Rechercher dans ce blog

dimanche 23 mars 2025

L'Orphéon catalan et le Palau de la Música catalana — Reportage photos

 Le Palau de la Música Catalana est une salle de concerts barcelonaise déclarée Monument national en 1971 et inscrite au Patrimoine mondial de l'Humanité par l'UNESCO en 1997. Construit par l'architecte Lluis Domènech i Montaner pour être le siège de l'Orfeó Català et financé par des dons privés, c'est une perle du patrimoine architectural et musical de Barcelone.

Dissimulé dans les ruelles de la partie haute du quartier de La Ribera, il s'agit d'un édifice moderniste très singulier :  le Palau de la Música Catalana conjugue sur sa magnifique façade, la sculpture, la mosaïque, les vitraux et les arts de la forge. La façade, faite de briques apparentes, présente une magnifique polychromie apportée par le revêtement en mosaïque, et est dominée par une somptueuse et symbolique sculpture de Miquel Blay où apparaît Sant Jordi brandissant le drapeau catalan. On accède à l'édifice par l'entrée annexe au Foyer, un nouvel espace aménagé comme point de rencontre ouvert au public toute la journée, ou par son vestibule, flanqué par deux réverbères représentatifs de la Barcelone de l'époque et qui fut son ancienne porte principale. 

Les orphéons - L'Orféo Català (L'Orphéon catalan)

Au courant du 19ème siècle, en plusieurs points de la Catalogne, d’importantes chorales se constituèrent, et il faut citer ici l’impulsion que donna au mouvement un artiste de grande énergie, Josep Anselm Clavé i Camps (1824-1874), un homme politique et musicien barcelonais, père du mouvement des orphéons en Catalogne et en Espagne. Clavé avait contribué à enseigner la technique du chant d’ensemble aux chorales du pays et les a dotées d’un répertoire de chants d’une inspiration ferme et populaire.

L’art du chant d’ensemble était destiné à prendre un développement considérable en Catalogne. Les grandes chorales mixtes (voix d’hommes, de femmes et d’enfants) y sont très nombreuses aujourd’hui. Ce furent les auditions de chorales étrangères, à l’Exposition Universelle de Barcelone, en 1888, qui donnèrent l’idée de constituer une chorale analogue en Catalogne. Cet épanouissement est dû avant tout à Louis Millet et à l'Orphéon catalan. Simple, sérieux, sans aucune pose, enthousiaste de son art, croyant, dans la plus belle acception du terme, Louis Millet est un esprit essentiellement religieux, et il a pour l’art le même culte que pour la religion. Il renouvelle la grande tradition des artistes catholiques du Moyen Age, pour qui l’art collabore avec la foi en un même idéal. Cette attitude établit une certaine parenté entre Millet et Vincent d’Indy. Il a fallu beaucoup d’énergie à Millet pour organiser l’Orphéon catalan, et pour en faire une des meilleures chorales qui soient. L’Orphéon catalan ne chante que de belles œuvres, simples comme les vieilles chansons du pays, ou d’une polyphonie complexe, Palestrina, Vittoria, J.-S. Bach. Avant la fondation de l’Orphéon catalan en 1891, il n’y avait de musique à Barcelone que dans les cafés.

On commença avec vingt-huit choristes. Dès 1893, il y en eut cinquante. En 1895, on organisa la section d’enfants, et l’excellent musicien Francesc Pujol, disciple de Millet, seconda le maître dans le travail, chaque jour plus considérable, exigé par l’Orphéon. En 1896, ce fut le tour de la section de femmes. En 1897, il y avait cent choristes. En 1916, ils étaient deux cent trente-neuf . De jour en jour, le prestige de l’Orphéon allait croissant. Dès 1895, il donnait de nombreux concerts dans diverses villes de Catalogne et dans les églises ; la même année, il collaborait avec la Chapelle nationale russe, venue à Barcelone, et dont l’influence fut considérable par son sens artiste et la perfection de ses exécutions. Dans le Midi de la France, les concerts de l’Orphéon, à partir de 1897 (Concours International de Nice), furent des triomphes.

Après avoir usé de locaux de fortune et changé souvent de lieu de réunion, la grande chorale reçut un local digne d’elle, le Palais de la Musique catalane, construit par l’architecte Lluis Doménech i Montaner (1850-1923) et inauguré en février 1908. Le Palau de la Mùsica Catalana (1905-1908) est remarquable par la variété des matériaux utilisés, la fantaisie allégorique. Les couleurs de la coupole du maître verrier Antoni Rigalt composent un ensemble éblouissant. Outre la grande salle, dont l’acoustique est parfaite, il renferme une salle de répétitions, une bibliothèque, diverses salles pour l’administration.

L’Orphéon publie un bulletin, la Revista musical catalana, fondée en 1903. Les exécutions de l’Orphéon catalan sont connues pour être d’une très grande perfection. Millet a expliqué à plusieurs reprises comment il entend l’interprétation chorale. Selon lui , le but de cette interprétation n’est ni l’effet brillant ni l’exécution de difficultés techniques, mais la tenue dans l’expression, le rendu exact de l’émotion, avec tout le nuancé qui la traduit. Il faut que chacun se rende compte de ce qu’il chante et que l’ensemble donne un sentiment d’harmonie et de plénitude. L'Orphéon catalan est parvenu à réaliser ce programme. Conscient de son art, Millet a écrit do nombreuses études sur la musique : elles ont paru en volume sous le titre Pel nostre Idéal (1917).

Le rôle de l'Orphéon dans l’expansion du sentiment national catalan est considérable. Il a donné son expression à la forme musicale de ce sentiment.

La salle de concert du  Palais de la Musique Catalane 

La visite de la salle de concerts est le clou du parcours. Elle est l’une des salles de concerts les plus spéciales au monde et l’un des monuments les plus représentatifs du modernisme catalan. Elle offre une excellente acoustique, raison pour laquelle de nombreux artistes de grande renommée ont joué dans ces locaux et sont tombés amoureux d’elle. La Salle de Concerts, aux proportions harmonieuses, à la riche décoration et grande luminosité grâce la grande lucarne centrale, est l'élément principal du bâtiment. De manière exceptionnelle, on peut marcher sur la scène et voir le Palau du point de vue des artistes. Enfin dans la salle Lluís Millet, qui porte le nom du fondateur de l'Orfeó Català, on peut observer de près la colonnade du balcon de la façade principale grâce à sa spectaculaire baie vitré. 

