vendredi 14 mars 2025

Le nez de Mileí s’allonge à l’ONU [Actu]

Page titre du rapport officiel
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L’Argentine a produit auprès d’une commission de l’ONU un rapport entièrement mensonger qui revendique comme propres les résultats des politiques liées aux questions de genre du gouvernement précédent, politiques que Javier Mileí a fait disparaître ou a mis sérieusement à mal en baissant considérablement les budgets qui leur étaient alloués avant lui.

Cette commission est consacrée à la condition juridique et sociale de la femme et commémore cette année le 30e anniversaire du 4e sommet mondial de la Femme qui s’était tenu à Beijing et avait accouché d’un plan d’action que l’Argentine avait adopté.

Les 104 pages de cet épais rapport détaillent entre autres les avancées du plan contre les grossesses adolescentes non désirées (qui a été abandonné par les pouvoirs publics), les résultats de la loi Micaela (qui contraint l’État à lutter contre les violences machistes et qui n’est plus mise en œuvre), les programmes d’enseignement sur la sexualité (qui ont été écartés du paysage scolaire), etc.

Pour faire bon poids, la délégation argentine qui présente ce rapport cynique dans le cadre de l’ONU est présidée par une avocate anti-féministe qui n’en est pas à sa première imposture. Elle a déjà fait semblant de soutenir les positions féministes pour obtenir un poste dans la magistrature en 2023 alors qu’elle est une des artisanes les plus farouches de la politique machiste et climato-sceptique de Mileí.

Les syndicats et de nombreuses associations des droits de l’homme ainsi que plusieurs organisations de santé publique et de sport ont réagi lorsqu’elles ont eu vent du rapport officiel : elles ont rédigé conjointement un document bis pour décrire par le menu la réalité de la vie en Argentine sous Mileí. Ce rapport officieux a été présenté à la presse et à une représentation diplomatique de pays qui s’inquiètent de l’évolution des choses en Argentine. Parmi ces pays, la France, l’Allemagne, le Brésil et l’Inde.

Seul Página/12 s’intéresse à la question ce matin. C’est pourtant assez extravagant de la part d’un gouvernement qui ne fait pas mystère de son sa volonté de revenir en arrière sur tous les droits acquis depuis une trentaine d’années. Qui s’en vante même ! D’un seul coup, voilà ce gouvernement bravache qui n’assume plus rien de ses positions.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :
lire l’article de Página/12

jeudi 13 mars 2025

Premier salon du livre consacré aux Droits de l’Homme à Palermo [Disques & Livres]

"Livres et mémoire", dit le gros titre
sur cette photo du pavillon emblématique de la ex-ESMA
qui porte encore le nom de cette ancienne école de la Marine
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Les associations des Droits de l’Homme qui ont leurs centres culturels sur le site de la ex-ESMA à Palermo, dans le nord de la ville de Buenos Aires, accueilleront demain et samedi, les 14 et 15 mars 2025, un salon du livre des droits humains.

Le salon se tiendra à l’intérieur du bâtiment principal, celui que l’on appelle des Quatre Colonnes. Une soixantaine d’éditeurs exposants sont attendus.

Entrée libre et gratuite.

Ce salon est un acte de résistance dans ce lieu où le ministère de la Justice tente d’exercer une véritable censure des activités proposées au public, à l’exemple de ce qu’il se passe actuellement dans les États-Unis de cette crapule de Trump. Le mois de mars est en Argentine celui de la rentrée. C’est aussi celui qui est consacré à la mémoire des victimes de la dernière dictature militaire pour laquelle Mileí et les siens ne cachent pas une certaine tendresse.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :
lire l’article de Página/12 qui en a fait le sujet de couverture de son supplément culturel quotidien, Cultura y Espectáculos

Un parfum de corruption autour de Mileí [Actu]

"Ouvrez la barrière pour que la porte-valise passe",
dit le gros titre de Página/12 hier
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Depuis quelques jours, deux nouveaux scandales de corruption agitent la presse autour du président argentin.

Non content d’avoir créer une catastrophe financière en conseillant une monnaie électronique qui s’est cassé la figure dans les heures qui ont suivi son message, voilà que Javier Mileí promeut une bourse d’étude dans une université privée connue pour son peu de solidité académique (c’est en fait une pépinière pour l’idéologie libertarienne) et fondée par l’un de ses amis et complices politiques. Il y a lui-même étudié (pas très longtemps, il n’a jamais dépassé la licence) et, il y a peu, cette école l’a consacré du titre en l’occurrence creux de docteur honoris causa, ce dont Mileí s’autorise maintenant pour se faire désigner officiellement comme « doctor Javier Mileí ».

La bourse s’appelle Beca Presidencia de la Nación (ses promoteurs osent se servir du titre constitutionnel du chef de l’État) et l’intéressé a prêté une photo où il pose avec les attributs de sa fonction à une campagne de publicité qui est apparue il y a quelques jours sur les panneaux officiels de la Ville de Buenos Aires, elle-même gouvernée par la droite libérale. L’escroquerie dans toute sa splendeur.


"Là où il y a un ami, on peut faire des affaires",
dit le gros titre de Página/12 d'avant-hier
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Pour corser le tout, on assiste à un nouvel épisode des enquêtes judiciaires et journalistiques sur le scandale de la monnaie fictive, $ Libra que le président a osé promouvoir avant qu’elle ne s’effondre, enquêtes qui se déploient en Argentine, en Espagne et aux États-Unis. Voilà qu’elles font apparaître le soupçon d’un nouveau pot-de-vin : on a en effet découvert qu’il y a quelques semaines, une jeune femme a atterri en Argentine à bord d’un vol privé et qu’elle était entrée dans le pays en évitant le contrôle aux frontières grâce à un passe-droit que rien ne saurait justifier. Cette passagère, parfaitement identifiable sur une photographie où elle pose en compagnie de Mileí, aurait été porteuse d’une valise de billets verts et tout porte à croire qu’elle était destinée au président ou à l’un de ses proches.

