lundi 24 mars 2025

Les mémoires de la forêt T4 : La saison des adieux - Mickaël Brun-Arnaud et Sanoe

Voilà, ça y est, j’ai fini les mémoires de la forêt. Quatre tomes avalés en quelques semaines, ce fut un vrai plaisir de parcourir en long et en large les sentiers de Bellécorce, de prendre le train vers le Grand Nord, de saliver devant les tonnes de pâtisseries englouties et de vivre tant d’événements marquants au fil des aventures de la famille Renard. Je persiste à penser que, sous ses airs enfantins (anthropomorphisme, décor sylvestre, illustrations douces et enchanteresses), cette série est davantage destinée aux adultes qu’aux enfants, c’est sans doute pour cela que j’y ai autant trouvé mon compte.

Dans ce dernier volume, alors que le village s’apprête à fêter en grandes pompes les quatre-vingts ans de la librairie de Bellécorce, l’arbre qui l’abrite est frappé par le croquebois, une maladie incurable rongeant ses branches et son tronc. Pour le jeune Ernest Renard, la disparition du chêne signifierait perdre à tout jamais les derniers souvenirs de sa maman Anouchka, morte quelques années plus tôt. Son seul espoir ? Trouver l'arbre des souhaits, un pommier magique censé accomplir des miracles.

Une conclusion pleine de mélancolie et de nostalgie. On retrouve les protagonistes 25 ans après les événements du précédent. Bartholomé a pris la succession de la librairie, il est devenu père et c’est son fils Ernest qui part à l’aventure avec une petite taupe qui lui sera d’un grand secours pendant son périple. C’est clairement l’histoire la plus triste de la série, l’ambiance est sombre du début à la fin, il y a moins d’humour et les lieux visités font moins rêver. Pour autant, c’est toujours très fin au niveau de la psychologie des personnages, pétri de bienveillance et bourré de sucreries qui mettent l’eau à la bouche. Une conclusion à la hauteur de cet univers hyper touchant dans lequel Mickaël Brun-Arnaud n’a pas eu peur d’aborder des thématiques “pesantes” comme le deuil, la maladie où les violences intra-familiales avec une finesse et une intelligence qui forcent le respect et l’admiration.

Les mémoires de la forêt T4 : La saison des adieux de Mickaël Brun-Arnaud et Sanoe. L’école des Loisirs, 2024. 330 pages. 15,50 euros. A partir de 9-10 ans





mercredi 19 mars 2025

L'adoption T5 : Le sourire du plombier - Zidrou et Arno Monin

L’album s’ouvre sur la mort du père. Un papa poule qui a élevé ses trois filles après le décès de sa femme. Sur les trois enfants, une seule est sortie du ventre de sa mère. Les deux autres ont été adoptées. Mais peu importe les liens du sang, elles ont toujours été des sœurs fusionnelles. La disparition de leur papa ravive les souvenirs. Avec elles nous replongeons dans leur passé. Quand maman était là, passionnée de littérature, nulle en cuisine mais toujours prête à leur lire les aventures de Fifi Brindacier. Et après sa mort, quand Papa a tout assumé, sans jamais se départir de sa bonne humeur, prêt à tous les sacrifices pour rendre la vie plus douce en dépit des épreuves à affronter.

Un album plein d’ondes positives malgré le deuil qui reste un sujet central. Contrairement aux autres opus de la série, on a ici affaire à un one shot et pas à un diptyque. Et contrairement aux autres opus de la série, l’adoption est vue comme un élément du passé et non comme le présent des protagonistes. Franchement, j’ai adoré cette histoire qui serre le cœur et en même temps donne le sourire. Zidrou revient à l’esprit des Beaux étés je trouve, ce mélange entre légèreté et gravité, cette volonté de laisser la lumière prendre le pas sur l’ombre, magnifiée par le dessin hyper expressif et tout en souplesse d’Arno Monin, qui prend parfois des faux airs de Jordi Lafebre.

Une lecture qui met du baume au cœur sans pathos ni nunucherie. La construction du récit est limpide, imparable. Une masterclass !

