… De quoi se faire plaisir jusqu'au bout. 



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SURVIVAL PALMYRA : LA PEUR AU FOND DES BOIS AVEC CHRISTOPHE BEC


Christophe Bec continue de tisser son anthologie pleine d'adrénaline avec Survival, série-concept chez Soleil qui explore les recoins sombres de la psyché humaine… et des bois profonds. On l'avait quitté dans une prison de haute sécurité brésilienne, avec une lutte entre détenus qui tournait clairement au vinaigre (lire ici), on le retrouve dans un cadre bucolique mais terrifiant. Avec Palmyra (petit village du Maine niché à l'orée d'une forêt gigantesque), nouvel opus de cette saga aux airs de collection B sérieusement vitaminée, Bec nous offre toute la panoplie attendue et nécessaire pour frissonner comme un bucheron : créatures griffues, cabane isolée, chiens paniqués, et une famille qui n’avait rien demandé. Le récit s’ouvre sur une triple temporalité : 10 500 avant J.-C., un monstre préhistorique harcelé par des chasseurs amérindiens ; en 1849, un convoi de pionniers est attaqué dans les Rocheuses ; et aujourd’hui, dans la petite bourgade déjà évoquée, les Saville pensent trouver un nouveau départ… mais emménagent en fait au pied d’un cauchemar. Les codes sont posés avec une précision presque scolaire, mais la mécanique est efficace : isolement, nuit tombante, et ces fichus yeux qui brillent dans le noir. On y retrouve un petit côté Shyamalan, plutôt la fille que le père, d'ailleurs, avec son tout récent Les Guetteurs, qui joue un peu des mêmes ressorts narratifs. Eric, patriarche aux instincts de survie aiguisés mais handicapé par une mauvaise blessure à la jambe, sa femme Shelley, et leurs enfants vont vivre un huis clos nocturne haletant, pris en tenaille par des créatures humanoïdes grotesques, mi-loups, mi-cadavres. Fusils inaccessibles, voiture calcinée, police sur laquelle on ne peut pas compter (ben voyons) : la nuit sera longue. Heureusement, un cousin chasseur de fauves est disponible pour ajouter une touche de testostérone et un sacré lot de cartouches au menu.



Côté narration, Bec ne cherche pas l’originalité absolue mais l'efficacité narrative. On est dans le Survival pur jus, ou comment se faire peur en laissant monter la pression : quelques traumas familiaux, des décisions déchirantes, et un crescendo dramatique sans pitié. Les fans de Stephen King, Carpenter ou des histoire de Bigfoot hantant les bois à la recherche de chair fraîche sont clairement priés de passer à la caisse de leur librairie préférée. Sans négliger la bonne surprise qui vient du dessin : Kamil Kochanski, pour sa première incursion dans la BD française, livre un travail tendu comme un arc. Son trait réaliste, nerveux, toujours en mouvement, joue des contreplongées et des gros plans avec un sens du rythme quasi cinématographique. Les ambiances sont poisseuses, les visages habités, et l’angoisse visuelle s’installe planche après planche. On se croirait dans du très bon Swamp Thing, ou les récits horrifiques d'EC Comics. Avec Facio aux couleurs, le duo assure un rendu glaçant, du plus bel effet. Certes, Palmyra ne révolutionne pas le genre. On coche toutes les cases au bingo du genre : créatures nocturnes, famille en danger, tension psychologique, et le twist final. Mais derrière ces poncifs se cache un amour sincère pour le genre, et une capacité rare à en tirer une aventure aussi nerveuse que plaisante. Ce n’est pas du caviar, mais un bon gros burger saignant à dévorer à la lueur d’une lampe-torche. Vivement la suite, Guna Yala, qui nous promet de nouvelles frayeurs en terres tropicales. Survivre, encore et toujours. 


 

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THE NICE HOUSE BY THE SEA : C'EST PARTI POUR LE CYCLE DEUX

La première fois, Walter avait réuni dix personnes qui, à des titres divers, avaient compté dans son existence, afin de leur permettre de vi...