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Le dossier s’épaissit donc dans des proportions sarkoziennes et l’opposition parlementaire, elle-même rongée par la corruption, puisque plusieurs élus ont été achetés au vu et au su de tous par le président, n’est pas vraiment à la hauteur du scandale.

© Denise Anne Clavilier


Pour en savoir plus :
sur la porteuse de valise :
lire l’article de Página/12
lire l’article de La Nación
sur la bourse d’études :
lire l’article de Página/12
lire l’article de Clarín

Violences policières tous azimuts [Actu]

"Sauvagerie", dit le gros titre
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Hier, il y avait une manifestation désormais traditionnelle devant le Congrès en faveur des retraités qui payent très cher la politique menée par Mileí. Les personnes âgées qui occupent la place du Congrès sont soutenues dans leurs revendications par des clubs de foot qui, en Argentine, constituent un véritable tissu social, un lieu où s’exerce la solidarité entre habitants d’un même quartier, d’une même ville, d’un même coin de campagne.... Il y avait donc aussi beaucoup de gens d’âge actif parmi les manifestants. Et hier, comme souvent mais d’une manière bien plus grave que lors des manifestations précédentes, la police a fait preuve d’une violence difficilement imaginables : coups de matraque, usage de gaz lacrymogènes dans les visages et canons à eau contre la foule.

"Le coup d'Etat version 21e siècle", dit le gros titre
En bas, la situation à Bahía Blanca
alors que les eaux viennent de se retirer
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La presse se sépare aujourd’hui en deux camps : à gauche, Página/12 dénonce la violence policière. A droite, La Prensa, Clarín et La Nación mettent l’accent sur la violence supposée de la foule rassemblée sur la place.

Que des casseurs se soient glissés parmi les manifestants, c’est fort possible mais qui a commencé à pratiquer la violence contre les citoyens ? Le gouvernement et ce Congrès indigne où l’opposition (qui est pourtant largement majoritaire) a renoncé à jouer son rôle de régulateur de la vie politique puisque de nombreux parlementaires, de gauche comme de droite, se sont laissés acheter pour un plat de lentilles par Mileí et consorts et votent désormais sans aucun scrupule selon les consignes données par le président ou ses affidés. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que certains citoyens autrefois pacifiques montrent des signes d’exaspération…

"Des dégâts, des blessés et 124 détenus
au cours d'une bataille de hooligans et de militants
contre les policiers", dit le titre sous la photo
Le gros titre est consacré à l'enquête parlementaire
sur le scandale de la crypto-monnaie
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Là où la violence de la police apparaît difficilement contestable, c’est partout où l’on a pu voir, photographier ou filmer des personnes âgées jetées à terre et parfois blessées. Vu leur gabarit, on imagine mal que ce soit elles qui aient lancé les hostilités contre une police solidement équipée.

"Des bandes de supporters et des militants
ont affronté la police sur la place du Congrès :
un blessé grave et 130 détenus", dit le gros titre
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Toujours est-il qu’hier, la place du Congrès s’est transformée à nouveau en scène d’émeute urbaine et que la démocratie argentine est décidément en grand danger. Sans doute parce que Mileí veut provoquer un ras-le-bol peut-être dans l’espoir d’un recours populaire à une dictature qui remettrait de l’ordre dans tout cela et qui ne fera qu’ajouter au chaos comme l’histoire argentine l’a déjà montré tant de fois.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :
lire l’article principal de Página/12
lire l’article de La Prensa
lire l’article de Clarín
lire l’article de La Nación

samedi 8 mars 2025

Catastrophe climatique à Bahía Blanca [Actu]

"L'enfer tant redouté", dit le gros titre
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Une pluie diluvienne s’est abattue hier sur la côte atlantique dans la province de Buenos Aires. Mar del Plata a été touchée mais le gros de la catastrophe a sinistrée la jolie ville balnéaire de Bahía Blanca, plus au sud encore.

"Bahía, une ville sous les eaux :
des images douloureuses et l'impuissance"
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Les images rappellent Valencia en Espagne il y a quelques mois. Des rues transformées en rivières furieuses, des voitures emportées ou renversées, des routes fracassées.

"Un orage historique a dévasté Bahía Blanca
et fait au moins 10 morts"
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Des habitants ont tout perdu. On compte déjà 11 morts et on en découvrira d’autres au fur et à mesure que les secours pourront atteindre les bâtiments sinistrés. Mille personnes ont été évacuées.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :
lire l’article principal de Página/12
lire l’article principal de La Prensa
lire l’article principal de Clarín
lire l’article principal de La Nación

jeudi 6 mars 2025

Le scandale du Bureau Oval fait un miracle : La Prensa devient pro-ukrainienne [Actu]

Une de La Prensa le 2 mars (dimanche dernier)
Le titre principal est consacré au discours de Mileí au Congrès
(particulièrement ridicule)
En bas : l'entrevue dans le Bureau Ovale
La rédaction n'en est toujours pas revenue !
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La Prensa est le journal quotidien de la droite catholique bien-pensante et assez rance. Comme en Europe, ce secteur politique s'en montré, jusqu’au retour de Donald Trump au pouvoir, passablement hostile à l’Ukraine, tendant à lui préférer la mensongère Russie de Poutine et sa soi-disant fidélité aux « traditions ». Tartuferie !

Les articles sur la guerre russo-ukrainienne paraissaient sous la plume d’un officier à la retraite qui prétendait analyser le conflit en fonction des intérêts de l’Argentine qui n’en a en fait qu’un, la sauvegarde de l’État de droit, ce dont cet auteur se passerait volontiers. Une sorte de nostalgique de la bonne vieille dictature militaire de Videla et consorts.

