Il n’y a pas si longtemps, Amanda Calhoun, une joueuse occasionnelle, a envisagé d’acheter un jeu vidéo avec capacité multijoueur en ligne pour jouer avec d’autres joueurs en ligne. Mais en parcourant les critiques du jeu, elle a découvert des plaintes concernant la fréquence à laquelle le mot N était utilisé par certains sur la plateforme. Elle a décidé de ne pas l’acheter.
Pour Calhoun, qui est noire, la découverte a été pénible, non seulement personnellement mais professionnellement, compte tenu de son travail en psychiatrie pour enfants et adolescents. Avec autant d’enfants jouant à des jeux vidéo, comment un tel langage a-t-il affecté leur identité et santé mentale?
“Bien que ces jeux soient amusants et divertissants, il existe tout un monde interactif dans lequel les enfants évoluent”, a déclaré Calhoun, chercheur en pédopsychiatrie au Child Study Center de l’Université Yale à New Haven, Connecticut. “Vous jouez à ce jeu pour vous amuser, pas pour voir des insultes racistes.”
Un domaine de recherche croissant sur le racisme en ligne et ses effets sur les jeunes montre racisme et extrémisme sur les plateformes de jeux en ligne ont des effets néfastes sur la santé mentale et émotionnelle des personnes ciblées directement, ou même indirectement, par ce vitriol. Plus de 212 millions d’Américains jouent à des jeux vidéo, selon l’Entertainment Software Association. Rapport sectoriel 2023alimentant un marché de 56,6 milliards de dollars.
Environ les deux tiers des 25 millions de joueurs américains âgés de 10 à 17 ans sont victimes de harcèlement sur les plateformes multijoueurs, a estimé l’Anti-Defamation League dans un rapport de décembre. « La propagation de la haine, du harcèlement et de l’extrémisme dans ces espaces numériques continue de croître de manière incontrôlée », écrivent ses auteurs.
Cela peut avoir des répercussions néfastes, a déclaré Calhoun, soulignant une déclaration politique de 2019 publié par l’Académie américaine de pédiatrie qui traitait des impacts du racisme sur la santé mentale des enfants, le décrivant comme un déterminant social ayant de profonds effets sur la santé.
“Il y a beaucoup de honte impliquée”
Certains craignent que le fait d’être soumis au racisme dans un espace vers lequel beaucoup se tournent pour leurs loisirs puisse jouer un rôle dans une situation troublante. augmentation des taux de suicide chez les jeunes Noirs. Selon les Centers for Disease Control and Prevention, les taux de suicide chez les jeunes Noirs âgés de 10 à 24 ans ont augmenté de 36,6 % entre 2018 et 2021, soit la plus forte augmentation en pourcentage parmi tous les groupes démographiques.
“Il y a beaucoup de honte à voir toutes ces interactions racistes”, a déclaré Brian TaeHyuk Keum, professeur adjoint de psychologie du conseil au Boston College de Newton, Massachusetts, qui a étudié les effets psychologiques du racisme sur les jeunes noirs, américains d’origine asiatique et latino-américains. « Lorsque vous voyez du contenu qui marginalise ou dénigre constamment votre identité, vous vous sentez exclu de la société, et cela se traduit par : « Est-ce que je mérite d’être dans cette société ? Et vous pouvez voir où cela mène.
Une vidéo YouTube publiée l’année dernière par Melanin Gamers, une communauté de joueurs promouvant la diversité et l’inclusion, présentait un montage de clips audio illustrant des épithètes raciales, ethniques et antisémites adressées aux joueurs de jeux populaires tels que “Call of Duty”.
“Cette fréquence de racisme manifeste est inédite depuis Jim Crow”, a déclaré Stephanie Ortiz, professeure agrégée de sociologie à l’Université du Massachusetts Lowell, au nord de Boston. « Lorsque l’on ajoute à cela des microagressions, nous ne devrions pas être surpris que les enfants noirs signalent des idées suicidaires. Et il n’y a pas de répit. C’est le prix d’entrée, quelque chose qu’il faut supporter si l’on veut jouer.
L’année dernière, l’ADL a interrogé plus de 2 100 joueurs américains sur PC, consoles et plates-formes mobiles, dont 1 931 personnes jouant à des jeux multijoueurs en ligne.
Parmi tous les répondants, le groupe a constaté que le harcèlement fondé sur l’identité raciale et ethnique était le plus élevé chez les Noirs (44 %) et les Américains d’origine asiatique (40 %). Pendant ce temps, les Latinos ont enregistré l’une des augmentations les plus importantes par rapport à 2021, avec 31 % des Latinos signalant un harcèlement fondé sur l’identité, contre 25 % l’année précédente.
Parmi les personnes âgées de 10 à 17 ans interrogées par l’ADL, 15 % ont déclaré avoir été exposées à des idéologies suprémacistes blanches, contre 10 % en 2021.
