L'un des plus fameux incipit de la littérature française serait le fruit d'une coquille : Marcel Proust n'aurait pas voulu écrire « Longtemps je me suis couché de bonne heure », mais « Longtemps je me suis couché de bonheur ». À partir de cette facétie, Daniel Picouly s'amuse en désacralisant À la recherche du temps perdu. il glisse dans ce roman des éléments autobiograhiques. Nous sommes en 1964. Le narrateur est l'un des élèves turbulents du collège Frédéric-Joliot-Curie, d'Orly. Même s'il n'y a qu'une classe de troisième dans cet établissement, elle est nommée la « 3e B » parce que le collège a peur de faire pauvre... La plupart des garçons habitent dans la cité HLM, comme le narrateur qui est le onzième d'une famille de treize enfants.
Un jour, dans une librairie, il aperçoit une jeune fille nommée Albertine qui achète un roman de Proust. Elle ne vit pas dans la cité, mais dans les beaux quartiers. C'est le début d'une obsession : il veut retrouver Albertine et lire Proust. Il veut éviter d'être orienté en lycée professionnel et être admis en seconde générale. Pour cela, il attend fébrilement sa note de composition française - elle est déterminante pour son passage en classe supérieure. Le charme d'Albertine va donner des ailes à notre jeune homme désormais épris de la prose de La Recherche. Son ami Bala, un drôle d'énergumène, le soutient dans sa double ambition, scolaire et amoureuse. Cette quête chimérique est un roman en soi. Bala ne dit-il pas à son copain, avec son pragmatisme : « Toi c'est pareil avec ton Albertine. Tu sais l'écrire, maisen vrai , tu ne fais rien avec elle. Tu la racontes, c'est tout. Tu shéhérazades » ? Bien vu. N'est-ce pas de la graine d'écrivain ?
Virée fantasque
Quant au professeur de français, Monsieur Taquin, il pourrait bien devenir l'allié du petit Picouly à la recherche de son Albertine : il n'a que Proust à la bouche, captive ses élèves. Dans ce livre, on croise un nombre considérable de personnages de La Recherchequi se promènent dans la cité HLM. On assiste également à une virée fantasque et fantastique avec Sagan (elle a choisi ce pseudonyme en hommage à Proust) qui distille des cours d'écriture. On refait le match du Goncourt 1919 entre Proust et Dorgelès.. Tout son monde tourne désormais autour de La Recherche. Dans sa cité, il reconnait ici un Charlus égoutier, là une Odette infirmière à domicile ou une duchesse de Guermantes battant ses tapis à la fenêtre…. Rêve ou réalité, peu importe, quand il sera grand, il sera Proust. Mieux, il rêvera de réparer l'erreur de Proust : avoir tué Albertine en la faisant tomber de cheval (Picouly imagine qu'elle n'est pas morte et a même pu remonter sur son lipizzan). Si l'Albertine du narrateur (la crâneuse de la librairie) est le fil rouge du roman, c'est que l'Albertine de roust est le personnage le plus cité dans A la Recherche du temps perdu : 2 360 fois ! (alors que roust fait allusion à sa mre 1 395 fois, et 275 fois à son père et une seule fois à son frère).
« je commence à voir des personnages de Proust partout dans le collège », reconnait notre héros, qui attend avec anxiété la note de sa rédaction. Celle qui commence par « Longtemps je me suis couché à plusieurs », allusion proustienne à la densité familale (13 enfants) dans le logement de cette cité HLM d'Orly. Dans ce récit, l'auteur nous raconte deux journées de sa vie scolaire, alors qu'il est en classe de troisième. C'est deux journées vont être à l'origine de la poursuite de sa scolarité dans un lycée d'enseignement général, de son entrée dans un lycée technique ou de sa découverte du monde du travail. En effet, la dernière rédaction doit sanctionner ce cycle d'études. Le rythme du récit est souligné par une allusion à l'heure qu'affiche la pendule de la classe dans chacun des 13 chapitres.
Le roman est truffé d'allusions aux années 60 (le tourne-disque portable Teppaz, l'émission de radio Salut les copains, l'émission de télé Cinq colonnes à la une, la viste de de Gaulle au Mexique, l'assasinat de Kennedy, Noële Noblecourt, virée de la télé pour avoir montré ses genoux à l'antenne, la Lancia Fulvia, les maquettes Heller, le feuilleton Janique Aimée, Gigliola Cinquetti qui remporta le concours Eurovision de la chanson en 1964, les chroniques judiciaires de Frédéric Pottecher, le film Les Parapluies de Cherbourg). Les détails de la vie de Proust sont livrés par Bala et le narrateur. Les murs du bureau de Proust couverts de liège, les brumes d'une fumigation à la poudre Legras pour soigner son asthme, sur un coup de sonnette, l'apparition Céleste Albaret suivi d'un « Tiens, voilà la Joconde ! » en fidèle gouvernante, elle apportait à Proust un plat d'argent chargé d'une cafetière en argent, d'un pot de lait, d'un croissant chaud sur une soucoupe de porcelaine. Bala, le meilleur ami du narrateur, qu'il fréquente depuis le primaire, est le fils de la Patronne, la concierge de la Cité. le prénom de cette dernière est Sidonie et Gustave le prénom de son époux, comme les prénoms des Verdurin qui tiennent un salon dans Du Côté de chez Swann.
A la fin du roman, la mère de Bala reçoit dans son salon Céleste Albaret (la servante et secrétaire de Proust) qui mènera le narrateur et Bala jusqu'à la cachette secrète des fameux cahiers que Proust lui avaient demander de brûler (elle n'avait pu s' y résoudre) et les fameux feuillets de "La Fugitive" qui permettront de compléter ce volume de la Recherche et de lui restituer le titre que Proust avait réelleent choisi "Albertine disparue". On apprend que l'Albertine du narrateur s'était moquée de lui par une remarque raciste dite à la libraire au moment où elle achetait un livre de Proust. Le narrateur reçoit une mauvaise note à sa rédaction et est recalé par les sergents recruteurs des lycées d'enseignement général.