L'adoption T5 : Le sourire du plombier de Zidrou et Arno Monin. Bamboo, 2024. 70 pages. 16,90 euros









lundi 17 mars 2025

La dame de ses pensées : lettres érotiques - Cécilia Dutter

Ce bouquin, je l’ai trouvé dans une boîte à livres. Le sous-titre « Lettres érotiques » m’a évidemment intrigué. La forme épistolaire aussi, assurance d’une lecture courte qui ne me ferait pas trop perdre mon temps si l’histoire et l’écriture venaient à tourner au fiasco. 

La première lettre est l’œuvre d’Edouard, un avocat parisien tombé fou amoureux d’une amie de sa femme. C’est évidemment à elle qu’il écrit. Elle s’appelle Alice, est psychologue, a vingt ans de moins que lui et n’est pas prête à recevoir ses missives enflammées. Elle l’envoie donc sur les roses sans prendre de gants mais il persévère. Elle se moque des scénarios qu’il élabore pour la séduire, lui répond qu’il s’y prend comme un manche et lui explique comment il pourrait corriger le tir. Edouard va alors commencer à respecter les consignes. Et petit à petit Alice va se prendre au jeu. Au point de devenir la plus entreprenante des deux.

Un roman épistolaire bourgeois, un peu suranné, à la prose chic et précieuse. On aurait pu tomber dans le ridicule absolu mais ce n’est pas du tout le cas. On n’est certes pas au niveau des Liaisons dangereuses mais le côté désuet est plein de charme, au point qu’on finit par se passionner pour la relation entre cet homme et cette femme, pour les atermoiements de l’avocat et la force tranquille de la psy, pour l’évolution de leurs points de vue respectifs et le réalisme des changements qui s’opèrent en eux au fil de leurs échanges. C’est fin, bien mené, sans jamais forcer le trait ou l’allure. La chute est inattendue, en tout cas je ne l’avais pas vue venir. Niveau érotique, tout est dans la suggestion, pas de gros sabots et aucune vulgarité, ça reste chic et précieux jusqu’au bout. Un texte de “boomer”, tellement pas à la mode qu’il ne pouvait que me plaire !

La dame de ses pensées : lettres érotiques de Cécilia Dutter. Ramsay, 2008. 150 pages. 15,50 euros.

PS : si j'ai bien compris, ce roman épistolaire a été réédité chez Milady sous le titre "Cher Alice" en 2016. Après, je ne sais pas si le texte a été remanié ("modernisé") pour l'occasion.





lundi 10 mars 2025

Le clan des Brumes 2 : Les héritiers - Antonio Pérez Henares

Alors que le paléolithique touche à sa fin et qu'apparaît la révolution néolithique qui bouleverse le cours de l'humanité, deux jeunes hommes du clan des brumes, le fils de l'Aigrette et l'Archer, se lancent dans une aventure initiatique. Leur voyage les mène des montagnes du cœur de l’Espagne jusqu'à la mer. Ils découvrent de nouvelles tribus, leurs coutumes et leurs techniques.

Une fiction préhistorique hyper réaliste, didactique, vulgarisatrice et captivante. On est à un moment charnière, ce moment de bascule du paléolithique vers le néolithique où cro-magnon vit ses derniers moments de cohabitations avec des néanderthaliens sur le point de disparaître définitivement. Les hommes se sédentarisent, ils cultivent des céréales et élèvent du bétail, abandonnant peu à peu leur profil “unidimensionnel” de chasseur-cueilleur. Un changement religieux et sociétal s’engage également. La déesse mère est peu à peu abandonnée au profit de figures divines masculines. Le patriarcat fait ses premiers pas, la place égalitaire, voire supérieure, de la femme par rapport aux hommes commence à être remise en cause. Nos deux héros découvrent d’autres peuples, ils s’ouvrent au monde, sont confrontés à la violence, découvrent la sexualité et l’amour. Les éléments historico-scientifiques sont amenés avec fluidité au fil du récit, rien n’est forcé, ça reste un roman avant tout. Et un roman passionnant à tous points de vue.

