La petite ville de Renazé est connue pour avoir accueillie plusieurs fois le Tour de France, à raison puisqu’elle possède l’unique vélodrome du département.
C’est aussi la ville de naissance de celle qui fut la plus adorée des grands-mères françaises, Lucienne Moreau, égérie de Canal +, un amour de vieille dame avec qui j’avais eu la chance de sympathiser.
Mais c’est aussi l’ancienne capitale du pays bleu, à savoir de l’ardoise. On a de ce matériau l'image des toits qui ont donné leur couleur aux villages. Mais à l’époque on en faisait aussi des murets. Aujourd’hui il sert pour des remblais, entourer les pieds de vigne? C'est un revêtement de cuisine et de salle de bains, et il est toujours présent sous le tapis vert des billards.
On peut visiter le musée qui s’est installé "naturellement" dans une ancienne maison de mineur dont nous verrons l’intérieur à la fin de cet article. Il appartient à la commune mais il est géré par l’association des anciens perrilleurs, voire de leurs descendants et les gens y sont très attachés.
On les appelle aussi perreyeurs. Ils étaient littéralement les ouvriers qui construisaient les perrés, revêtements en pierre pour protéger les abords d'un pont, les berges d'une rivière; par extension, tailleur ou carrier. En région angevine on dit plus simplement ardoisiers. Partout ils avaient leur vocabulaire. Les chariots sont désignés par le terme de crapauds. Autrefois tractés par des chevaux (ou des hommes) les trains les ont remplacés quand on a modernisé.
Tout est étrangement calme et désert aujourd’hui mais il faut s’imaginer ce que c’était au plus fort de l’activité quand le site employait entre 300 et 400 hommes, y compris des femmes et des enfants, dès 7-8 ans.
Nous sommes ici sur le site de Longchamps où l’on creusa un puits en 1936. Ce dernier est équipé d’un chevalement en fer de 22 mètres de haut qui a d’abord été placé à la Brémandière (à Trélazé). C’est une structure de poutres en treillis dont il faut noter l’effort décoratif en partie supérieure, croix de Saint-André, balustrades et fines baguettes en plein cintre. C’est la partie la plus repérable du puits.
Les quatre hectares de "butte", le chevalement, les constructions de l’ancienne exploitation préservées dont le bâtiment de la machine d'extraction en pan de fer et brique, les tue-vents et cabanes reconstruites rappellent l’ancienne exploitation ardoisière abandonnée en 1975 et font du Musée un site patrimonial authentique. Il a été plusieurs fois le cadre de spectacles des Nuits de la Mayenne.
Le puits est ici de 300 à 400 mètres de profondeur. On descendait dans une cage, avec les chevaux et les ânes quand on les employait. Jusqu’en 1984, le visiteur pouvait lui aussi emprunter cet ascenseur mais la balade est désormais limitée à ce qui est visible en surface. Le musée renferme surtout des outils, des machines et beaucoup de photographies anciennes retraçant le travail de la mine en Mayenne, au cours des 5 siècles d’exploitation du schiste ardoisier à Renazé depuis le travail d’extraction et la taille des blocs.
L’ardoise a commencé à recouvrir les maisons de la région au XI°, et son essor date seulement du XV°. Mais selon une légende, probablement forgée vers 1820, le début de l’exploitation de l’ardoise remonterait au VI° siècle lorsque Saint Lézin aurait découvert la fissilité du schiste ardoisier et suscité l’introduction de l'ardoise dans les toitures angevines.
Toujours est-il qu’à Renazé la carrière fut gérée au XV° par une abbaye. Le trou était de 4 mètres sur 4 et on y descendait sans échelle. l’exploitation se faisait alors à ciel ouvert, puis on creusa en gradins, et enfin on appliqua la troisième méthode dite « en descendant » pour atteindre le sous-sol. A ce stade la carrière est exploitable environ une centaine d’années. Ici elle ne le fut que 34 ans de 1941 à 1975. On a fermé pour deux raisons, la fusion de la trentaine des carrières qui se trouvaient dans le périmètre et parce que le patronat a préféré investir en Espagne. En France les mines étaient plus difficiles à exploiter, donc moins rentables et Renazé fut la dernière à fermer.Mais commençons par le carreau de la mine, où se commandaient tous les mouvements entre le haut et le bas, autrement dit entre le jour et le fond.