Une du lendemain : "L'Europe tourne la page"
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Et puis est arrivé le 28 février et cette scène insupportable dans le Bureau Ovale où un président des États-Unis, soutenu par son vice-président, tente d’extorquer à un autre chef d’État, d’un pays plus petit et attaqué, des concessions incompatibles avec l’honneur. S’en est suivie une pluie d’inepties dans la bouche des représentants du gouvernement américain pour justifier l’injustifiable et tenter d’abîmer l’image héroïque de l’hôte ainsi malmené, puis sont venues les menaces sur l’Ukraine pour pousser le pays et ses dirigeants dans le gouffre de la défaite. Cela a dû en faire réfléchir quelques uns et depuis ce week-end, on trouve dans La Prensa, mais sous d’autres plumes, des articles qui prennent enfin la défense du pays agressé et critiquent vertement le tournant politique pris à Washington.

Ce n’est pas trop tôt !

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :
lire l’éditorial de La Prensa du 2 mars, après que le président Zelensky a été reçu par le roi Charles (grâce au décalage horaire d’hiver, l’article est daté du jour même de l’entrevue)
lire l’éditorial de lundi signé par un historien de Salta qui reprend une citation célèbre de Reagan à Berlin, « Monsieur Gorbachev, détruisez ce mur ! » pour rappeler que les États-Unis ont été un jour été de grands défenseurs de la démocratie, ce dont l’immonde trahison de Trump pourrait nous faire douter
lire l’article de La Prensa du 3 mars : il ne porte pas de signature et il est favorable à Zelensky et à l’Ukraine.



PS : eu égard à la gravité des événements politiques qui se succèdent à une vitesse folle, je compte publier dans les jours qui viennent une page indépendante, qui sera accessible, comme les deux précédentes, en haut de la Colonne de Droite, pour donner à mes lecteurs qui seraient en manque d’informations fiables sur ce sujet quelques adresses sérieuses et solides de sites, blogs et podcasts francophones (il n’y en a pas autant qu’il le faudrait) et anglophones (dans cette catégorie, il y a abondance mais il faut parler anglais pour en faire son miel). Sur l’actualité, je n’ai encore rien trouvé d’original en espagnol (en revanche, sur un autre sujet, l’apprentissage de l’ukrainien, j’ai trouvé un très bon podcast édité à Santiago du Chili).

Une Une qui cite Cambalache de Discépolo [Actu]

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Página/12 analyse ainsi une nouvelle interview factice que Mileí a accordée lundi pour tenter de se disculper dans le scandale de l’escroquerie à la monnaie cryptée : « Tu verras, tout ça c’est mensonges et compagnie » Verás que todo es mentira.

Vignette de Miguel Rep, parue hier dans Página/12
Les frontières de l'Argentine sont une chaîne humaine de sans-abri
Une image que n'aurait pas renié Discépolo
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Une citation du refrain de Cambalache (1), le chef d’œuvre de Enrique Santos Discépolo, auteur et compositeur anarchiste et presque nihiliste avant de plonger dans la militance péroniste, qui a créé une bonne partie du répertoire du tango-canción de la première moitié du 20e siècle. Dans Cambalache, Discépolo décrit le chaos moral et social dans lequel la société argentine a sombré pendant la Grande Dépression.

Comment-en-est-on-arrivé-làland
Dessin de Miguel Rep pour Página/12 lundi dernier
Une question qui vaut aussi pour la majorité des citoyens des Etats-Unis
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Le scandale suit son chemin : des instructions pénales sont ouvertes en Argentine et aux États-Unis qui pourraient l’impliquer comme instigateur ou complice de l’escroquerie qui a ruiné de très nombreux épargnants.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :
lire l’article de Página/12



(1) Cambalache fait partie des chansons que j’ai traduites dans mon ouvrage intitulé Barrio de Tango, recueil bilingue de tangos argentins, paru aux Editions du Jasmin et disponible en commande dans toutes les bonnes librairies et sur le site de l’éditeur.

Une Casa Rosada de plus en plus White House (Trump’s one) [Actu]

Le journaliste : Les victimes de l'escroquerie à la crypto-monnaie
préparent une class-action aux Etats-Unis
Mileí : Ouh ! Le pauvre Trump !
Le journaliste : Non, contre vous
Mileí : Ouh ! Pauvre Argentine
Traduction © Denise Anne Clavilier
Dessin de Daniel Paz, texte de Rudy, en Une de Página/12 hier
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La Casa Rosada (la maison rose), palais officiel de la présidence argentine, ressemble de plus en plus à la Maison Blanche (White House) de Trump… J’en veux pour preuve cette nouvelle menace qui plane sur les journalistes dans la salle de presse de la Casa Rosada.

Le porte-parole du gouvernement envisage en effet d’installer sur son pupitre un bouton pour couper le micro aux journalistes au cours des briefings quotidiens. Au cas où les questions gêneraient en haut lieu !

La journaliste : Il paraît qu'aux Etats-Unis, on veut enquêter
sur vous pour la crypto-monnaie
Mileí : Mon ami Trump ne laissera pas faire
La journaliste : Mais aux Etats-Unis, la séparation des pouvoirs,
ça existe !
Mileí : Je sais mais mon ami Elon ne laissera pas faire
Traduction © Denise Anne Clavilier
Dessin de Paz et Rudy paru à la Une de Página/12 avant-hier
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En voilà une conception de la liberté ! Remarquez qu’à la Maison Blanche, ils ont à peu près la même comme l’a prouvé la mise en scène du guet-apens qu’ils ont tendu à Zelensky la semaine dernière.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :
lire l’article de Página/12
lire l’article de Clarín
lire l’article de La Nación

vendredi 28 février 2025

Les auteurs dans le viseur [Actu]

Une du supplément culturel quotidien de Página/12
Cultura & Espectáculos, qui titre :
"Encore un décret de derrière les fagots contre la culture :
La loi de la jungle"
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Un nouveau décret vient de détruire le monopole des sociétés d’auteurs (littérature, musique, cinéma, théâtre et spectacle vivant) pour réguler la collecte et le paiement des droits d’auteur. Les artistes argentins s’organisent collectivement depuis un siècle pour pouvoir recevoir le prix de leur travail. Les organismes nés de cet effort et de cette conscientisation économique, la SADAIC pour la musique, ARGENTORES (pour les écrivains et les illustrateurs de l’écrit), AADI (pour les interprètes), CAPIF (pour les producteurs), SAGAI (pour les acteurs), SAC (pour le cinéma), vont être fragilisés par la perte de leur monopole sur cette collecte et cette distribution.