Le clan des Brumes 2 : Les héritiers d’Antonio Pérez Henares (traduit de l’espagnol par Anne-Carole Grillot). Hervé Chopin éditions, 2024. 245 pages. 21,50 euros.

mercredi 5 mars 2025

Si vous lisez ça, je suis déjà morte... - Matt Kindt et Dan McDaid

Il y a quelques années, l’armée américaine a découvert un portail quantique permettant de se rendre sur une planète habitée par des entités extraterrestres. Une planète baptisée Terminus, sur laquelle un pied à terre a été construit pour les humains. Sur cette planète l’homme n’est pas vraiment le bienvenu, c’est pourquoi n’y sont envoyés en mission que la crème des marines. Robin est journaliste. Elle s’est jointe à l’équipage en route vers terminus pour rédiger le premier article consacré à cette incroyable planète. Problème, au bout d’à peine dix minutes sur place, les soldats censés la protéger ont tous été massacrés. Robin se retrouve seule, se demandant comment elle va pouvoir survivre… et mener à bien son reportage.

Un one shot de science-fiction qui se veut efficace mais qui balaie trop rapidement les enjeux qu’il soulève. L’équilibre entre action et réflexion est bancal, les scènes spectaculaires prenant le pas sur les questionnements philosophiques concernant la capacité de l’homme à salir tout ce qu’il touche. Car au final le propos se veut engagé, dénonçant ce travers humain qui consiste à aborder chaque nouveau territoire en conquérant plutôt qu’en invité curieux et bienveillant. L’idée est bonne mais sa mise en œuvre manque d’épaisseur. Dommage parce que le dessin est parfait pour de la SF, l’architecture de la planète Terminus s’apparentant parfois à un décor digne de Lovecraft. Une lecture agréable mais à laquelle il manque pas mal d’atouts pour passer dans la catégorie des incontournables.

Si vous lisez ça, je suis déjà morte... de Matt Kindt et Dan McDaid. Delcourt, 2025. 95 pages. 17,95 euros.




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lundi 3 mars 2025

Déchéance d'un homme Suivi de Goodbye - Osamu Dazai

Le narrateur de « Déchéance d’un homme » raconte son parcours dans trois cahiers distincts. Le premier est consacré à son enfance. De constitution fragile, il grandit dans le Japon des années 30, au sein d’une famille aisée. Gamin solitaire, ne trouvant pas de sens à son existence, il constate que « rien ne peut faire [son] bonheur ». Abusé sexuellement par les domestiques de ses parents, il cache son mal-être en faisant le clown et en passant pour un enfant espiègle.

Le deuxième cahier correspond à son entrée au collège, puis au lycée et, parallèlement, dans une école d’art. C’est dans cette dernière qu’il rencontre Horiki, un camarade qui va lui faire découvrir « l’alcool, le tabac, les femmes vénales, le prêt sur gage et les idées de gauche ». Sa famille lui coupe les vivres, il connaît une existence misérable et finit par se mettre en couple avec une serveuse. Ils décident ensemble d’un double suicide en se jetant dans l’océan. Il survivra, pas elle.

Dans le dernier cahier notre homme devient dessinateur de mangas bas de gamme. Il sombre dans l’alcool, se marie sur un coup de tête, tombe dans la drogue et finit par être interné en hôpital psychiatrique.

Rarement un titre de roman aura été si pertinent. La déchéance d’un homme, c’est le parcours chaotique d’un inadapté. Un texte culte, par un auteur considéré comme l’enfant terrible de la littérature japonaise. Le récit est profondément autobiographique, que ce soit par rapport à la rupture familiale, le double suicide, la drogue, l’alcool et les femmes ou encore l’engagement politique auprès du parti communiste. Le portrait dressé est celui d’un homme mal dans sa peau, pas à sa place. Un décadent lucide maniant l’autodérision, un désespéré à l’ironie mordante. « Goodbye », texte inachevé, est plus léger, moins nihiliste que « Déchéance d’un homme ».  Le couple qui y est mis en en scène a quelque chose d’absurde, l’humour est grinçant, les dialogues savoureux. Dommage que Dazai se soit suicidé avant d’en avoir écrit la conclusion…

Déchéance d'un homme Suivi de Goodbye d’Osamu Dazai (traduit du japonais par Didier Chiche). Les Belles Lettres, 2024. 220 pages. 23,00 euros.





mercredi 26 février 2025

L’abîme de l’oubli - Paco Roca et Rodrigo Terrasa

Septembre 1940, en Espagne, dans la province de Valence. Des prisonniers républicains sont fusillés par les franquistes et jetés dans une fosse commune. Parmi eux, José Celda, un père de famille accusé de rébellion. Soixante-dix ans plus tard, sa fille Pepica arpente les méandres de l’administration pour sortir la dépouille de son père du charnier et lui offrir la sépulture qu’il mérite.