Une liste est affichée dans une salle du musée comportant les surnoms des ouvriers car chacun en possédait un qui lui était attribué officiellement. Par exemple Poidemai pour un gars Poirier né en mai, Louis XIV pour le 14ème d’une fratrie. Le treuilliste devait savoir lire et écrire pour noter la quantité de travail de ses collègues dans la chambre. Il rendait compte au contremaître qui en déduisait les salaires et garantissait la productivité, ce lui valait d’être surnommé belle-mère, car il était toujours sur votre dos. Il est amusant de savoir que ce terme est souvent employé. Il désigne une épingle à nourrice pour les costumières dans l'argot des métiers.Les ouvriers n’avaient pas d’habit de travail à proprement parler. On les voit sur les photos en bras de chemise et chapeau. Comme protection, ils portaient deux chapeaux en cuir, qui étaient enfilés l’un sur l’autre pour plus de solidité. Leur grosse moustache était censée filtrer l’air saturé de poussière d’ardoise. Au fond, l’humidité est de 90% pour une température à peu près constante de 12-13°. L’espérance de vie d’un ouvrier de fond était en moyenne de 38 ans en 1880, 53 ans en 1935. Bien sûr leur santé était compromise par ce travail. Beaucoup étaient atteints de silicose et de shistose, aggravée par l’alcoolisme.Chacun avait sa gourde ou son petit baril contenant de l’alcool, du vin ou du cidre, ou encore de la postillonne. C’est le nom d’un mélange de sucre et de café allongé d’eau-de-vie à 60°, appelée ainsi parce que son abus faisait postillonner. La croyance que l’alcool protège et conserve en bonne santé était très forte. Et malheureusement perdure puisqu’une étude de Santé publique France réalisée entre 2020 et 2021 révèle que, encore aujourd’hui, plus d'un Breton sur quatre boit trop d'alcool.
Mon guide m’a fait remarquer que la Mayenne est hélas très bien placée dans ce palmarès. Il m’apprend que Rénazé comptait 72 cafés au début du XX° siècle, encore 18 aujourd’hui. Et je me souviens du temps où l’expression "boire un café" sous-entendait café + calvados, sans ambiguïté.
A midi, la pause ne dépassait pas 25 minutes pour manger du pain recouvert de saindoux (graisse de porc).La première chose était de s’arrêter à la lampisterie avant de descendre pour prendre son matériel. Et on plaçait alors son jeton de présence. Pour s'éclairer le mineur n'avait qu'une lampe à carbure ou acétylène.Une fois descendu à 300 mètres sous terre, ça tremblait, ça cognait et on n’entendait rien. Alors on utilisait des signaux sonores pour communiquer. Mon guide me fait une démonstration de généphone, l’ancêtre du téléphone.La salle des machines est plutôt impressionnante et lorsqu'on met en route les compresseurs tout résonne bruyamment. Les explications, très techniques, n'ont pas leur place ici mais les photos parlent d'elles-mêmes.J'ai été étonnée de voir ce plancher dans la salle, de voir mon guide enfiler les patins pour aller démarrer une machine, et surtout d'apprendre qu'il était d'origine car il semble avoir été posé hier. L’explication vient du fait que pendant la guerre il y avait pénurie de béton et de carrelage mais pas de bois. On recouvrit donc le sol avec ce matériau. L’homme chargé de son entretien était marin. Il lui était naturel et évident de l’encaustiquer. Tout le monde respectait son travail et "prenait les patins", y compris les patrons. Et mon guide n’a pas perdu l’habitude.Nous sommes ensuite passés dans les ateliers où travaillaient les gars d'à haut, par opposition à ceux d'en bas, les mineurs. Voici le locotracteur à moteur diesel servant à l'acheminement des chariots de pierre du puits d'extraction jusqu'aux ateliers de fabrication.Il fallait scier les plaques de schistes en bandes, puis en "repartons". C’est le nom donné aux blocs faits machine par opposition aux "quernons" s'ils sont faits manuellement. Il est évident que l'ouvrier cherche à produire le plus grand nombre possible de repartons de l'échantillon le plus grand, qui lui est payé le plus cher. Le disque de découpe devait être remplacé toutes les 200 heures, ce qui donne une idée de la dureté des blocs qui même petits m’étaient impossibles à soulever.Voici le poste de fendage et de rondissage mécanique, tel qu’il était utilisé jusqu’en 1985.Avant les machines, tout était fait à la main comme on me l’a démontré. Les fragments de schiste étaient divisés par les ouvriers d'à-haut d'après la meilleure répartition à faire de ces morceaux au point de vue de la fabrication, en profitant de la propriété que possède la pierre de se querner dans le sens perpendiculaire au long grain.Une simple entaille de quelques centimètres et un coup de maillet en bois amènent cette division que suit ou précède celle suivant le long de la pierre... dans ces ateliers en plein courant d’air, ou presque mais où on ne subissait pas la poussière. Voilà pourquoi les gars d’à-haut étaient surnommés les seigneurs par les gars d’à-bas. Les rôles étaient bien séparés. D'après le règlement, il était défendu à tout perreyeur d'à haut de contracter alliance avec la fille d'un ouvrier d'à bas.Chaque plaque ne devait pas excéder 5 tonnes (ce qui est déjà énorme). On "touchait" une qualité à tour de rôle d’un jour à l’autre. Elle était établie selon le nombre d’ardoises qu’on pouvait en tirer : Rang de rien / Rang perdu / Petit rang /Le bon rang … qui pouvait fournir jusqu’à 800 ardoises taillées, pourvu qu’on ait le coup de main. Ces plaques étaient stockées dans de grands trous comparables à des tombes, et régulièrement arrosées d’eau de manière à maintenir de l’humidité pour que l’ardoise se fende sans casser.