Le gouvernement autorise les intéressés à ne pas s’affilier à l’une ou l’autre de ces organisations. Ce qui va avoir pour effet d’isoler les non-affiliés et surtout de rendre plus vulnérable les droits de tous, si les artistes fortunés refusent de s’affilier pour ne pas payer leur écot aux sociétés collectives. Leurs droits, qui font tourner la machine, leur échapperont. Elles auront donc moins de moyens pour défendre les droits du collectif face à un gouvernement déterminé à empêcher le développement d’une vie intellectuelle et artistique libre. Cette modification statutaire va donner encore plus de pouvoir aux grands capitaux qui agissent dans ce domaine : grands producteurs de spectacle, de télévision, de cinéma, géants de l’édition dans le domaine du livre comme du disque, grands galeristes, etc.

Les syndicats d’artistes sont aussitôt montés au créneau pour accompagner les sociétés de gestion collective ainsi menacées. Cette fois-ci, on n’a pas vu le gouvernement reculer. Tout au contraire, comme pour la nomination des deux juges à la Cour suprême, un ministre s’est répandu dans les médias pour justifier cette décision. Il parle de libération des créateurs et refait l’histoire façon Poutine ou Trump (de toute façon, ils fonctionnent de la même façon). Il a en effet prétendu que le rôle des sociétés de gestion collective datait de la dictature de Onganía, à la fin des années 1960, juste avant le retour de Perón, et qu’il avait été renforcé par les Kirchner, ce qui n’est pas faux mais les Kirchner n’ont jamais été à la tête d’un gouvernement anticonstitutionnel (ce qui n’est pas le cas de Onganía, porté au pouvoir par un putsch militaire).

C’est totalement faux. Les sociétés de gestion collective ont été fondée de 1934 (Agentores) à 1958 (DAC), donc avant Onganía. Ce sont elles qui ont fait voter les lois qui protègent aujourd’hui les droits des auteurs et des interprètes comme il y en a dans tous les pays civilisés. Ce gouvernement serait bien inspiré d’aller regarder comment cela se passe aux États-Unis, avec le poids des syndicats dans le monde du cinéma pour ne parler que de ce secteur !

Seuls Página/12 et La Nación en parlent ce matin, le premier pour donner le son de cloches des auteurs collectivement organisés, le second pour laisser la parole au ministre et à un important producteur qui se réjouit à la perspective de pouvoir désormais faire ce qu’il veut (on peut parier sur le résultat : les artistes vont se faire escroquer encore plus qu’avant !).

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :
lire l’article de Página/12
lire l’article de La Nación sur les propos du ministre
lire l’article de La Nación sur la réaction du producteur

La discrimination s’ajoute au tableau [Actu]

En photo : Mileí et le directeur de la ANDIS
Au-dessus : la prestation de serment
du premier des deux magistrats intégrés à la Cour suprême
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Hier, le gouvernement a fièrement annoncé sur les réseaux sociaux la publication d’un nouveau décret concernant les handicapés mentaux qui allaient désormais être classés en quatre catégories pour la répartition des aides que Mileí a délibérément baissées.

Les quatre catégories correspondent à des concepts en vogue il y a cent ans mais complètement dépassés depuis plus d’un demi-siècle : idiot, imbécile, retardé et débile mental.

Cela a provoqué un tel scandale que le gouvernement a aussitôt fait machine arrière, prétextant une erreur dans la précipitation de la part d’une personne subalterne qui a aussitôt été révoquée. Une lampiste.

Le directeur de l’agence en charge des handicapés (ANDIS) n’a aucune compétence dans le domaine, il n’a aucune expérience administrative. Il n’a jamais travaillé dans un service de l’État. C’est un avocat. Comme il a défendu les intérêts de Mileí avant son élection, c’est un homme qui lui est loyal et qui jouit à ce titre de toute sa confiance. D’où sa nomination à ce poste délicat où il se comporte comme un éléphant dans un magasin de porcelaine.

Cette nomenclature antédiluvienne dont suinte un mépris qui n’est plus supportable pour l’opinion publique d’un pays comme l’Argentine, où le taux d’éducation est très élevé et la culture psychologique très développée, a tellement choqué que pour une fois, toute la presse se fait écho du problème, alors que la presse de droite ne prête d’ordinaire qu’une attention distraite à ces questions.

C'est l'inverse : l'info sur la Cour
a droit à la photo centrale
Les handicapés se retrouvent dans le titre
secondaire tout en bas
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Ce n’est pas la première fois que Mileí et sa clique s’en prennent aux handicapés en Argentine. De nombreux outils publics de soutien à cette population ont déjà disparu, pour laisser les intéressés et leurs familles se débrouiller tout seuls, ce dont il n’est pas sorcier d’imaginer que cela n’est possible dans aucun pays, quel que soit son degré de développement, quelle que soit la civilisation à laquelle il appartient.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :
lire l’article de Página/12
lire l’article de La Prensa
lire l’article de Clarín
lire l’article de La Nación

jeudi 27 février 2025

La trumpisation de l’Argentine continue [Actu]

Mileí enquête sur Mileí
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Décidément, tout y est. Tout comme aux États-Unis : les distinctions bidons, le ministère de la Justice mis au service du président pour le protéger de ses propres turpitudes, la censure de la presse, la violation des droits du Congrès qui a la prérogative de valider les nominations à la Cour suprême et la consommation qui s’effondre. Le cynisme est partout de mise. Le tableau est de plus en plus inquiétant !