C’est l’histoire d’une octogénaire ayant promis à sa mère de ramener son mari près de lui, dans leur dernière demeure. Une fille déterminée à réunir ses parents malgré les difficultés. En 2007, une loi sur la « mémoire historique » a permis pour la première fois une condamnation explicite de la dictature et la reconnaissance des martyrs du franquisme. Dans cette loi, l'État s'engageait également à aider à localiser et éventuellement exhumer les victimes de la répression dont les corps étaient encore disparus. Pepica a profité de cette opportunité et est parvenue à obtenir la mobilisation d’une équipe d’archéologues. Grâce à une mèche de cheveux qu’elle a gardée pendant des décennies, son papa a pu être identifié, et sa dépouille lui être restituée.

Les auteurs montrent à la fois la détermination de Pepica, le sérieux des archéologues et le manque de volonté d’instances politiques réfractaires à revenir sur des épisodes douloureux de l’histoire du pays. Le passé et le présent s’entremêlent, mettant en lumière la figure héroïque de Leoncio Badia, le gardien du cimetière au moment des exécutions. Prenant tous les risques pour offrir un minimum de dignité aux suppliciés qu’il enterrait, il s’évertua également à garder des traces des défunts, ce qui facilitera leur identification bien après sa propre mort.

Le travail de Paco Roca et Rodrigo Terrasa offre une magnifique réflexion sur le devoir de mémoire et montre à quel point la question de l’héritage de la guerre civile espagnole est un enjeu complexe, relevant aujourd’hui encore d’une forme de « malaise national ». Un album poignant, alliant pudeur, respect et humanité.

L’abîme de l’oubli de Paco Roca et Rodrigo Terrasa. Delcourt, 2025. 300 pages. 29,95 euros.



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lundi 24 février 2025

Azincourt par temps de pluie - Jean Teulé

Azincourt, 24 octobre 1415. Ils sont venus, ils sont tous là, ils sont 15 000 (à peu près), sous des trombes d'eau. Demain, la fine fleur de la chevalerie française va écraser quelques milliers d’anglais se dirigeant vers Calais pour rentrer chez eux après une longue campagne en Normandie. L’écart entre les forces en présence est énorme. Les Français, bien plus nombreux, vont botter les fesses de l’ennemi, pas possible autrement. Mais alors pourquoi ce qui devait être une victoire écrasante va devenir l'une des pires débâcles de l’histoire ? Pourquoi un tel désastre ? Comment en est-on arrivé là ? Jean Teulé revient sur les événements. L’avant et le pendant. Comment chaque camp s’est préparé, comment vainqueurs et vaincus ont manœuvré. Et surtout comment l’arrogance française a pu prendre une telle déculottée.

Un roman historique à la sauce Teulé, c’est-à-dire solide sur le fond mais en roue libre sur la forme. En tout cas au niveau de l’écriture, toujours très gouailleuse (vulgaire diront certains), cynique, moqueuses, ironique et plutôt drôle. L’armée française est tournée en ridicule, elle croule sous la boue et les sarcasmes de l’auteur, qui se montre sans pitié face à tant de morgue et de stupidité. La violence est parfois un peu gratuite mais en même temps, vu l’épouvantable charnier à la fin de la bataille, il aurait été malvenu de suggérer mollement plutôt que de décrire crûment. Pas le roman du siècle, loin de là, mais une façon plutôt décalée d’enrichir sa culture historique sans être assommé par la précision scientifique des « vrais » spécialistes. A déconseiller toutefois aux patriotes défenseurs de la grandeur de la France, ils risqueraient d’en prendre un sacré coup au moral.

Azincourt par temps de pluie de Jean Teulé. Ed. Miallet-Barrault, 2022. 200 pages. 19,00 euros.





mercredi 19 février 2025

Le chœur des sardinières - Léah Touitou et Max Lewko

1924. Á Douarnenez, les sardinières se rebiffent. Réclamant un meilleur salaire et le paiement des heures supplémentaires, les ouvrières des nombreuses usines locales engagent un bras de fer avec leurs patrons. Soutenues par les communistes et ce qui sera les prémices de la CGT, reçues à Paris par un ministre du travail qui les soutient mais reconnaît ne rien pouvoir faire pour elles, rejointes par leurs hommes pêcheurs qui refuseront de sortir en mer et confrontées à des casseurs de grève, elles ne lâcheront pas leur combat avant d’avoir obtenu gain de cause. Et tant pis pour le salaire manquant, il faudra se serrer les coudes pour tenir, pour que personne ne flanche, pour qu’aucune usine ne reprenne la production tant que le patronat n’aura pas accédé à leurs demandes.