Il s’agit d’un espace lumineux et coloré composé de vitraux, dans lequel chaque détail est soigné au maximum pour faire plonger les spectateurs dans un monde de fantaisie. Domènech i Montaner intègre abondamment les arts appliqués au sein de son édifice, Des bustes, des reliefs et des sculptures remplissent de magie la salle et la scène. L’ambiance y est idéale pour profiter de n’importe quel type de musique. On remarquera entre autres chefs-d'oeuvre, un buste de Beethoven, Pégase et le groupe de la Chevauchée des Walkyries de Wagner, une oeuvre magistrale du sculpteur Pablo Gargallo. La thématique florale qui orne plusieurs endroits du palais, les statues au corps en mosaïque et le buste en relief sont l'œuvre du sculpteur Eusebi Arnau, qui participa à de nombreuses œuvres modernistes emblématiques.

Domènech i Montaner fait preuve d'une grande originalité dans la conception du palais. Il utilise une structure métallique inédite pour libérer de grands espaces fermés par du verre. Le recours à un patio intermédiaire entre l'édifice et l'église qu'il jouxte permet l'arrivée de lumière de manière uniforme et symétrique dans la salle de concert. Enfin, le parti-pris de construire la scène au premier étage permet un éclairage naturel par le plafond. 

Si la vocation première du palais était de recevoir des concerts de chorale, de la musique symphonique et des récitals, il est utilisé aujourd'hui pour tous les types de musiques, du classique à la musique moderne. Il poursuit sa vocation pédagogique en accueillant tout au long de l'années des concerts destinés à un public scolaire.

Reportage photographique 


Chevauchée des Walkyries





























Pégase

Chevauchée des Walkyries


Sources : compilation de renseignements glanés sur divers sites, dont le site Barcelonaturisme, Wikipedia et surtout l'Historial de l'Orfeó català, publié en 1916, lors du 25ème anniversaire de sa fondation.

Crédit photos © Marco Pohle (25 premières photos) et Luc Roger (7 dernières photos)

Pour votre visite de Barcelone, le site Barcelonaturisme est tout indiqué.

jeudi 20 mars 2025

Le Lohengrin iconoclaste de Katharina Wagner au Liceu de Barcelone

Klaus Florian Vogt (Lohengrin) et le cygne noir © A. Bofill 

La nouvelle production de Lohengrin mise en scène par Katharina Wagner au Liceu vient enfin d'être portée sur les fonts baptismaux après avoir connu une double annulation, d'abord à Barcelone en 2020 en raison du confinement lié au Covid, puis à Leipzig en 2022 à cause de problèmes logistiques (voir notre article). Katharina Wagner a repris son projet initial en y apportant de légères modifications. La metteure en scène, qui avait déjà mis en évidence la face sombre et cachée du personnage principal dans son Lohengrin de Budapest en 2004, a tenté de l'explorer en profondeur : elle  fait de Lohengrin un être manipulateur, ambitieux et criminel capable de tuer pour accéder au pouvoir. Le cygne, témoin de son crime, le hantera tout au long de l'opéra, tourmentant sa conscience jusqu'à ce qu'il craque et passe aux aveux.

Dès le prélude d'ouverture, on suit les jeux d'une paire de jeunes gens en train de mimer un combat puis un couronnement, comme le feraient des enfants : le jeune homme porte une épée en bois, la jeune femme le sacre roi en posant une couronne de carton sur sa tête. La jeune fille s'éloigne, apparaît alors Lohengrin qui se met à livrer combat contre le jeune homme, il l'accule dans un marais dans lequel le jeune homme tombe. Lohengrin lui maintient la tête sous l'eau jusqu'à ce que mort s'ensuive. Derrière le marais s'élève un monticule de schiste feuilleté sur lequel repose un cygne noir grandeur nature qui fait froufrouter les plumes de ses ailes et dont la tête et le col sont mobiles, une petite merveille de mécanique. Le cygne est le témoin du meurtre de Gottfried, le frère d'Elsa de Brabant. Lohengrin laisse le cadavre au fond de la mare et cache la couronne sous des strates de schiste. La scène se passe dans une forêt sombre, des séries d'arbres morts placés aux entrées des coulisses encadrent la scène. Derrière le monticule schisteux l'image boisée en fond de scène accroît encore l'effet de profondeur. Le scénographe Marc Löhrer a réussi un décor spectaculaire qui nous transporte dans l'atmosphère froide et glaciale du Duché de Brabant. 

La metteure en scène s'éloigne délibérément de la définition romantique de l'opéra Lohengrin qui est traditionnellement perçu comme un conte fantastique et mythique. Elle dépouille l'opéra de ses composantes surnaturelles pour nous offrir un roman noir, un thriller qui fait de Lohengrin un être double, rayonnant dans la blancheur lumineuse de ses vêtements et dans la ligne romantique de son chant, mais dont la noble apparence cache une personne fourbe sans foi ni loi, sinon la sienne propre. Katharina Wagner provoque et déstabilise le public en pratiquant une inversion des rôles, qui blanchit l'ambitieux Telramund et donne à Ortrud une dimension jusqu'ici inconnue. Si cette perspective nouvelle surprend, on peut l'accueillir avec étonnement et curiosité pendant le premier acte. Mais elle devient bien vite incompréhensible, tant le livret et la musique la contredisent. La dichotomie entre l'opéra d'origine et le concept de la mise en scène s'exacerbe. À la fin de l'opéra on assiste à un bain de sang shakespearien. Ortrud, qui en fouillant le marais avec Telramund avait déjà retrouvé le vêtement de Gottfried, le frère d'Elsa, retire son corps sans vie des eaux fétides. Ce cadavre ne ressuscitera pas, Lohengrin étranglera Ortrud avant de se suicider en se taillant les veines des poignets. Elsa s'effondre pour ne plus se relever. La metteure en scène n'a pas servi l'oeuvre mais s'en est emparée pour la détourner au profit de l'expression de sa propre vision. Lors des salutations, le public, enchanté par l'excellence de la direction d'orchestre, des choeurs et des chanteurs, les acclame avec vigueur, mais il va marquer sa mauvaise humeur par une houle de huées quand apparaît l'équipe de production.