La presse s’y intéresse de manière inégale. Tout dépend de l’idéologique que sert le quotidien. Personne ne sera étonné d’apprendre que Página/12, qui est à 100 % contre la politique en vigueur, est le seul journal national à se pencher sur l’ensemble des sujets. Les autres titres, qui hésitent entre l’opposition à Mileí et la complicité avec lui et sa clique, font un tri soigneux dans l’actualité.

Cela se constate sur les Unes des quatre titres principaux.

Pas grand-chose sur les scandales argentins
En revanche, Trump a droit à sa photo, lui !
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Enième distinction bidon :
Hier, le président s’est vanté d’avoir reçu le titre d’économiste de l’année remis par l’Ordre des Économistes du Brésil, une obscure organisation sans activité publique avouable mais qui vient de subir un cambriolage en règle et appelle le grand public à lui venir en aide (quel culot !). Sur leur site Internet, ils étalent les photos de leurs locaux dévastés et de tableaux de maître qui leur auraient été dérobés. Si ces gens ont possédé une telle collection, c’est qu’ils ont beaucoup d’argent, si toutefois il s’agit d’originaux. Sur leur site, aucune information sur leurs membres, rien sur la composition de leurs instances dirigeantes, leurs statuts, leurs activités institutionnelles. Rien non plus sur ce titre d’économiste de l’année. Aucune mention des récipiendaires précédents, pas même un mot sur Mileí. Aucune photo de leurs activités mondaines que ce genre de groupe a l’habitude d’exhiber. Même leur page Wikipedia en portugais, que j’ai pris la peine de consulter hier, ne contenait presque rien. Une date de fondation. Le nom du président en activité. L’article prétend qu’ils auraient une activité d’éditeurs d’articles et d’ouvrages de vulgarisation mais on ne trouve aucun catalogue de leurs publications nulle part, aucune liste de leurs auteurs. Le Conseil Économique du Brésil n’a pas tardé à tirer le signal d’alarme. Il a averti urbi et orbi que l’OEB est un groupuscule marginal sans aucune consistance scientifique ou quoi que ce soit qui puisse donner à sa récompense une quelconque valeur. Ce n’est que du vent mais Mileí est flatté une nouvelle fois et il bombe le torse à l’idée d’ajouter un nouveau hochet à sa puérile collection ! C’est toujours la même chose : des groupes inconsistants cherchent à capter un peu de lumière, ils annoncent qu’ils ont décerné un prix à Mileí et décrochent aussitôt une rencontre avec le chef de l’État argentin qui va même jusqu’à se déplacer, aux frais des contribuables, dans leur pays pour recevoir le colifichet en question et plus si affinités. En Espagne, Mileí en a profité pour insulter le président du Gouvernement, Pedro Sánchez, dans le cadre d’un meeting électoral de l’extrême-droite. Aux États-Unis, il a caressé, là encore en pleine campagne, l’électorat anti-démocratique qui a fait le succès de Trump en novembre. Au Brésil, il est clair qu’il va soutenir son grand pote Jair Bolsonaro, désormais poursuivi par la justice fédérale pour la tentative de coup d’État sur la Place des Trois Pouvoirs à Brazilia.

"La Cour [surpême] décide si elle permettra à Lijo de prendre place.
Forte réactions chez les chefs d'entreprise"
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Le ministère de la Justice mis au service du Président :
Mileí a prié la cheffe de cabinet du ministre de prendre la tête d’un cabinet d’instruction créé à cette fin pour enquêter sur le Crypto-gate, escroquerie géante à laquelle il a apporté son indispensable concours la semaine dernière et qui a maintenant des répercutions judiciaires aux États-Unis (nombreuses victimes chez l’Oncle Sam) ainsi qu’en Espagne puisque l’un des concepteurs de l’opération réside une partie de l’année à Barcelone. Página/12 en a fait sa Une. On y voit Mileí, qui se dit victime de l’arnaque, suivre ses propres traces.

Censure de la presse :
Samedi 1er mars, ce sera l’ouverture de la session du Congrès. Le président prononcera son discours à 21h et non pas à midi, comme c’est la tradition, prétendument, comme l’année dernière, pour que plus de monde puisse assister à la retransmission en direct à la télé (le dernier samedi de l’été, l’avant-veille de la rentrée, à 21h, les Argentins ont mieux à faire que de se caler devant leur poste s’il ne s’agit pas d’un match de foot !). Pour la première fois cette année, tous les journalistes ne seront pas admis sous la coupole du Congrès et ce n’est même pas celui-ci qui distribuera les accréditations. Depuis cette semaine, la sœur du président a en effet pris la haute main sur l’image publique et la voix de son frangin. C’est elle, la secrétaire-générale de la présidence, qui va désigner les heureux élus admis auprès du prince et de sa cour.

"Lijo a obtenu le droit de partie et la Cour suprême
doit décider si elle procède à la prestation de serment"
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Nomination par décret de deux nouveaux juges à la Cour suprême :
Selon la constitution, les nominations à la Cour suprême sont une compétence partagée entre le président, qui propose les noms des futurs magistrats, et le Sénat, qui valide leurs nominations après avoir examiné leurs aptitudes à la fonction. Cette fois-ci, tout passe par décret et c’est le branle-bas de combat à tous les étages de la société. De nombreux élus, les organisations représentatives du monde judiciaire, le patronat, les médias, les associations, les syndicats, les partis, même un ancien juge à la Cour suprême fraîchement retraité, Juan Carlos Maqueda, protestent vigoureusement contre cette mesure. Mauricio Macri lui-même, l’ancien président de droite, pourtant très peu scrupuleux dans ces domaines, condamne sans barguigner ces décrets. Cela n’y change rien pour le moment. Un ministre a même osé présenter aux médias une justification de ce décret anticonstitutionnel : le président aurait procédé ainsi parce qu’il ne parvenait pas à trouver au Sénat le nombre de votes suffisants pour faire valider les nominations. Le pire de tout est sans doute qu’une instance judiciaire a admis le fait accompli en autorisant l’un des deux magistrats à quitter son poste en son sein pour prendre ses fonctions à la Cour suprême. On attend maintenant de voir si l’actuel président de ladite Cour acceptera ou non de faire prêter serment aux deux collègues ainsi nommés et qui ne dénoncent pas l’illégalité du procédé. Comme à Washington, la plus haute juridiction du pays reniera-t-elle sa mission qui est de protéger l’État de droit ?

