Je viens de terminer la lecture du Maboul de Jean Pélégri après avoir lu et aimer :Les oliviers de la justice. Ce roman est très différent même s'il se passa aussi dans la campagne, dans ce milieu de l'agriculture et des petits colons.
Tout le roman est le soliloque de Slimane qui raconte sa vie de pauvres ouvrier agricole et, ce faisant, celle des innombrables ouvriers dans ce domaine.
Ce roman est d'abord un exercice difficile et pourtant très réussi de style car l'auteur fait parler Slimane tout au long du roman dans une langue particulière, à la fois pleine d'erreurs, mais aussi de trouvailles , d'idées particulières, d'expression très imagée. On comprend de que Slimane veut dire mais il le dit à sa manière et tenir ce style tout au long d'un roman de prés de 200 pages est une réelle prouesse.
Le roman est un peu policier car Slimane a tué un homme et il ne sait pas très bien pourquoi. C'est un maboule c'est à dire quelqu'un d'un peu dérangé mais pourquoi est-il dans cet état?
Le tout se déroule dans une exploitation agricole pendant la guerre d'Algérie et l'atmosphère est fort bien rendu. Il est vrai que Jean Pélégri était un agriculteur, fils d'agriculteur. (Voir les Oliviers de la Justice)
André le propriétaire et Slimane se connaisse depuis longtemps. Ils discutent souvent ensemble et il y a des discussions émouvantes lorsqu' André parle de son fils Lakhdar à Slimane. Ce fils fait la guerre en France et sur une grande carte André montre régulièrement à Slimane où se trouve son fils.
Ils sont vieux tous les deux, la vie a passé et bientôt ce domaine pour lequel ils ont tant donné, l'un et l'autre, va probablement disparaitre. On songe a des scènes de Tchekhov. (Oncle Vania et la cerisaie ).
L'atmosphère de la période de la fin de la guerre est fort bien rendu.
Ce roman a été publié par Jean Pélégri en 1959 et je le découvre qu'aujourd'hui. C'est une très belle découverte d'un romancier Algérien qui fut un juste.
Le roman se situe en 1955 alors que la guerre d'indépendance vient de commencer et que le père de l'auteur est en train de mourir. Tout le début du roman est l'évocation de cette mort d'un père respecté et aimé qui fut un des ces agriculteurs pionniers qui défrichèrent et assainirent à force de travail ce qui deviendrait la belle région agricole de la Mitidja.
C'est l'occasion pour l'auteur de se souvenir de son enfance , de son adolescence , de la naissance de son amour pour cette terre. Dans ces évocations de la jeunesse et de l'admiration pour son père on pense aux souvenirs de Pagnol dans la Gloire de mon père.
Le roman m'a plu car il évoque des endroits que j'ai bien connu. La ferme des Pélégri était situé pas très loin du petit village colonial où ont vécu mes grands parents maternels: Le Fondouk. La description des paysages que l'auteur fait avec talent me renvoi à mes propres souvenirs et à mes propres impressions.
De même lorsqu'il évoque ses pérégrinations d'adolescent dans l'Alger d'autrefois je m'y retrouve totalement et lors de mon dernier séjour à Alger j'ai suivi ces itinéraires.
Mais ce roman n'est pas qu'un livre de souvenir il est une réflexion sur le sort fait aux Algériens. Dans la famille Pélégri on travaillait avec les Algériens mais on allait plus loin car se créaient des liens de fraternité profonds et un respect et une admiration pour la culture de cette population et tout cela est bien rendu dans le roman.
Le roman se passe en 1955. les Algériens et les pieds noirs ont connu, très peu d'années avant, la fraternité d'armes. Les Algériens se sont montrés courageux et ont défendu la France avec bravoure. Or bien loin d'en être reconnaissant on les a traités avec une grande injustice qui révolte Jean Pélégri. Il pousse un cri émouvant contre cette injustice.
Le roman nous amène à réfléchir à nouveau sur l'injustice coloniale qu'il décrit très bien et à un moment il a cette formule:
"Ce que je comprenais pas, c'est que, d'abord, pour qu'un paysage devienne un pays, il ne suffit pas qu'il soit beau. Encore faut-il que tous les hommes s'y sentent égaux."
Jean Pélégri a dédicacé son roman un poète Jean Sénac et tous deux, mais aussi Camus partageaient cette espoir d'une Algérie plurielle et libre. On sait ce qu'il en est advenu. Sans doute , contrairement à eux, Camus n'a pas pu envisager l'indépendance du pays mais il a , comme eux, contester le colonialisme et il aurait adhéré pleinement à ces rêves de fraternité qui court tout au long de ce très beau roman.