Pourquoi avoir choisi un cygne noir en lieu et place de l'habituel cygne à la blancheur immaculée qui souligne l'innocence du jeune Gottfried ? C'est au spectateur d'en déterminer la symbolique. Peut-être le cygne noir porte-t-il le deuil de la mort de Gottfried. Les doctes wagnériens se souviennent sans doute du récit qu'a donné Richard Wagner dans Mein Leben (Ma vie) des circonstances de son séjour dans le somptueux immeuble qui était alors la résidence de l'ambassadeur de Prusse à Paris. Wagner y fut accueilli du 11 au 31 juillet 1861. Wagner, en proie aux soucis d'argent et sans domicile,  avait été discrètement soutenu par le comte Albert de Pourtalès, ambassadeur de Prusse à Paris, et par sa femme Anna, née Bethmann-Hollweg. « On m’y donna une jolie chambrette avec vue sur le jardin et d’où l’on apercevait les Tuileries. Dans le bassin se baignaient en solitaires deux cygnes noirs qui me plongeaient dans une douce rêverie. […] J’y composai deux pages d’album : l’une, destinée à la princesse Metternich […] l’autre, dédiée à la comtesse de Pourtalès, a été perdue ». La page d'album pour piano datée du 29 juillet 1861 a été retrouvée, elle a pour titre Ankunft bei den schwarzen Schwänen [WWV 95]. Dans la nouvelle production, le cygne noir accompagne Lohengrin tout au long de l'opéra, témoin silencieux du meurtre. Lohengrin tentera à plusieurs reprises de s'en débarrasser, d'abord en lui décochant un coup de pied qui le fait disparaître en coulisse, ce qui déclenche le rire des spectateurs, puis en essayant de l'enfermer dans une des nombreuses malles militaires. Mais le cygne accusateur revient toujours hanter le fils de Parsifal, comme un boulet au pied d'un condamné à mort.

Miina-Liisa Värelä en Ortrud  © David Ruano

Les malles militaires constituent un autre leitmotiv scénique, et ici aussi c'est au spectateur d'en interpréter la fonction. Elles peuvent être les malles du voyageur Lohengrin arrivé d'un pays lointain ("In fernem Land"). Ou encore les malles militaires qui accompagnent les troupes parties au combat. Elles sont empilées pour servir d'estrade à un échafaud de fortune érigé par Telramund après qu'il a réalisé un noeud coulant dans la corde avec laquelle il compte bien faire pendre Elsa, dès que le roi aura reconnu sa légitimité de suzerain du peuple de Brabant. La couronne est un autre leitmotiv : elle est la couronne destinée à Gottfried, elle est la couronne convoitée avec avidité par Ortrud qui lorsqu'elle se retrouve seule s'en pare pour une parade solitaire, elle devient un objet dérisoire en fin d'opéra parce que tous les prétendants sont morts. La corde est un autre thème récurrent : destinée à la pendaison d'Elsa, elle retourne à son expéditeur qui veut s'en servir pour se suicider alors qu'il a perdu son honneur. 

Le paysage naturel et désolé du prélude et du premier acte se voit ensuite complété par les trois grands cubes suspendus qui apparaissent au troisième acte, symbolisant les trois mondes de Lohengrin, d'Elsa et du couple Teralmund et Ortrud, des mondes condamnés à ne pas se comprendre. Les trois cubes sont juxtaposés et situés en surplomb de la scène, les personnages y accèdent par des escaliers de fer. Ce sont trois chambres au mobilier blanc, identique et spartiate, trois espaces qui viennent renforcer la psychologie complexe du drame, trois espaces dans lesquels les protagonistes peuvent dévoiler leur vrai visage et se laisser aller à leurs émotions, parce qu'ils ne s'y sentent pas surveillés :  Elsa peut y donner libre cours à sa suspicion, Ortrud et Teralmund se laisser aller à leurs ambitions régaliennes et fomenter leurs projets malveillants, Lohengrin y retrouve son cygne dont il ne parvient pas à clouer le bec.

En choisissant d'écarter le caractère fantastique et mythique du drame, la metteure en scène a tenté d’interpréter Lohengrin d’une manière qui soit socialement pertinente et contemporaine. Elle met en exergue des thèmes tels que l'identité, le secret, le pouvoir, la confiance et la méfiance et interprète l'opéra comme une œuvre qui traite de questions actuelles. Mais voilà, ce qui en début de soirée a pu attiser la curiosité du public retombe aussi vite qu'un soufflé raté. Les ingrédients du sublime poème wagnérien et de sa musique grandiose contredisent constamment le propos de la mise en scène, et cela d'autant plus qu'ils sont portés par un chef wagnérien étoilé, par un orchestre et des choeurs de tout premier plan et par une constellation de chanteurs brillantissimes.  

Miina-Liisa Värelä en Ortrud
Ólafur Sigurdarson en Telramun© David Ruano

Depuis qu'il a pris la direction musicale de l'Orchestre du Gran Teatre del Liceu lors de la saison 2012-2013, Josep Pons s'est déjà illustré en y dirigeant des œuvres de Wagner :le Ring du Nibelungen, Tristan et Isolde et ParsifalIl a fait de la musique de Wagner son fer de lance et est parvenu à faire en sorte  que l'orchestre atteigne un degré de perfection rare. La beauté lyrique, la vivacité des tempi et la dynamique de l'exécution sont  exceptionnels dans cette direction amoureuse de l'oeuvre. Dirigé par Pablo Assante, le choeur, dont le rôle est essentiel dans Lohengrin, atteint lui aussi un niveau d'excellence maximal.  On retrouve des chanteurs et des chanteuses adoubés à Bayreuth. Günter Groisböck prête sa stature athlétique et les chaleurs de son timbre à un roi Heinrich solide sur le plan scénique mais qui peine à convaincre sur le plan vocal. Roman Trexel donne lui aussi un Héraut trop en retrait du rôle qui aurait pu recevoir un développement plus convaincant. Ólafur Sigurdarson dans le rôle de Friedrich von Telramund  reste fort discret et linéaire au premier acte, mais parvient à prendre son envol aux deuxièmes et troisièmes actes et à donner toute sa dimension à son personnage. Parmi les protagonistes masculins, la palme revient sans conteste au Lohengrin de Klaus Florian Vogt qui reprend ici son rôle fétiche déjà chanté au Liceu lors de la saison 2012/2013. Son chant, d'un raffinement délicat et nuancé, peut devenir puissant et gagner en intensité, la projection, la diction et le phrasé sont irréprochables. Mais à l'impossible nul n'est tenu : le ténor reste fidèle à la partition et ne semble pas chercher à rendre compte de la duplicité imputée à son personnage par la mise en scène. Elisabeth Teige donne une Elsa d'une sensibilité à fleur de peau, elle dresse le portrait d'une femme juvénile, fragile, malheureuse et craintive, dépassée par les événements, influençable à souhait. La révélation de la soirée, le rôle le plus puissant est l'Ortrud de Miina-Liissa Värelä qui confirme sa vocation de grande soprano dramatique. Elle a brûlé les planches avec son total investissement dans le rôle,une présence scénique inouïe .Une telle qualité d'interprétation rend le personnage moins maléfique et en nuance les contours. Et si Ortrud n'est pas parvenue à ses fins en devenant duchesse de Brabant, son interprète est sans conteste la reine d'une soirée qui a connu le triomphe de la musique sur les errances de la mise en scène.