Mileí : J'ai entendu quelque part qu'on va me nommer
Economiste de l'Année
Le conseiller : "Des dégâts", Javier, "Des dégâts"
Dessin de Paz, texte de Rudy, à la Une de Página/12 aujourd'hui
Traduction © Denise Anne Clavilier
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Consommation en deuil :
Le bilan de 2024 vient de sortir. Il est édifiant mais sans surprise. Dans les supermarchés argentins, en valeur constante, les ventes 2024 ont chuté de 11 % par rapport à 2023 (dernière année du mandat de Alberto Fernández). Seuls Página/12 et La Prensa s’y intéressent ce matin.

Et pour couronner le tout, comme ambassadeur aux États-Unis, Mileí envoie, par décret, légitime celui-là, un homme qui n’a ni compétence et ni expérience en matière de diplomatie. Il a été choisi pour avoir créé un instrument en ligne d’import-export. En France, à l’ambassade américaine, nous avons un repris de justice gracié par Trump lors de son premier mandat parce qu’il est le père de son gendre, celui-là même qui veut, avec l’appui de beau-papa, faire de la Bande de Gaza un Miami-Las Vegas méditerranéen ! Que Trump donne son placet à l’Argentin, c’est compatible avec tout ce que nous avons vu depuis le 20 janvier mais qu’allaient faire l’Élysée et le Quai d’Orsay dans cette galère ? Ils seraient mieux inspiré de tenir tête, comme Zelensky.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

Économiste de l’année :
lire l’entrefilet d’aujourd’hui de Página/12 (il y avait un article plus développé et plus factuel hier sur le même sujet)

Auto-enquête :
lire l’article de Página/12
lire l’article de La Prensa
lire l’article de La Nación

Censure de la presse :
lire l’article de Página/12
lire l’article de La Prensa
lire l’article de Clarín
lire l’article de La Nación

Décret anticonstitutionnel :
lire l’article de Página/12 d’hier
lire l’article de Página/12 sur les justifications présentées par le ministre
lire l’article de La Prensa sur la réaction des avocats constitutionnalistes
lire l’article de La Prensa sur les justifications du ministre
lire l’article de Clarín sur les réaction de la société civile
lire l’article de Clarín sur les propos du juge Juan Carlos Maqueda
lire l’article de La Nación sur les réactions de la société civile
lire l’article de La Nación sur les propos de Juan Carlos Maqueda

Chute de la consommation :
lire l’article de Página/12
lire l’article de La Prensa

Nomination de l’ambassadeur aux États-Unis :
lire l’article de Página/12
lire l’article de La Nación


Ajouts du 28 février 2025 :
La Cour suprême a fait prêter serment, en catimini, sans invité ni journalistes, ce qui n’est pas dans la tradition, à l’un des deux magistrats cités dans le décret présidentiel et retient sa décision concernant l’autre. Les trois juges, clairement de droite, qui composaient la Cour ne doivent pas avoir la conscience tranquille pour agir ainsi.
Pour en savoir plus :
lire l’article de Página/12
lire l’article de La Prensa
lire l’article de Clarín
lire l’article de La Nación


mardi 25 février 2025

Après avoir bafoué ses compatriotes et trompé les épargnants. Mileí trahit l’Ukraine [Actu]

"Brutal changement de Mileí :
en accord avec Trump, il retire son appui
à l'Ukraine", dit le gros titre
au-dessus d'une photo relative aux prières
pour le rétablissement du pape
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En suiveur servile de son idole, Donald Trump, Mileí vient de faire s’abstenir l’Argentine lors d’un vote à l’Assemblée générale de l’ONU : une résolution présentée hier, troisième anniversaire de l’invasion à grande échelle, par l’Ukraine et une cinquantaine de pays partenaires pour réclamer le départ des troupes russes du territoire ukrainien et l’instauration d’une paix juste et durable dans le respect de l’intégrité territoriale du pays agressé.

Quelques députés de la droite libérale (Macri) contestaient hier
le changement diplomatique de l'Argentine
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Cette abstention constitue un changement radical de la position argentine qui avait toujours soutenu que la Russie avait déclenché une guerre illégale en février 2022 et que le droit international devait s’appliquer. Une position d’autant plus importante que l’Argentine s’est toujours appuyée sur le concept d’inviolabilité des frontières pour contester au Royaume-Uni sa souveraineté sur les îles Malouines (et d’autres archipels de l’Atlantique sud) puisque la Grande-Bretagne ne doit sa position sur ces terres qu’à un coup de main de la Royal Navy en 1833, sans avoir au préalable déclaré la guerre à l’Argentine que Londres avait reconnue en 1824, à une époque où la déclaration de guerre était une condition sine qua non pour qu’une guerre soit légitime et puisse, après la fin des hostilités, aboutir à des cessions territoriales entérinées par un traité de paix, négocié par tous les belligérants concernés. Ainsi donc, non seulement Mileí trahit l’Ukraine dont il n’a cessé de se dire le partisan indéfectible depuis le début de sa campagne électorale mais il a encore un peu plus fragilisé la diplomatie de son pays, déjà bien compromise par ses pitreries indécentes et par le récent scandale de la crypto-monnaie, qui a prouvé aux yeux de tous son insondable incompétence en économie.