Pour ce livre de Jean Pélégri paru pour la première fois en 1989 je ne vais faire aucun commentaire mais je vais me contenter de citer un passage du livre et ,j'en suis sûr, il vous donnera le ton général de ce récit et vous donnera envie de le lire.
Le passage , le voici (p. 51 et s.)
"Il y a une tragédie, selon le mahatma Gandhi quand les uns n'ont pas tout à fait tort et les autres pas tout à fait raison. La guerre civile est une de ces tragédies. En particulier quand elle concerne l'avenir et le destin des vôtres et de votre communauté. Pour trancher ce genre d'affaires, pour choisir, la parole militante, le discours idéologique ne suffisent pas . Et encore moins les propagandes toujours douteuses. On a besoin pour comprendre, pour trancher, d'intercesseurs modestes, de messagers à la parole sincère qui vous fasse comprendre l'injustice sans mettre en cause la dignité des vôtres - afin que l'adhésion ne soit pas simplement un acte intellectuel abstrait et plus ou moins gratuit mais qu'elle vous engage tout entier. Sans trahison des vôtres, sans reniement de ce qui vous est cher.
Cette parole juste, je l'avais trouvé dans Bokhala et dans mes anciens compagnons d'armes algériens. Je l'avais déjà trouvée, élaborée, dans les livres de Roblès, Mammeri et Feraoun. Dans les poèmes de Jean Sénac, dans le vautour de Kateb Yacine, dans le roman de Dib La Grande Maison, qui m'ouvrit l'oreille et qui m'aida à trouver le ton qu'il fallait pour faire parler les hommes et les femmes d'Algérie. Mais la parole juste, douce, subtile, dont j'avais besoin, je l'ai trouvée dans une vielle femme algérienne, du nom de Fatima, qui surgit dans ma vie au moment voulu. Au tout début de la guerre d'Algérie. Une vielle femme illettrée. Mais l'on sait ce qu'il est dit dans le Coran de l'illettré.
Un jour comme les autres, elle se présenta pour demander du travail. Nous n'en avions pas la nécessité, mais je ne sais pourquoi, à cause de son regard et de sa dignité, nous l'engageâmes pour une heure ou deux par jour. Et c'est ainsi que nous nous sommes mis à parler avec elle, chaque jour en prenant le café ,où pendant qu'elle berçait dans ses maigres bras mon fils encore enfant. Malgré son français maladroit, elle avait sur toutes les choses, sur la vie, la vieillesse , l'amour maternel, la guerre, des jugements qu'aurait pu envier le plus savant des moralistes, des images saisonnières où intervenaient tout naturellement la lune , le figuier, le jasmin, le lilas. Et je l'écoutais ému, émerveillé. Chaque jour surpris par ses trouvailles et chaque jour étonné par cette simple et profonde sagesse.
C'est ainsi qu'elle nous apprit, par un détour, que son unique fils avait été tué au maquis pendant des combats. Nous montrant un avion de chasse, elle dit :"Regarde là-haut cette montagne. regarde cet avion qui passe...mon fils aussi l'a regardé!" Et elle ajouta, lointaine, "Quand Dieu te donne un fils, ce n'est pas pour l'enterrer!" Et là j'ai compris à qui elle pensait quand , avec un sourire lointain, elle berçait mon fils entre ses bras en lui chantant une berceuse arabe.
Ainsi, par elle, par ce sourire, par ces paroles douces et subtiles qui ne mettaient pas en cause la dignité des miens, j'ai franchi, sans déchirement, des obstacles qui pouvaient paraître insurmontables.
J'ai compris, parce que je l'aimais, que le racisme n'était qu'une simple et fragile barrière de roseaux.
J'ai compris, jour après jour, sans heurt et sans fracas, le sens du combat du peuple algérien, l'autre côté et l'autre nom des choses, l'autre nom de Dieu. Et sous ses yeux je me suis mis, chaque jour, à apprendre l'écriture arabe et à tracer mes premiers signes. Avec le plaisir de l'enfant qui transforme des sons familiers en lettres- et aussi l'émotion de l'entendre doctement corriger ma prononciation défectueuse. Un apprentissage qu'elle suivit avec attention, à la fois amusée et fascinée- en me demandant parfois d'écrire, sur un petit bout de papier, une phrase sur sa petite-fille Dhalila. Et j'écrivais en signe arabe, de droite à gauche, en m'appliquant: "Dhalila est une. Cela fait, en élève docile, je lui tendais le bout de papier qu'elle regardait un instant, comme si elle savait lire, en murmurant une ou deux fois la phrase arabe. Et qu'après l'avoir plié elle glissait ensuite, comme un talisman, au creux de sa maigre poitrine. En me remerciant avec un sourire heureux que je vois toujours."