Distribution du 17 mars 2023

Direction musicale Josep Pons
Mise en scène Katharina Wagner
Scénographie Marc Löhrer
Costumes Thomas kaiser
Lumières Peter E. Younes
Dramaturgie Daniel Weber

Heinrich Günter Groissböck
Lohengrin Klaus Florian Vogt
Elsa von Brabant Elisabeth Teige.
Telramund Ólafur Sigurdarson
Ortrud Miina-Liisa Värelä
Héraut Roman Trekel
Chevaliers Jorge Rodríguez Norton, Gerardo López, Guillem Batllori, Toni Marsol. Jeunes nobles Carmen Jiménez / Mariel Fontes / Mariel Aguilar / Elizabeth Gillming

Orchestre symphonique du Gran Teatre del Liceu
Choeur du Gran Teatre del Liceu
Chef du choeur Pablo Assante

Pour la préparation d'un séjour à Barcelone, le site de l'office du tourisme : www.barcelonaturisme.com.

dimanche 16 mars 2025

Proyecto Zarza - Le Teatro de la Zarzuela offre Gran Via dans une version rajeunie

 

Pour apprécier pleinement la nouvelle production de la zarzuela Gran Via il convient d'avoir quelques notions historiques concernant cette artère majeure du centre de Madrid.

La Gran Via de Madrid, un peu d'histoire

Les premières esquisses connues de la Gran Via de Madrid datent de 1862. Il s'agit dès le départ de créer une grande artère dans le but d'assainir et de désengorger le centre de Madrid. Sa conception finale, due aux architectes José López Salaberry et Francisco Octavio Palacios, date de 1899. Sa construction ne commença qu'en 1910, sous le règne d'Alfonso XIII, et s’est achevée 19 ans plus tard. Pour réaliser ce projet  hausmannien, il fallut détruire des rues entières de demeures souvent insalubres pour faciliter le trafic et  aérer le centre de la ville. Cette artère attira rapidement  les commerces de grands noms  et les bâtiments que nous connaissons aujourd'hui : Metrópolis, Telefónica, Capitol, Palacio de la Prensa… Nombre de théâtres, de cinémas et lieux de divertissements ont fait de cette avenue l'une des plus animées de Madrid, dont le palais de la Musique, le Rialto ou le  Lope de Vega, parmi d'autres. Plus récemment  des cafés, des bars et des restaurants contribuèrent au succès de la movida.

La Gran Via n'a en tout que 1,3 kilomètre de longueur. Les travaux commencèrent aux abords de la Calle Alcalá. C'est en 1954 que le dernier immeuble a été construit, juste à côté de la Plaza de España, mais le gros oeuvre s'est terminé en 1932, sur la portion reliant Callao à la Plaza de España. Réalisée dans la zone la plus peuplée de Madrid, la Gran Via a également eu, à son époque, des vertus sanitaires : près de 100.000 habitants se trouvaient concentrés sur la zone, vivant dans des conditions d'hygiène les plus douteuses. L'ouverture de l'axe, aérant le centre ville, a permis de remédier à cette situation, tout en impulsant la construction des édifices les plus marquants de la capitale, ce qui fit de la Gran Via une prestigieuse vitrine de l'évolution de l'architecture madrilène de la première moitié du 20ème siècle. Il va sans dire que ce projet d'envergure n'alla pas sans contestations et que les débats, notamment politiques, entre ses partisans et ses détracteurs furent des plus vifs. Ils ne devaient pas laisser indifférents le monde du spectacle et c'est ainsi qu'il devint le sujet d'une zarzuela qui compte parmi les plus populaires de ce registre artistique

La zarzuela

La Gran Vía, revista cómica-lírica, fantástico-callejera en un acto (« revue madrilène comique-lyrique, fantastique-de-rue en un acte », tel est le titre original complet de l'œuvre) est une zarzuela en un acte et cinq scènes sur une musique des maestros Federico Chueca et Joaquín Valverde et un livret de Felipe Pérez y González. Elle fut créée au Teatro Felipe de Madrid le 2 juillet 1886, puis jouée longuement au Teatro Apolo. La renommée de la pièce est telle que certaines scènes durent  être modifiées, car il s'agit d'une revue d'actualité qui doit être modernisée. C'est ainsi que de nouveaux tableaux sont apparus, comme « En la calle de Alcalá », ou « El bazar de juguetes ». 

Il s'agit d'un exemple du genre chico porté sur le terrain de la revue d'actualité, dans laquelle les préoccupations sociales et politiques de l'époque sont exposées avec bonne humeur et sens satirique. Le livret, dû au grand auteur festif Felipe Pérez y González, dépeint avec habileté et satire les nouvelles du moment, montrant sur scène un grand défilé de types et de situations comiques de grand effet. 


Pour la nouvelle production le directeur musical Néstor Bayona a adapté et réorchestré la partition. La musique témoigne de la facilité mélodique de Federico Chueca et Joaquín Valverde, créant des numéros qui touchent le public comme « La jota de los ratas », « El tango de la Menegilda » ou « La mazurca de los marineritos », avec des rythmes musicaux  très souvent puisés aux sources espagnoles. La partition de la Gran Via est un bijou du style espagnol dont tous les motifs sont devenus populaires, ce qui ne les a pas empêchés de devenir classiques en même temps. Le public d'aficionados les a dans l'oreille et vient s'en régaler une nouvelle fois. Les membres de l'Orchestre National des Jeunes d'Espagne (Jonde) dirigés par  Néstor Bayona se sont montrés excellentissimes et n'ont eu aucun mal à entraîner le public dans un feu d'artifice de rythmes entraînants.

De même que dans l'opérette, il est coutumier d'adapter le texte et les décors à l'actualité contemporaine. Lorsque la zarzuela Gran Via fut créée en 1886, l'artère nouvelle n'était qu'à l'état de projet mais était au coeur de toutes les discussions. Aujourd'hui, la mise en scène d' Enrique Viana s'est attachée à rendre compte des réalités et des problématiques madrilènes du 21ème siècle avec une ironie et un mordant mâtiné d'un caractère amusé et bon enfant. Si les prestigieux immeubles de l'avenue sont suggérés par une succession de panneaux latéraux les représentant en effet stylisé, Enrique Viana place également une  partie de l'action sur le quai du métro de la station Gran Via, dans une  scénographie due au talent de Carmen Castañón. Il introduit des personnages allégoriques comme la Gentrification, la Spéculation, l'Intelligence artificielle, la Contamination, l'Hébergement touristique ou le Fonds Vautour aux côtés des personnages du livret original, comme l'ensemble des Rues du coeur de Madrid. Les costumes de Gabriela Salaverri ne rendent pas vraiment compte du caractère populaire de la zarzuela, mais plutôt de la mode parisienne, à la manière des tenues très sages mais sophistiquées de Coco Chanel. Le Fonds Vautour ressemble à Karl Lagerfeld, ce qui n'est pas très aimable pour feu le grand couturier et styliste allemand. Cristina Arias a réalisé des chorégraphies simples, des progressions de groupe assistées par le plateau tournant.