Même si le racisme a toujours sévi sur Internet, Ortiz a déclaré que le problème s’aggrave à mesure que le nombre de plateformes en ligne augmente, offrant davantage d’espaces de connexion aux gens.
Cela peut être une bonne chose : les joueurs décrivent largement le jeu comme une source de positivité dans leur vie, a rapporté l’Entertainment Software Association, réduisant le stress et créant une communauté.
Cependant, l’anonymat autorisé dans les espaces en ligne peut susciter des cyber-agressions et « beaucoup de courage virtuel, où les gens sentent qu’ils peuvent dire des choses qu’ils ne diraient pas dans leur monde hors ligne », a déclaré Keum. « Les jeux en ligne offrent une plateforme sur laquelle ils peuvent exprimer une idéologie raciste. »
Un problème aux conséquences réelles
Un comportement incontrôlé sur de telles plateformes peut avoir des conséquences réelles : le tireur qui a tué 10 Noirs dans un supermarché de Buffalo, New York, en mai 2022, avait publié sur Discord qu’un jeu sur la plateforme de jeu Roblox avait influencé sa radicalisation.
Un rapport du gouvernement sur l’attaque de mars 2019 au cours de laquelle 51 personnes ont été tuées par balle dans deux mosquées de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, a montré le parcours similaire du tireur à travers des jeux multijoueurs en ligne qui lui ont permis « d’exprimer ouvertement des opinions racistes et d’extrême droite » sans réaction.
Les efforts visant à lutter contre de tels comportements sont lents dans l’industrie du jeu, même si on les compare à ceux des sociétés de médias sociaux, a déclaré l’ADL dans son rapport, citant Roblox comme la seule entreprise disposant d’un droit public explicite. politique anti-extrémisme.
“L’incapacité de l’industrie du jeu vidéo à créer des espaces sûrs et respectueux pour ses utilisateurs a rendu les communautés au sein des plateformes de jeux en ligne si remplies de haine qu’elles rivalisent avec les pires endroits sur Internet”, ont déclaré les auteurs.
Près des deux tiers (65 %) des personnes interrogées dans le cadre de l’enquête de l’ADL ont déclaré que les sociétés de jeux vidéo devraient faire davantage pour soutenir les personnes ciblées par la haine et l’extrémisme. Près de 6 personnes sur 10 (59 %) estiment que les entreprises devraient être tenues responsables d’un tel comportement.
Pour certains, le harcèlement peut conduire à l’isolement
Selon Ortiz, il incombe en grande partie aux victimes ou aux témoins de racisme en ligne de bloquer les contrevenants, d’éviter de jouer avec des inconnus ou de dissimuler leur propre identité. De telles expériences ont incité 30 % des jeunes joueurs à masquer leur identité dans les jeux en ligne en 2022, selon l’ADL, contre 25 % en 2021.
“Avec les jeunes enfants, il peut y avoir beaucoup de choc”, a déclaré Ortiz. « C’est l’une des premières fois que des jeunes entendent directement ces insultes…. Le problème avec l’espace de jeu en ligne, c’est que les gens y vont pour leurs loisirs, c’est donc particulièrement frustrant. Cela peut conduire à l’isolement. Les enfants joueront seuls pour éviter le harcèlement.
Certains joueurs tentent d’éviter de devenir des cibles en modulant leur voix sur les plateformes proposant une telle technologie, tandis que d’autres décident simplement de ne pas parler du tout.
“Certaines personnes se sont isolées”, a déclaré Kishonna Gray-Denson, professeur agrégé d’écriture, de rhétorique et d’études numériques à l’Université du Kentucky à Lexington, qui a écrit sur les expériences des joueurs noirs. « Ils jouent avec leurs amis, mais ils ne jouent plus dans les espaces publics. Et si vous n’avez pas de groupe de personnes, vous vous mettez simplement en sourdine.
Un rapport de juillet publié par la Fondation JED, une organisation à but non lucratif basée à New York qui promeut la santé mentale et la prévention du suicide chez les jeunes adultes, ainsi que par Raising Good Gamers, une agence qui milite en faveur d’environnements de jeu en ligne sains, a appelé un certain nombre d’acteurs de la communauté à s’attaquer au problème. problème. Alors que les taux de problèmes de santé mentale augmentent chez les jeunes, les auteurs ont dit un examen de l’impact des espaces en ligne sur une population sensible au développement est crucial.
« Nous constatons un besoin urgent de donner la priorité et de soutenir la santé mentale dans la conception, la construction, la fonction, la réglementation et la surveillance de ces espaces », ont-ils écrit.
Keum, du Boston College, a déclaré qu’il fallait un changement global dans la culture en ligne.
« Il s’agit de la façon dont nous socialisons nos jeunes aujourd’hui », a-t-il déclaré. « Nous devons nous assurer qu’il y a une éducation critique derrière cela. Cela va prendre beaucoup de temps.
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