Quand tous les secteurs d'activité se prennent au jeu des applications de l'intelligence artificielle (générative, pour rester dans l'air du temps), quoi de plus naturel qu'un cabinet de conseil tel que McKinsey rejoigne la mouvement ? Recrutée pour ses talents d'exploratrice d'information, Lilli, se contentera d'un rôle d'assistante. Jusqu'à quand ?
Le principe est évidemment séduisant. Sachant que les missions confiées à l'entreprise débutent toujours par une recherche de références et d'inspiration au sein du capital de connaissances qu'elle a accumulé au cours de son (quasi) siècle d'existence – 40 sources soigneusement filtrées et 100 000 documents en tout genre – et de son réseau d'experts dispersés dans 70 pays autour de la planète, un outil capable de réaliser ces tâches automatiquement représente un facteur de productivité extraordinaire.
Concrètement, comment Lilli fonctionne-t-elle ? Accessible via une interface conversationnelle et un peu à la manière de ChatGPT pour le grand public, l'utilisateur lui pose d'abord une question, à laquelle elle répond en proposant 5 à 7 contenus pertinents issus du corpus interne, assortis d'une synthèse des points clés de son analyse (avec les liens vers leur origine). Elle peut également identifier les meilleurs spécialistes maison susceptibles d'être appelés en renfort pour la suite des opérations.
La plate-forme a d'abord été expérimentée avec un petit groupe de cobayes et, au vu de son efficacité, elle est dorénavant en voie de généralisation à l'ensemble de l'organisation. Cette extension se fait avec toute la prudence nécessaire et grand soin est pris de former les utilisateurs aux méthodes d'interrogation et au contrôle des réponses. En outre, les premières réflexions sur la possibilité de l'adapter aux exigences d'autres structures sont en cours, de manière à pouvoir la commercialiser auprès des clients.
Face à cette présentation optimiste et en imaginant l'avenir de Lilli, je vois rapidement surgir deux questions vitales : McKinsey ne se tirerait-il pas une balle dans le pied, à moyen terme, et ne va-t-il pas entraîner ses clients dans une spirale infernale ? Il me semble en effet que croire que, une fois le doigt pris dans l'engrenage, l'IA se satisfera à jamais de sa position secondaire au service des consultants relève de la douce illusion. Et l'extension de son périmètre d'intervention aura des conséquences dramatiques.
Dans une certaine mesure, le premier problème existe déjà et l'irruption de l'intelligence artificielle ne va faire que l'aggraver, jusqu'à potentiellement, tuer la poule aux œufs d'or des géants du conseil. Je veux parler de la tendance qu'ont ces groupes, immobilistes car persuadés d'être immuables, à toujours recycler les mêmes recettes chez leurs clients (ceux-ci étant prêts à payer le prix d'une notoriété rassurante), sans plus vraiment se préoccuper de prendre en compte les contextes et les besoins différents.
Or plus les missions se transforment en simples déclinaisons des bonnes pratiques assemblées au fil des générations de consultants et de leurs interventions, plus une solution comme Lilli se révèlera aussi pertinente que n'importe quel employé humain, sinon plus, grâce à ses capacités particulières, par exemple en termes d'exhaustivité et d'objectivité (pourvu qu'elle soit correctement entraînée). Au-delà de la menace pour les effectifs, il sera alors difficile de justifier les tarifs exorbitants pratiqués aujourd'hui.
La dérive pourrait par ailleurs rapidement affecter les entreprises fidèles à ces cabinets, victimes collatérales de l'industrialisation et de la standardisation du conseil qu'elles acquièrent sans qu'elles soient vraiment conscientes du phénomène sous-jacent. Dans un écosystème qui s'uniformisera, émergeront les trublions qui auront préféré chercher un appui auprès de personnes (en chair et en os) capables de réellement les comprendre et de sortir des sentiers battus afin de les faire progresser et sortir de la masse.