Détail amusant, nous avons croisé les jeunes participants déjà grimés du Proyecto Zarza (voir notre article d'introduction) qui prenaient des rafraîchissements dans un bar faisant face à l'entrée des artistes. Sur scène ils ont fait preuve d'un professionnalisme du plus haut niveau. On a remarqué le Cabellero de Gracia d'Iago García, le fameux Tango de la Menegilda d'Iria Goti, un air périlleux parce que le public connaît son interprétation par les plus grandes voix et que la chanteuse de 27 ans, boursière de la Fondation Ópera actual, aborde de sa voix aux clartés limpides et avec un phrasé impeccable, Lucía Beltrán semblait quant à elle se jouer des difficultés vocales du  Vals de la Seguridad.

Laissons la conclusion au philosophe Nietzsche, qui assista à une représentation de la Gran Via à Milan à la suite de laquelle il confia à un ami l'énorme impression que lui a faite la Gran Vía, et en particulier le numéro des trois rats (« Soy el rata primero. Y yo el segundo. Y yo el tercero.Je suis le premier rat. Et moi le deuxième. Et moi le troisième. »), dont il note : « Un tercet de trois canailles géantes et solennelles, c'est ce que j'ai entendu et vu de plus fort, même comme musique : du génie, impossible à classer ! ».

Ce fut bien l'avis du public madrilène ravi qui salua chaque numéro d'une salve d'applaudissements.


Projet-Zarza (« zarzuela par les jeunes et pour les jeunes »).

Direction musicale, Néstor Bayona; mise en scène, Enrique Viana ; scénographie, Carmen Castañón; costumes, Gabriela Salaverri; lumières, Alfonso Malanda; chorégraphie, Cristina Arias; visuels, Alba Trapero.

Orchestre de chambre (membres de JONDE).

Avec Rosa Maria Abella, Lucia Beltran, Arantxa Cooper, Albert Diaz, Marina Fita, Yasmin Forastiero, Iago Garcia Rojas, Rosa Gomariz, Iria Goti, Luis Maesso, Alicia Moreno Royo, Alex Parra, Nacho Quiñonero, Adrian Quinones, Andrea Rey, Miguel Angel Roldan, Miriam Silva, Marcelo Solis, Rodrigo Turegano et Nacho Zorrilla.

Photos © del Real fotografía / Teatro de la Zarzuela

jeudi 13 mars 2025

Gypsy au Teatro Apolo de Madrid dans une mise en scène d'Antonio Banderas

 

Acteur, réalisateur et producteur de cinéma espagnol, Antonio Banderas se passionne aussi pour la comédie musicale. Il a fait ses débuts dans cette discipline à Broadway dans le rôle de Guido Contini dans Nine en 2003, pour lequel il a été nominé pour un Tony Award du meilleur acteur  et a également remporté un Drama Desk Award du meilleur acteur dans une comédie musicale. Malaguène d'origine, Antonio Banderas avait dès les années 1970 rêvé de diriger un théâtre qui lui appartienne, un rêve devenu réalité en 2019 avec l'acquisition du Teatro Soho Caixabank à Malaga. Depuis 2019, il y a réalisé quatre productions de comédies musicales : A Chorus Line en 2019, Company en 2021, Tocando nuestra canción en juin 2024 et plus récemment Gypsy qui fut d'abord jouée en première espagnole à Malaga d'octobre 2024 à Janvier 2025 et a connu en Andalousie trois mois d'un succès retentissant avant de partir à la conquête du public de la capitale espagnole. Gipsy se joue depuis le 7 février de cette année au Teatro Apolo de Madrid


Gipsy, A Musical Fable, comédie musicale sur un livret d’Arthur Laurents, une musique de Jule Styne et des textes de Stephen Sondheim, fut créée à Broadway en 1959. Le livret a été écrit au départ d'une histoire vraie, celle des débuts à la scène de l'artiste de burlesque américaine Gypsy Rose Lee (1911-1970), célèbre pour son numéro de strip-tease. L'artiste avait consigné son parcours dans un récit autobiographique paru à New York chez Harper & Bros. en 1957 sous le titre Gypsy: A Memoir. L'ouvrage reste depuis une des comédies musicales les plus acclamées, lauréate de prix internationaux tels que les Tony, Olivier, Drama Desk et Grammy Awards. Depuis sa création, la production a fait le tour de la planète : avant son arrivée récente en Espagne, elle a été représentée dans des pays tels que l’Allemagne, l’Argentine, le Brésil, l’Australie, le Canada, l’Estonie, l’Italie, le Japon, le Mexique, le Royaume-Uni et l’Afrique du Sud. En 1962, un film en a été tiré avec Rosalind Russell, Natalie Wood et Karl Malden dans les rôles principaux. Il a en 1993 fait l'objet d'un remake pour la télévision, dans lequel Bette Midler s'est illustrée. À noter que Gypsy qui n'avait jamais été joué en France vient de connaître en février sa première française à Nancy dans une production de Laurent Pelly avec Natalie Dessay dans le rôle de Rose.

Ce grand classique de Broadway nous fait plonger dans le monde du show-business. L’histoire tourne autour de l’artiste burlesque Gypsy Rose Lee, Rose, une femme qui veut à tout prix faire de ses filles des stars, une mère d'artistes ambitieuse qui ne cherche en fait que sa propre réussite. Gypsy jette une lumière crue et un regard amusé sur le monde du show-business américain, un monde sophistiqué, compétitif et abusif. La comédie musicale d'Arthur Laurents s'inspire librement des Etats-Unis des années 1920 et 1930, époque à laquelle l'industrie du spectacle américaine développait le vaudeville et le burlesque.  Au Teatro Apolo, la célèbre bande originale de Jule Styne et Stephen Sondheim est interprétée par 18 musiciens de l'orchestre Larios Pop de Soho, placés sous la direction musicale d'Arturo Díez Boscovich. On peut y entendre dans la traduction en espagnol de Roser Batalla les grands titres qui ont fait le succès de la comédie musicale tels que A Path of Roses Makes It, I'm Going to Entertain You, You'll Never Get Rid of Me, Invent a Touch et United We Remain  (Se abre un camino de Rosas, Voy a entreteneros, No te librarás de mí, Invéntate un toque ou Unidos sigue).