Walid Hajar Rachedi , un jeune écrivain Algérien vient de publier aux Editions Actes Sud Jeunesse un livre consacré à Albert Camus un écrivain qui l'inspire. Ce livre a pour titre : Albert Camus: Non à la division et il comporte deux parties clairement distinctes y compris sur le plan typographique. La première partie extrêmement émouvante part de ce jour où Albert Camus apprend que le Prix Nobel de Littérature lui est décerné. L'auteur sait décrire avec un grand talent les réactions d'Albert Camus à cette nouvelle. Il évoque ensuite à la fois avec une grande précision , une grande clarté ce que l'on a appelé l'incident de Stockholm c'est à dire l'interpellation par un jeune Algérien sur sa position sur la question Algérienne. C'est la première fois que je vois décrire cet épisode qui a été exploité de manière abusive et , en réalité, malhonnête par certains intellectuels de l'époque. Il évoque aussi très bien ce moment de l'appel pour une trêve civile.
L'auteur met en scène ce jeune Algérien et l'on retrouve le récit bouleversant (déjà rendu public par José Lenzini) de ce jeune allant à Paris pour rencontrer Camus, apprenant par Jules Roy qu'il vient de décéder et qui se rend sur la tombe de l'écrivain à Lourmarin.
Je crois que ce livre fait justice et je m'en réjouis, de toutes les polémiques nées de ce moment à Stockholm.
La deuxième partie ( moins romanesque) nous rappelle tous ceux dans l'histoire récente qui ont œuvrés paour éviter la division des peuples ayant subis une grave crise, une grande tragédie. Ce livre n'a que 80 pages mais il est très dense et je le conseille absolument aux amateurs d'Albert Camus et de son oeuvre.
Ce roman paru en 2024 a connu un très grand succès et a obtenu le Prix Goncourt des Lycéens. J'ai aimé Houris le roman de Kamel Daoud qui a lui obtenue le Prix Goncourt. Si j'avais été juré j'aurai attribué ce prix à ce roman.
C'est un livre très dur. Je me suis demandé si j'avais déjà lui un livre d'une telle dureté. Je n'ai rien trouvé dans mes souvenirs. Mais toute cette dureté nous est donnée dans un style magnifique.
Le roman se déroule dans une petite région rurale à une époque (heureusement lointaine) où la vie des paysans était d'une très grande dureté, dominée par des seigneurs qui leur prenaient l'essentiel et victimes du climat qui, certaines années, les laissaient sans récolte et les conduisaient à la famine.
Le roman évoque une famille dans trois fermes isolées, séparées du bourg et qui voit apparaître ,un jour , une fille des bois qui a ,sans doute perdu ses parents et s'est élevée seule au milieu des bois: une sauvageonne au caractère bien trempé . Elle sera adopté par une famille mais entre famines et viols par le fils du seigneur sa vie ne sera qu'une longue suite de malheurs jusqu'au drame finale.
L'auteur Sandrine Collette qui vit dans une région âpre a étudié les documents sur les famines dues, pour l'essentiel , au climat et qui ont entrainé des morts. Ces paysans sont confrontés à un travail harassant, au froid et au gel, aux aléas du climat qui supprime certaines récoltes, à la faim. On se demande comment ils résistent.
Il y a l'instinct de survie, une forme d'acceptation du sort mais aussi le lien familial qui aide à supporter l'insupportable.
On ne sait plus ,aujourd'hui ,à quelles difficultés, à quelles misères ont été confrontés certains paysans à ces époques et ce roman nous invite à mesurer les progrès réalisés, non que tout soit parfait, loin de là, mais on ne connaît plus la dureté de ces temps que l'a a peine à imaginer.
J'ai assisté , hier soir, au Théâtre du Centre Alexis Peyret à Serres-Castet à la représentation de la Destinée d'un Roi ,une pièce de François Allagard et donnée par une troupe d'amateurs originaires pour la plupart de Morcenx: Les Baladins du Lac.
Cette pièce est consacrée aux états d'âme et aux réflexion d'un Roi dépassé par les évènements et par les problèmes de son royaume et qui se livre tout au long de la pièce à des monologues et des dialogues avec des membres de sa Cour. C'est un rôle tés long. Le Roi est présent tout au long de la pièce.