On travaillait debout à la presse à fendre. J’entends nettement le petit craquement du schiste. Les copeaux qui se dégage mtn sont très compacts. La manipulation se fait avec le genou. Plus tard on effectuera la taille finale avec une sorte de massicot (c’est le rondissage qui biseaute) avant de les empiler.
S’agissant de l’apprentissage, celui-ci n’était pas encadré et on travaillait à son compte quand on s’estimait prêt.Pendant la guerre, faute de main d’œuvre masculine on sollicita les femmes. Très vite leur tenue vestimentaire se révéla inadaptée. Certes, elles auraient pu troquer leur longue jupe par un pantalon, mais en inventant pour leur confort des ateliers adaptés on a permis une avancée ergonomique du travail de l’ardoisier. On imagina pour elles des postes de découpe où elles pourraient travailler debout, avec plus de précision et d’efficacité et en ne se cassant pas le dos. Si bien que lorsque les hommes revinrent de guerre, ils bénéficièrent de conditions de travail bien meilleures.La visite extérieure se poursuit le long des rails de l’ancienne voie ferrée. Les wagons dits crapauds transportants les déchets sont nombreux car la proportion d’ardoise utilisée n’est que 15% du volume extrait. Voilà comment au fil des ans se sont accumulés 10 mètres d’épaisseur de déchets sous nos pieds. Ceci explique aussi que les buttes soient une des caractéristiques du paysage minier même s’il est plus flagrant à Trézalé, à côté d’Angers, où l’on extrait pourtant, dit-on la meilleure ardoise de France.Vous vous douterez qu’ils ne furent pas bleus à l’origine. Ils ont été repeints de la couleur fétiche du pays ardoisier lors d’une célébration patrimoniale. A ce propos je signale que l’ardoise peut être de plusieurs teintes. Si elle est gris-bleu dans notre région elle est gris-vert en Argentine, violette aux Pays de Galles, noire en Chine. Forcément les toits sont différents.Allons visiter l’intérieur de la maison d’un ardoisier.Chaque objet mériterait un commentaire … La reconstitution est très vivante. On peut voir ensuite (ou avant) la partie musée géologique qui permet de comprendre la formation du schiste ardoisier suite à la pression exercée sur un dépôt océanique d’argile il y a 460 millions d’années par des plaques tectoniques qui se sont rapprochées. L’ensemble a chauffé et s’est durci, emprisonnant parfois de petits fossiles, nettement visibles pour nous à la lumière (ci-dessous à gauche).On remarque aussi des éclats brillants, de cette fameuse pyrite (ci-dessous à droite en énorme quantité), le sulfure de fer qui est l’or des fous car bien entendu il n’en contient pas et n’a pas de valeur. Ces corps hétérogènes sont les "lamproies" qui interrompent la fente et occasionnent dans la fabrication (de l'ardoise) un déchet plus ou moins grand.
Un diaporama datent de 1987 raconte tout le chemin de l’ardoise, aussi bien le travail du fond que de surface, de découpe de bancs de 3 à 6 mètres en montant, dans une chambre de 20 mètres sur 30 de haut, 60 de long, chaque banc ne devant pas excéder un poids supérieur à 5 tonnes à remonter comme indiqué précédemment. On utilisait alors la poudre noire et non pas de la dynamite qui aurait tout broyé.L’ardoise est très compacte, stable, donc peu accidentogène et il était peu nécessaire d’étayer. Mais souvenons-nous de l’absence de ventilation qui provoquait de graves atteintes pulmonaires par inhalation de la poussière. Une des affiches rappelle le rôle de l’hôpital Daudier de Renazé dans le soin des ardoisiers et les diverses polémiques qui ont été lancées.D’autres panneaux sont très intéressants à propos du travail des femmes, de celui des enfants, et de la transmission du métier de génération en génération.Devant le musée, d’amusantes tables posées sur des champignons géants permettent de pique-niquer. Le musée municipal de l’ardoise et de la géologie de RenazéDu mercredi au dimanche, de 14h30 à 18h30. Le samedi uniquement sur réservation.Contact : 02 43 06 40 14 ou 06 38 14 34 01Tarifs : Adulte : 5€ / Enfant : 2.50€