L'orchestre est placé en surplomb arrière de la scène. Le chef Arturo Díez Boscovich et les musiciens de l'orchestre se sont attachés à reconstituer les effets sonores originaux caractéristiques des orchestres de comédies musicales américaines de la fin des années 50, une façon de jouer qui n'est plus utilisée aujourd'hui. On se sent tout de suite entraînés par le rythme captivant de la partition, fort bien construite au demeurant. Le public espagnol retrouve deux chanteuses qu'il avait pu apprécier dans Company en 2021/2022 à Malaga : la star du théâtre musical Marta Ribera, tient le rôle de Rose dans Gypsy, accompagnée de Lydia Fairén dans le rôle de Louise. Laia Prats interprète le rôle de June. Le spectacle comprend trois des chorégraphies originales de Jerome Robbins (l'un des plus grands chorégraphes et metteurs en scène de l'histoire des comédies musicales, comme West Side Story et Fiddler on the Roof, entre autres). À Madrid les ballets ont été réétudiés  par Aaron Cobos et par Maria Bossy pour les parties dansées sur claquettes. Les excellents danseurs et claquettistes contribuent pour beaucoup à la réussite du spectacle.

Antonio Banderas avait commenté la progression de l'action dans Gypsy : " Gypsy commence par un premier acte très lumineux, mais c'est dans le deuxième acte que j'ai trouvé la substance du spectacle. Cette deuxième partie est beaucoup plus proche du théâtre européen, où toutes les passions du personnage sont développées, tous les conflits." Interrogé sur la quête de la célébrité de Rose qui constitue l'épine dorsale de la pièce, Antonio Banderas ajoutait  que « le succès peut être une terrible maladie. Il y a des gens qui sont littéralement submergés par le succès et il y a une pathologie derrière cela ».  Le personnage de Rose rappelle celui des grandes artistes des films classiques à qui on proposait des rôles formidables. L'âme de Rose est semblable à celle des Bette Davis, Elizabeth Taylor, Joan Crawford, pour ne citer qu'elles.

La mise en scène consiste surtout en une ingénieuse direction d'acteurs. Pleins feux sur les protagonistes dans les décors a minima d'Alejandro Andugar constitués surtout par des grands rideaux qui drapent  tout l'espace scénique, sur lesquels viennent se projeter des vidéos et des créations visuelles picturales. Cette abondance de tissu ne nous a pas semblé apporter grand chose au spectacle, qui s'attache surtout de mettre les personnages en lumière : Marta Ribera est une incomparable actrice dont le jeu dépeint une Rose à la fois puissante et vulnérable, une femme pathologiquement dominatrice qui projette sur ses filles ses ambitions inaccomplies sans parvenir à atteindre ses fins par progéniture interposée. Dans la progression de l'action, le personnage de Rose devient de plus en plus sombre. Sa fille June, remarquablement interprétée par Lara Prats, toute rayonnante qu'elle soit, refuse de se fondre dans le moule que sa mère a conçu pour elle. À la suite de cet échec, Rose va porter son dévolu sur sa seconde fille, Louise, interprétée avec talent par Lydia Fairén. Louise doit constamment changer de personnalité artistique au gré des caprices de sa mère qui finit par quasi la prostituer en acceptant la proposition de personnages véreux qui cherchent à produire des strip-teaseuses. Louise atteint au succès en devenant l'effeuilleuse Gypsy. La comédie musicale porte bien mal son nom car c'est à une tragédie musicale, issue du cerveau dérangé d'une mère possessive, que l'on assiste. Herbie, le protagoniste masculin,  est chanté par Carlos Seguí qui s'entend parfaitement à conférer à son personnage une immense humanité et une générosité attristée par le comportement maladif de Rose. Ces quatre protagonistes sont entourés d'une trentaine de personnages qui nous entraînent dans l'univers tourbillonnant  du monde du spectacle, avec des ambitions et des rêves aux tonalités différentes que les costumes très réussis d'Antonio Belart et Rafael Garrigós contribuent à restituer. Un des plus beaux moments de la soirée, et notre coup de coeur, est l'extraordinaire prestation du rôle de Tulsa par Aaron Cobos. Le personnage de Tulsa, un choriste aux ambitions de soliste, incarne  l'esprit de tous ceux qui cherchent à percer dans le show-business, des artistes qui luttent avec ténacité pour trouver leur place en haut de l'affiche. Débordant de charisme, Aaron Cobos est un artiste multidisciplinaire qui allie l'excellence du chant à celle de la danse.

Un musical généreusement applaudi par un public enjoué et bon enfant.


Conception et distribution 

Livret Arthur Laurents
Musique Juke Styne
Paroles Stephen Sondheim
Mise en scène Antonio Banderas
Direction musicale Arturo Díez Boscovich
Chorégraphie Borja Rueda et Jerome Robbins
Traduction du livret  María Ruiz
Traduction des chansons Roser Batalla
Scénographie Alejandro Andújar
Conception des costumes Antonio Belart et Rafael Garrigós
Lumières Juan Gómez-Cornejo et Carlos Torrijos Son : Jordi Ballbé
Vidéos Joan Rodón et Emilio Valenzuela
Créations visuelles et picturales José-Luis Puche
Conception des personnages Laura Rodríguez
Chorégraphie de claquettes  María Bossy
Directeur de casting Marc Montserrat-Drukker
Avec dans les rôles principaux Marta Ribera (Rose), Lydia Fairén (Louise-Gypsy), Carlos Seguí (Herbie - Mr Jocko), Laia Prats (June), Aaron Cobos (Tulsa).

jeudi 6 mars 2025

Le Projet Zarza (Proyecto Zarza) du Théâtre madrilène de la Zarzuela

Proyecto Zarza © BacArana 2022
 

Logo du Proyecto Zarza
Le Proyecto Zarza (zarzuela par les jeunes et pour les jeunes) est un projet éducatif du Teatro de la Zarzuela pour la diffusion du genre lyrique espagnol. Il a été conçu par Daniel Bianco en 2015 dans le but d'initier les nouvelles générations au patrimoine lyrique espagnol, ouvrant ainsi la porte à de nouvelles générations d'artistes. Le logo du Proyecto Zarza, basé sur l'idée originale d'Alberto Corazón pour le Teatro de la Zarzuela, a été conçu par Javier Díaz Garrido (également auteur des affiches de chacune des productions).