Autour de lui ,bouffon, serviteurs ,militaires et membres de la Cour lui donnent la réplique.
L'originalité de cette pièce est que l'auteur y insère, tout au long, des références à de grands auteurs classiques. C'est ainsi qu'on peut y rencontrer Victor Hugo, Shakespeare ,mais aussi Lewis Carole et Cervantes et son Don Quichotte. Le spectateur peut jouer à retrouver ces références.
Il y a , aussi , dans la pièce des bals et des danses et la troupe a eu l'heureuse idée de faire appel pour certaines danses à de jeunes handicapés qui, visiblement, prennent plaisir à danser sur scène.
Enfin les entrées sont reversées a une association d'aide au développement en Afrique.
Au total un beau spectacle par une troupe nombreuse et dont l'entourage a tout fait: les décors, la lumière et les costumes. Bravo.
Les éditions Gallimard ont publié dans la collection "Quarto" des romans de Boualem Sansal publiés par lui dans les années 1991-2011.
Je viens de relire deux de ces romans: "Le serment des barbares" et "Le village de l'Allemand" et je dois dire que les ayant lus il y a quelques années j'avais oublié leur force et les critiques féroces qu'ils portent sur l'Algérie Indépendante et sur l'Islamisme. IL est clair que ces livres ont dû faire du mal aux autorités Algériennes en montrant la dérive du pouvoir et aux islamistes dont il met clairement en évidence et de manière indiscutable l'idéologie criminelle qu'il rapproche dans son raisonnement du nazisme et de ces crimes.
Le pouvoir Algérien vient, en l'emprisonnant de manière totalement arbitraire et ne le privant d'une défense libre, de montrer que ce qu'écrit Boualem Sansal est la vérité.
Le "Serment des barbares" est un livre difficile, un peu trop touffus et si l'on voit bien la critique du pouvoir Algérien on a du mal à comprendre tout ce qui s'y passe.
Par contre j'ai beaucoup aimé "Le village de l'Allemand" qui est un récit très prenant qui revient sur ce que l'Allemagne hitlérienne a fait subir aux Juifs et à quelques catégories de population et il montre bien ce que ces faits ont d'unique, d'inimaginables et d'impardonnables. Le roman cite et prend appui sur le beau texte de Primo Levi Si c'est un homme.
Le roman nous décrit , ensuite , l'emprise de l'islamisme dans les banlieues et il en souligne la caractère insidieux et très grave. Comment- ne pas l'approuver et son parallèle entre le nazisme et l'islamisme pourra paraître excessif à certains mais je crois, qu'en réalité ces deux idéologies ont très exactement le même ressort, les mêmes mécanismes et le même danger.
Ce "Village de l'Allemand" devrait être lu et relu et notamment par tous les irresponsables qui ont des indulgences envers l'islamisme.
Dans « Rue Darwin »
Boualem Sansal revient sur sur son enfance et sa jeunesse et ce roman, en
grande partie autobiographique revient sur une enfance singulière, difficile à
digérer et, il est probable, que cette partie de sa vie explique qu’il soit devenu
un écrivain.
Le roman commence à la mort de
son père, ce père riche, dandy qui jouissait de la vie, seul héritier d’une
femme très riche (la plus riche d’Algérie) qui possédait des propriétés et des
entreprises non seulement en Algérie mais aussi en France et en Suisse.
Le narrateur, seul héritier
désormais de cette femme, est pris en charge par cette dernière qui l’enlève à
sa mère.
Quelques années plus tard sa
mère le reprendra et il ira vivre avec elle Rue Darwin dans le quartier
Belcourt à Alger.
Là il mènera une vie très
pauvre avec ses demi-frères et sœurs.
Plus tard au moment du décès
de sa mère à Paris, entouré de ses frères et sœurs il ressent le besoin de
revenir Rue Darwin et de comprendre la singularité de sa vie.
Il va apprendre et nous avec
lui que la femme qui vient de mourir n’est pas sa mère et que sa vraie mère est
une femme qui vivait chez sa grand-mère et , enfin qu’il a une frère, un enfant
qu’il considérait comme un ami dans son enfance.
Vous voyez que tout cela était
bien compliqué pour un jeune enfant qui ne savait pas mais qui devait sentir la
singularité de la situation.
Dans ce roman l’auteur nous
fait traverser l’histoire d’Alger à la période où il vécut Rue Darwin.