L’album décrit parfaitement l’ambiance pesante sous le crachin breton, le rythme infernal de l’usine où les sardinières sont appelées par une cloche dès que les bateaux rentrent au port, car la sardine n’attend pas, elle doit être traitée dès son débarquement. Il est question de la violence des maris allant boire leur maigre pécule au bar, du travail des enfants, mis à contribution dès 10 ans, et surtout de l’impossibilité d’imaginer un avenir meilleur avec un salaire permettant tout juste de faire bouillir la marmite et, pour les jeunes, aucune chance de poursuivre leurs études. Les auteurs montrent la solidarité entre les ouvrières, le combat mené par le maire de la ville, qui n’a jamais cessé de défendre leur cause, l’intervention d’une militante syndicale venue de la capitale et le mépris de ces patrons considérant les sardinières comme des petites mains ne méritant pas la moindre considération de leur part. 

Un one shot que j’ai dévoré et qui m’a permis de découvrir à la fois un moment important de la lutte sociale de l’entre-deux guerres et un grand combat féministe, mené par des travailleuses aspirant simplement à vivre dignement du fruit de leur dur labeur. Aussi instructif qu’inspirant ! 

Le chœur des sardinières de Léah Touitou et Max Lewko. Steinkis, 2025. 135 pages. 20,00 euros.


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vendredi 14 février 2025

Le dernier enfant du Blitz - Julia Kelly

Liverpool, janvier 1935. Viv s’apprête à se marier avec Joshua, le père de son futur enfant. Elle est catholique, il est juif, et sans cette grossesse « accidentelle », jamais leur union n’aurait pu être possible. Lui, musicien, rêve d’Amérique alors que la jeune fille vit encore chez ses parents, aussi stricts que pieux. Le jour du mariage, juste après l’échange des vœux, la mère de Viv propose à Joshua une somme conséquente pour qu’il disparaisse de la vie de sa fille. Quatre ans plus tard, alors que l’Angleterre s’apprête à subir les assauts aériens allemands, Viv, qui élève seul sa petite Maggie, doit se résoudre à l’envoyer dans une famille d’accueil à la campagne pour la mettre à l’abri. Joshua de son côté quitte New-York, où sa carrière n’a jamais décollé, pour s’engager dans la Royal Air Force. Quand, quelques mois après le début de la guerre, Maggie disparaît, sa mère ne supporte pas la douleur de la perte. 

Une fresque historique où les tensions familiales vont de pair avec celles engendrées par la guerre. La description du quotidien des Anglais sous le déluge de feu nazi est aussi réaliste que poignante. Réaliste dans la mesure où le fonctionnement de la société pendant cette période est raconté avec force détails. Poignante car elle montre la solidarité d’un peuple prêt à se serrer les coudes pour affronter ce terrible moment, un peuple décidé à ne pas courber l’échine face à l’ennemi. 

Julia Kelly a l’intelligence de ne pas faire pencher son récit du coté de la romance guimauve. Non, Viv ne pardonnera jamais à Joshua sa fuite le jour du mariage. Le focus se fait davantage sur la volonté sans faille de cette maman solo d’élever sa fille dans des conditions déplorables, avec des parents qui la rejettent et une indépendance financière impossible à acquérir. Surtout, elle montre à quel point l’amour d’une mère peut déplacer des montagnes et à quel point l’instinct maternel surpasse toutes les difficultés.

L’écriture est simple, hyper fluide, clairement pas de la grande littérature mais l’intrigue est menée avec une efficacité sans fausse note. Un portrait de femme touchant, doublé d’une précision historique des plus instructives, qui m’a fait passer un excellent moment de lecture.

Le dernier enfant du Blitz de Julia Kelly (traduit de l’anglais par Laurent Barucq). Eyrolles, 2025. 510 pages. 23,90 euros.