Le Proyecto Zarza est né d'une initiative de Daniel Bianco visant à faire découvrir le genre de la zarzuela et le théâtre musical espagnol aux jeunes publics. Ce travail de sensibilisation a débuté lors de la saison 2016/2017 du Teatro de la Zarzuela avec La Revoltosa, dans une version libre de Guillem Clua. Tout en conservant la musique de Ruperto Chapí, le livret, les costumes, la mise en scène et l'éclairage ont tous subi des changements pour rapprocher l'œuvre d'une époque plus contemporaine. La présentation a comporté un total de 8 représentations, au cours desquelles 16 jeunes acteurs âgés de 18 à 30 ans et 8 instrumentistes ont donné forme à cette pièce célèbre.

Depuis lors, le Teatro de la Zarzuela, par le biais du Proyecto Zarza, a poursuivi ce travail de diffusion en reprenant des œuvres lyriques célèbres du genre musical espagnol. Huit éditions du projet ont été présentées depuis ses débuts en 2016/2017 : plus de 60.000 spectateurs, dont plus de 40000 écoliers ont assisté aux représentations au Teatro de la Zarzuela. Après La revoltosa, ils ont pu voir El dúo de La AfricanaLa verbena de La Paloma,  Agua, Azucarillos y Aguardiente, Amores en zarza,  El sobre verdeYo te querré et El año pasado por agua. De plus, des dizaines de milliers de spectateurs ont suivi les représentations sur internet. 

La proposition didactique du Projet Zarza porte non seulement sur la musique, mais aussi sur la scénographie, les costumes, la littérature et l'éducation. Tout en conservant la musique des grands compositeurs, des changements peuvent être apportés au livret, à la mise en scène et aux costumes, entre autres, afin de faire connaître le genre lyrique espagnol à un public plus jeune. Afin de remplir cette fonction d'information, les productions du Projet Zarza sont principalement réservées aux représentations scolaires, bien qu'il y ait également des représentations ouvertes à tous les publics. À la fin de ces représentations, il y a généralement une discussion de 20 à 30 minutes au cours de laquelle les jeunes ont la possibilité de poser des questions aux acteurs, aux musiciens et au personnel.


Chaque année, le théâtre consacre  une semaine entière de représentations au projet. Cette année, c'est la célèbre zarzuela Gran Via qui a été choisie. Le théâtre accueillera du 6 au 14 mars douze représentations scolaires qui seront suivies par 8 400 élèves âgés de 12 à 18 ans provenant de 127 écoles de différentes régions d'Espagne. Le projet remporte un énorme succès et l'offre ne peut rencontrer la demande puisque 202 écoles secondaires se sont portées candidates. Gran Via est une zarzuela en un acte et cinq scènes sur une musique des maestros Federico Chueca et Joaquín Valverde et un livret de Felipe Pérez y González. Elle fut  créée au Teatro Felipe de Madrid le 2 juillet 1886 et ensuite longuement jouée au Teatro Apolo.

Le projet Zarza dispose d'un canal  YouTube où l'on peut voir toutes les productions depuis la première saison en 2016/2017 jusqu'à aujourd'hui. On y trouve également des interviews qui expliquent et enseignent de manière didactique le travail théâtral, les propositions de chaque pièce, la préparation des acteurs ou les impressions des jeunes, entre autres. En voici le lien: https://www.youtube.com/@proyectozarza_tz

Sources : compilation de textes traduits en provenance des sites Teatro de la ZarzuelaOpera WorldWikipedia.

mercredi 5 mars 2025

Gays et fiers de l'être ! La nouvelle Cage aux Folles du Theater-am-Gärtnerplatz ravit le public munichois.

Wilkommen, Bienvenue, Welcome

Georges et Albin tiennent une boîte de nuit à Saint-Tropez — l'un comme gérant, l'autre comme diva. Et ensemble, ils mènent une vie de couple heureuse. Mais tout bascule lorsque le fils de Georges veut se marier — justement avec la fille d'un politicien ultraconservateur ! Georges et Albin se laissent convaincre de jouer une famille « tout à fait normale » pour un dîner avec les futurs beaux-parents. Il est clair que cela ne peut que mal tourner ...

Jean Poiret a écrit sa comédie à succès au plus profond des années 70, lorsque le mariage homosexuel était au-delà de toute réalité et que le fait d'être gay était loin d'être une « bonne chose ». Depuis 1983, ce plaidoyer turbulent et entraînant pour la tolérance, l'égalité des droits et la liberté individuelle a conquis les scènes du monde entier sous forme de comédie musicale, a joué 2423 représentations rien qu'à Broadway et est devenu un hymne du mouvement LGBTQIA+*, fidèle à la devise : « I am what I am !».

Ballet aérien en ouverture 

Soir de Rosenmontag, ce lundi des roses qui précède le mardi gras et est très célébré en Allemagne. Si le public du théâtre am Gärtnerplatz n'est pas accueilli dans le grand hall d'entrée par des comédiens surexcités déguisés en grandes folles poussant des cris aigus, ce qui attire l'attention, c'est d'abord le beau programme d'un format inhabituel réalisé par Michael Alexander Rinz, le dramaturge attaché à la Maison depuis 2012. Son contenu retrace les étapes du long chemin de nombreux pays occidentaux vers l'égalité et la légalité. Le soulèvement newyorkais de Stonewall en 1969 a ouvert la voie à  un parcours du combattant qui a conduit à la dépénalisation de l'homosexualité, au partenariat enregistré puis au mariage pour tous, dès 2001 aux Pays-Bas, en 2017 en Allemagne. Le programme rappelle que de nombreux états de la planète sont virulemment opposés à cette vision d'un monde égalitaire : l'Afghanistan a rétabli la peine de mort pour les actes homosexuels en 2021, en 2023 la Russie a classé le mouvement LGBTQIA+ comme extrémiste, en ce début d'année les États-Unis viennent d'exclure les personnes transsexuelles de l'armée. En 1973, lorsque Jean Poiret écrivit sa pièce La cage aux folles, l'homosexualité était encore stigmatisée comme une plaie sociétale et ses manifestations publiques punissables comme attentats à la pudeur. Michael Alexander Rinz s'intéresse à la genèse de la pièce, puis au tournage du film franco-italien de 1978 et enfin à la comédie musicale de Jerry Hermann, Harvey Fierstein et Arthur Laurents créée à Broadway en 1983. Le dernier volet du programme se penche sur le phénomène des drags queens. Pour la nouvelle production, le metteur en scène Josef E. Köpplinger s'est assuré le concours et l'expertise de la drag-queen Janisha Jones, alias Jan Sabater Viñals. Une planche plus festive apporte des conseils pratiques aux personnes tentées par l'expérience de devenir une drag-queen. Un programme soigné et bien informé qui pourrait bien devenir un collector.