L'information est annoncée en haut au centre
(avec une photo de Zelensky bras le long du corps)
De son côté, l'opposition péroniste se réorganise
et reprend du poil de la bête
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Ce matin, la presse nationale argentine réagit assez vertement à ce changement de cap. Même Página/12, assez hostile à l’Ukraine et plutôt poutinien par anti-américanisme, traite l’information en une. Hier soir, juste après le vote, les articles en ligne soulignaient tous, encore plus fortement qu’aujourd’hui, le caractère de trahison que revêt cette nouvelle posture internationale et la servilité dont elle témoigne à l’égard de Trump, un président américain dont aucune rédaction n’approuve le moindre comportement depuis le 20 janvier.

Une députée d'un groupe d'opposition à éclipse
proteste vertement contre l'abstention de l'Argentine à l'ONU
"Les affaires étrangères, c'est de la politique de l'Etat,
pas du copinage du président"
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La Nación publie même aujourd’hui deux articles sur le sujet. Au-delà de l’analyse du vote lui-même, qui place l’Argentine du côté des gouvernements mis au ban de la communauté internationale (Biélorussie, Cuba, Venezuela, Iran ou Corée du Nord), le quotidien de la droite libérale et démocratique bien élevée, celle du patriciat argentin éduqué et raisonnablement cultivé, rappelle toutes les déclarations officielles à travers lesquelles, pendant plus d’un an de mandat, Mileí s’était offert le luxe de se présenter comme le premier des défenseurs de l’Ukraine, ce qui est mensonger. Cette auto-présentation vient probablement d’une rivalité mesquine avec le jeune président chilien, Gabriel Boric, une des voix respectées et respectables de la gauche sud-américaine, qui s’était dignement prononcé pour l’Ukraine, avant l’élection de Mileí, lors d’un sommet des pays hispanophones, où il avait laissé éclater sa colère contre l’aveuglement de ses homologues de gauche (en particulier le président colombien) et la tiédeur de la posture neutre adoptée par un Alberto Fernández qui n’a jamais eu les moyens politiques d’imposer quoi que ce soit à sa majorité dominée par Cristina Kirchner, inconditionnelle russophile.

L'information est signalée dans la colonne de droite
en haut, sous les deux petites photos
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Le quotidien de droite passe en revue les trois rencontres entre Mileí et Zelensky, à Buenos Aires, le 10 décembre 2023, en Suisse en juin dernier (1), puis à Davos, il y a un mois. A chaque fois, Mileí avait bombé le torse en jurant fidélité éternelle à la noble cause ukrainienne. Et il a tourné casaque au premier coup de sifflet de Trump lorsque la semaine dernière, il a insulté Zelensky et répété comme un perroquet la plus grossière propagande russe.

Réaction de la députée d'opposition sociale-démocrate
Margarita Stolbizer, outrée
"Et ça se dit leader mondial !"
Elle parle de la trahison de l'Ukraine
(traicionar a Ucrania)
Remarquez la photo !
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En ce qui me concerne, il m’avait toujours semblé que le postulat pro-ukrainien de Mileí était une imposture. Durant sa campagne, il me paraissait en effet évident qu’il ne cherchait qu’à afficher des positions systématiquement opposées à celle de Fernández, alors très impopulaire, ce qui était un moyen de se faire élire à peu de frais intellectuels (son opposition était générale, y compris sur le covid). Après l’élection, Zelensky est resté silencieux pendant deux jours avant de lui téléphoner pour lui adresser ses félicitations officielles. Ce que j’ai interprété comme une réserve ou une hésitation de sa part puisque ce n’est pas dans ses habitudes diplomatiques.

Puis il a assisté à la prestation de serment de Mileí le 10 décembre 2023. De toute évidence, pour Zelensky, c’était une occasion à ne pas manquer : c’était la première fois qu’un chef d’État ukrainien était invité à fouler le sol sud-américain, ce qui ne peut pas se refuser surtout dans les circonstances politiques traversées par son pays et cette invitation lui offrait en outre le cadre de nouveaux entretiens avec ses homologues régionaux, présidents en exercice du Chili (à gauche), de l’Uruguay, du Pérou, de l’Équateur, du Guatemala et du San Salvador (droite, voire extrême-droite), tous soutiens de l’Ukraine dans la faible limite des moyens de leurs pays. Gouvernés à gauche et de ce fait hostiles à l’Ukraine pour le seul motif celle-ci était vilipendée par leur cher Poutine et soutenue par les vilains États-Unis, ni le Brésil ni la Colombie n’étaient représentés à haut niveau puisque Mileí avaient insultés ces deux présidents tout au long de sa campagne (avant de tâcher de corriger le tir dans les jours qui ont suivi sa prestation de serment).

Cette investiture avait été marqué par un geste saugrenu de Mileí : dans des circonstances où il n’y a pas d’échange de cadeaux diplomatiques, à son homologue ukrainien, qui refuse systématiquement de faire mention de sa judéité dans la vie publique, que ce soit dans sa carrière artistique ou sur la scène politique, le nouveau président avait tendu un chandelier rituel juif, qui plus est de taille gigantesque et de style hideux. C’était totalement déplacé à l’égard du président d’un pays en guerre qui pousse sa communication politique jusqu’à afficher le conflit en cours dans sa tenue vestimentaire.

Le mois suivant, il y a eu une non-rencontre significative à Davos où tous les chefs d’État et de gouvernement de pays démocratiques présents ont soigneusement évité de croiser Mileí dans les couloirs. Le tout nouveau président argentin, déjà pestiféré aux yeux des démocrates du monde entier, n’y a eu d’entretien qu’avec le ministre des Affaires étrangères britannique (à ce stade précoce de son mandat, cet admirateur de Thatcher tenait à courtiser les conservateurs britanniques), la directrice du FMI (pour quémander un nouveau prêt) et la reine des Pays-Bas qui est d’origine argentine et rencontre, pour cette raison, tous les chefs d’État de son pays natal quelle que soit leur positionnement politique ou idéologique. A Davos, elle remplit une mission des Nations-Unies : sensibiliser les dirigeants politiques et économiques au besoin d’instaurer une plus juste répartition des richesses sur cette planète détruite par l’âpreté au gain d’un petit nombre (bien représenté sur place). Avec Mileí, elle n’a pas dû s’amuser ! En ce tout début d’année 2024, celui-ci n’a passé qu’une douzaine d’heures à Davos, au cours desquelles il a réussi l’exploit de faire rire son auditoire compassé et clairsemé avec son discours officiel, où il a, comme Vance à Munich, déversé des propos insultants contre les démocraties, toutes accusées d’être rongées par le « cancer du communisme ».

