Ça commence de façon très banale. Il pleut. Elle a un parapluie, il n'en a pas. Un dimanche soir, devant l'enseigne d'un cinéma d'art et d'essai de la capitale, elle l'invite à s'abriter. Et c'est la foudre, soudain, qui s'abat sur lui...
Mais ensuite l
’écriture de Thibaud Gaudryest à la fois surprenante à chaque phrase et totalement prévisible pour qui connait et aime Paris et les films américains. Il écrit (p. 6) L’impossible avait été possible, et soudain on pense à un tableau de Chagall … dont précisément il est question deux lignes plus bas.Il réussit la prouesse de nous faire croire à cette histoire d’amour dont il ne raconte pas grand chose. Il a d’ailleurs l’excellente idée de passer illico au jour suivant après la soirée de la rencontre.Le roman se déroule certes dans la capitale, mais surtout dans la tête du personnage qui a la manie de fétichiste le moindre truc en jonglant entre mythomanie, paranoïa et sens de la catastrophe. Pour lui tout fait sens. Les signes lui avaient toujours semblé importants. Ils étaient un peu comme des balises dans la nuit. Ils apportaient quelques repères et donnaient un peu de sens à des vies qui la plupart du temps paraissaient vaquer comme des canards sans tête (p. 20). Et pour nous aussi dès lors qu’on a pris son parti. On le suit, on est à ses côtés. Plus encore, il m’est arrivé de devancer ses divagations en devinant ses pensées, ce qui est très jouissif parce que l’auteur a tellement l’art de la description, de la citation et de l’hommage qu’on est autant surpris qu’on le serait par la dégustation d’un plat cuisiné par un grand chef.En guise d’aromates et de condiments, il invente des mots quand ceux de la langue française ne sont pas suffisamment adéquats. Comme genekellyser (p. 11), panthéoniser (p. 13), humeur toutânkhamesque (p. 22), Elle était sa dépendance feudartifesque dans cette vie monochrome (p. 33), engloutir quelque sorbet himalayesque (p. 28) …Ils vont beaucoup au cinéma et la liste de leurs réalisateurs préférés est longue. Plus les semaines passaient, plus la famille s’agrandissait. Il y avait eu William Wyler et sa bonne fée par la grâce de qui tout était arrivé. Ensuite l’oncle Lubitsch, le préféré. Puis tous les autres apôtres, Billy Wilder, Stanley Donen, Blake Edwards, Fritz Lang, Howard Hawks, Alfred Hitchcock, John Huston, Otto Preminger, George Cukor et Joseph L. Mankiewicz. Ils étaient autant de saints envers lesquels il serait reconnaissant pour l’éternité (p. 28).
S’il y a une sainte que le héros de Thibaud Gaudry aurait dû invoquer ce n’est pas tant Sainte-Bernadette (même si une salle de cinéma devient pour lui
sa Massabielle, sa Mecque, sa gare de Perpignan (p. 14) mais bien Sainte-Suzanne car elle est la patronne des fiancés. Elle aurait décuplé son amour car elle s’y connait aussi en anglais. La preuve ici. Il n’aurait pas gardé longtemps ce rival britannique dont je vois l’existence ponctuée à deux reprises par cette double marque ?!dont l’usage est si rare (p. 31) et que j’ai découvert en lisant Un dernier été d’Elin Hilderbrand.Il sait être délicieusement humoristique. Comme avec cette formule tennistique d’un humour fou : c’était Venus contre Williams (p. 36).Il ne manque me semble-t-il qu’une référence, celle à la ville d’Aurillac qui est la capitale du parapluie et dont tous les grands films sont pourvus car les cinéastes n’auraient pas voulu de pacotille chinoise. Ceux de Cherbourg n’existent que relativement récemment, et en tout cas bien postérieurement au film éponyme.Thibaud Gaudry parvient jusqu’à la dernière page à maintenir le suspense sur la teneur de la relation entre les deux personnages principaux et à susciter notre étonnement. Il démontre brillamment combien le sentiment amoureux donne des ailes, fussent-elles celles d’Icare.La Vénus au parapluie de Thibaud Gaudry, Buchet-Chastel, en librairie depuis le 17 août 2023Lu en format numérique de 42 double-pages grâce à la plateforme Netgalley que je remercie. Les pages indiquées pour chaque citation correspondent à la numérotation de 1 à 42 de cette lecture.