La périlleuse visite de la famille Dindon

Pendant l'ouverture des vidéos extraites de documentaires sur les mouvements de libération gay des années 1970/80 sont projetées sur le rideau d'avant-scène. Des visuels rappellent les jalons des reconnaissances juridiques de la condition homosexuelle. La mise en scène, sobre et efficace, dessine très précisément les contours des personnages qui évoluent dans les décors de Rainer Sinell, qui rappellent ceux de la pièce de théâtre de Jean Poiret. Le cabaret est surtout évoqué par de grands rideaux dorés. Le séjour de l'appartement de Georges et Albin est encombré d'objets et de peintures érotiques. Le plateau tournant nous fait passer du séjour à la loge d'Albin. Une grande toile peinte évoque le village et le port de Saint-Tropez. La transformation du living en une pièce austère avec un immense crucifix appendu au mur, un prie-dieu et des chaises funèbres s'effectue en un tournemain. Tout est prêt pour la réception de la famille du très réactionnaire député ultraconservateur Dindon. Josef E. Köpplinger a travaillé en étroite collaboration avec le chorégraphe Adam Cooper, le théâtre, la musique, le chant et la danse se combinent constamment pour proposer un spectacle d'une dynamique entraînante. Le talentueux Alfred Mayerhofer s'est une fois de plus dépassé dans la création d'une foison de costumes plus originaux les uns que les autres. D'entrée de jeu, toutes ces composantes se trouvent réunies dans un ballet aérien magique. La touche française ne pouvait manquer, elle est bleue blanc rouge, des couleurs qui apparaissent récurrentes dans les décors et dans  les costumes. Et pour la photo finale, on voit Albin et Georges poser dans l'encadrement d'un modèle réduit de l'Arc de triomphe parisien posé sur un podium de cabaret. 

Albin et Georges triomphants et unis pour la vie

Passionné par la comédie musicale dont il est un des meilleurs spécialistes, le chef Jeff Frohner revient au Theater-am-Gärtnerplatz où il avait déjà dirigé Jesus Christ SuperstarSinginʼ in the Rain et Hair. Il conduit l'orchestre à un rythme entraînant pour un public qui ne demande qu'à l'être. Armin Kahl, qui avait déjà interprété avec succès le rôle-titre travesti  dans Tootsie, réalise une composition fascinante d'Albin qui s'éloigne du cliché habituel de la diva hystérique. Il nous fait découvrir un personnage certes particulier et hypersensible mais débordant d'humanité et qui garde sa masculinité dans son travestissement. Remarquable transformiste, Armin Kahl passe rapidement du costume de la diva à celui de la prétendue maman pour bientôt revenir à la complexité de sa vraie nature dans un extraordinaire jeu de scène. Daniel Prohaska donne un George plus classique, presque trop policé pour un patron de boîte de nuit. On retrouve avec plaisir son ténor impeccable à la ligne de chant très pure. Jean-Michel, le fils de George qu'a couvé Albin d'un amour tout maternel, est interprété par le  ténor Paul Clementi, qui a la voix et le physique d'un jeune premier très amoureux, mais qui manque d'assurance face à la famille de son futur beau-père. Christoph Schleinzer endosse tous les costumes d'un Jacob / Claudine polymorphe, dont le personnage si dévoué à sa maîtresse Zaza ferait tout pour pouvoir monter un jour sur la scène du cabaret. Jacob se donne à voir dans toutes les apparences qu'il aimerait interpréter. Anne Oberbeck a pris l'apparence de Mireille Mathieu pour jouer la patronne de restaurant Jacqueline, qui n'a pas la langue dans sa poche pour remettre les montres à l'heure et pour affronter le député Dindon qu'interprète qu'Erwin Windegger. Notons encore les très amusantes Cagelles qui entourent Zaza à l'heure du spectacle, une série de travestis qui apparaissent sur scène chacune avec les attributs de sa spécialité. Méfiez-vous d'Hannah, un travesti domina hambourgeois dont le fouet pourrait laisser de fâcheuses traces.

De nombreux numéros ou encore des traits particulièrement réussis de la mise en scène furent longuement applaudis et acclamés pendant le spectacle. En fin de partie, la salle s'est levée comme un seul homme pour une standing ovation très méritée. Ce spectacle n'est pas seulement divertissant, cela va bien plus loin et bien plus en profondeur, ce spectacle est libérateur, grandiose et émouvant. Une production peaufinée dans les moindres détails par Josef E. Köpplinger qui peut ajouter une nouvelle étoile à son palmarès brillamment constellé. 


Distribution du 3 mars 2025

Direction musicale Jeff Frohner
Mise en scène Josef E. Köpplinger
Chorégraphie Adam Cooper
Scène Rainer Sinell
Costumes Alfred Mayerhofer
Lumières Peter Hörtner / Josef E. Köpplinger
Dramaturgie Michael Alexander Rinz

Georges Daniel Prohaska
Albin Armin Kahl
Jean-Michel Paul Clementi
Anne Dindon Florentine Beyer
Édouard Dindon Erwin Windegger
Marie Dindon Anja Clementi
Jacob Christian Schleinzer
Jacqueline Anna Overbeck
Francis Frank Berg
Babette Frances Lucey
Chantal Diego Federico
Hanna Alexander Findewirth
Mercedes Peter Neustifter
Phèdre Michael B. Sattler
Odette Fabian Koller
Nicole Johannes Summer
Angélique Riccarda Schönerstedt
Marika David Hegyi
Dermah Alexander Quetell
Bitelle Alexander Hille
Lo Singh Amelie Lambrichts
Clo-Clo Marta Jaén Garcia
Monsieur Renaud Holger Ohlmann
Madame Renaud Tracey Adele Cooper
Paulette Shania Ochsner
Hercule Joël Zupan
Madame de Colette Ann-Katrin Naidu

Figurants du Staatstheater am Gärtnerplatz
Orchestre du Staatstheater am Gärtnerplatz

Crédit photographique © Markus Tordik

*Par L, on entend « Lesbiennes », par G « Gays », par B « Bisexuel·le·s », par T « Trans », par Q « Queers », par I « Intersexué·e·s », par A « Asexuel·le·s » ou « Aromantique·s » et le + inclut les nombreux autres termes désignant les genres et les sexualités.