En juin, on a eu droit au grand n’importe quoi du sommet sur la Paix, puis en janvier, à une rencontre à Davos fort peu commentée par les Ukrainiens comme par les Argentins, déjà largement désabusés. A cette occasion, il semble que la séance photo ait donné lieu à deux clichés, que l’on retrouve dans la presse argentine de ce jour : sur l’un seul, on voit Mileí faire son signe-slogan avec les deux pouces levés tandis que Zelensky se tient souriant à ses côtés les deux bras le long du corps comme d’habitude ; sur l’autre, l’Ukrainien lève lui aussi les pouces (que les photographes aient réclamé le geste à grands cris ne m’étonnerait pas : Zelensky semble tout faire pour éviter ces exercices de communication puérils et grotesques).

Entre temps, un accord commercial avait été signé entre les ministres de la défense des deux pays pour la production de munitions dans une usine argentine dont le personnel aurait sûrement été très heureux d’honorer cette commande mais le gouvernement était décidé à privatiser toutes les entreprises nationales et celle-là fait sans doute partie de tout ce dont ils veulent se délester. Toujours est-il que l’accord prometteur est resté lettre morte. L’Argentine s’est contentée de livrer quelques hélicoptères. Cela aura été la seule aide militaire concrète de ce gouvernement si fier de son supposé soutien. Plusieurs invitations ont aussi été lancées à Mileí pour qu’il se rende à Kiyv comme le font tant d’ardents défenseurs de la cause ukrainienne. A chaque fois, il avait promis de faire le voyage. Personne ne l’a encore vu ni à Kiyv ni ailleurs en Ukraine.

Dans ses rencontres avec la presse latino-américaine, jusqu’au bout, Zelensky a tenté de ménager la susceptibilité de son homologue en limitant ses attentes officielles à son égard. En vain ! Il n’aura rien obtenu.

Tableau du vote à l'ONU de la résolution proposée par
l'Ukraine et cinquante de ses partenaires
cliquez sur l'image pour une haute résolution
(la photo complète vient de l'agence de presse Ukrinform)


Si Mileí voulait Zelensky à son investiture, ai-je tendance à penser, c’était pour deux raisons : 1) c’était une célébrité internationale très admirée dont la présence à Buenos Aires ce jour-là pouvait projeter son arrivée au pouvoir à la une des médias du monde entier, ce qui flattait la fatuité de cet imbécile, et hélas, ça a marché ; 2) Très probablement, jusqu’au 10 décembre 2023, Mileí aura cultivé un intérêt malsain pour Zelensky à cause de sa judéité parce que le président argentin éprouve pour cette religion, qui plus est dans une version très rétrograde, une fascination à la fois immature et peu sincère, alors qu’il ne respecte même pas le chabbat (2). Or cet intérêt a dû s’évaporer lorsque Mileí a constaté que a) Zelensky refuse ce positionnement confessionnel (ce qui n’est pas difficile à découvrir en le suivant d’un peu près) et b) qu’il n’a rien d’un admirateur inconditionnel d’Israël, tandis que l’Argentin se veut à tu et à toi avec Netanyahu et ses alliés d’extrême-droite. Dès lors, Mileí n’avait plus qu’un seul motif de soutenir l’Ukraine, et encore du bout des doigts : l’imitation aveugle et inconditionnelle de la diplomatie washingtonienne, qui vient de tourner casaque.

L'information est présentée en bas à droite
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© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

lire l’entrefilet de La Prensa
lire l’article de Clarín, que l’on doit à une journaliste qui a interviewé Zelensky à Kiyv et elle a apprécié cette rencontre
lire l’article principal de La Nación
lire l’article de La Nación sur le déroulé des relations entre les deux chefs d’État.




(1) Ce qu’oublie de dire le ou la journaliste, c’est que Mileí avait déjà flanché à ce moment-là puisqu’après avoir annoncé dans un premier temps qu’il se rendrait au sommet sur la Paix organisé par les Suisses, il avait fait savoir quelques jours plus tard que finalement il ne s’y rendrait pas, avant de changer à nouveau d’avis après un coup de fil de Zelensky. Et, ô surprise, on avait assisté sur place à un spectacle surprenant : Zelensky avait décoré Mileí, ce qu’il n’avait pas fait avec les autres participants dont la plupart se sont rendus une ou plusieurs fois à Kiyv et ont reçu sur place différentes marques de gratitude de l’État ukrainien. De là à subodorer que pour le faire participer à la conférence internationale, Zelensky l’ait appâté avec ce hochet, il n’y a qu’un pas. Mileí court derrière toutes les décorations et tous les prix, partout sur la planète, prenant tout ce qui se présente sans aucune discrimination. Cette décoration ukrainienne est sans nul doute la plus respectable et la plus prestigieuse de sa collection, constituée de tas de bricoles sans aucun caractère officiel, décernées par des institutions privées la plupart du temps d’extrême-droite.

(2) Le vendredi 1er mars 2024, il a décalé à 21h au lieu de l’horaire traditionnel de midi son discours d’ouverture de la session parlementaire alors qu’en s’exprimant à midi, il n’aurait aucunement enfreint le repos hebdomadaire scrupuleusement respecté par tous les pratiquants. Donc il se moque du monde et diverses associations confessionnelles juives le lui ont reproché dès le surlendemain.