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Le marketing et la société du spectacle

Publié le 16 août 2023 par Raphael57
Le marketing et la société du spectacle

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L'été est toujours pour moi une période d'otium, surtout après cette année extrêmement chargée en matière de recherche universitaire. J'en profite donc pour m'aventurer sur d'autres chemins intellectuels. Cette année, ma route a recroisé le marketing, mercatique en bon français, que j'avais étudié dans une précédente vie. C'est pourquoi après mon billet sur le rapport coûts-bénéfices de l'organisation des Jeux olympiques, il m'a semblé intéressant d'évoquer à grands traits le marketing, que l'on retrouve bien sûr dans l'organisation des compétitions sportives, mais également en politique...

Qu'est-ce que le marketing ?

Le marketing part de l'idée qu'il faut s'intéresser en premier lieu aux attentes des clients pour obtenir des débouchés aux productions industrielles, ce qui contrevient en apparence à la loi de Say, selon laquelle l’offre crée toujours sa propre demande dans la mesure où la production se transforme en revenus, qui soutiennent la demande.

Souvent présenté un peu trop facilement comme un ensemble de techniques de vente, le marketing s'appuie sur une démarche (appelé parfois marketing management) permettant de segmenter un marché, de cibler des consommateurs et de positionner le produit, afin de capturer de la valeur sur un marché existant ou même de créer un nouveau marché. Pour ce faire, il sera mis en place un marketing mix - proposer le bon produit au bon endroit, au bon moment, au bon prix - avec une stratégie pour chacune des composantes du mix (historiquement 4P, mais 7P depuis 2009) :

Le marketing et la société du spectacle

[ Source : Wikipedia ]

Notons que l'on distingue, en général, le marketing de l'offre, qui consiste à placer sur le marché une production existante, et le marketing de la demande, dont l'objet est d'élaborer une offre répondant aux attentes d'un marché cible de consommateurs. Certains veulent dès lors voir dans le marketing un moyen d'augmenter la liberté des individus sur le marché à travers un plus grand choix de marchandises, tandis que d'autres pensent que réduire la liberté au seul choix (plus ou moins subtilement orienté) du consommateur est la négation même de la liberté.

Besoins et désirs

Contrairement à ce qu'écrivent souvent certains économistes et sociologues, les besoins humains ne sont pas infinis. Virginia Henderson, infirmière américaine (1897-1996), en avait répertorié 14 qu'elle qualifiait de fondamentaux :

Le marketing et la société du spectacle

Le lecteur intéressé pourra également se reporter aux écrits de Vance Packard dans le contexte américain des années 50 à 80.

Dans une approche lacanienne, c'est donc le désir qui est infini et qui fait l'objet de toutes les attentions du marketing. Lorsque les ménages ont de quoi se payer correctement les biens et services de leur vie quotidienne, alors il devient possible de leur faire miroiter le plaisir (sic) de consommer des produits (et services) auxquels ils n'auraient parfois même pas pensé tant leur utilité reste à démontrer... par le marketing justement !

Pour ce faire, le marketing va donner des composantes culturelles et sociales (voire politiques) à un produit, afin qu'il soit pensé comme consommable. C'est ainsi qu'une simple bouteille d'eau minérale, présentée avec une certaine marque, un certain package et associée à une certaine image positive, va se retrouver désirée alors qu'au fond il ne s'agit que de flotte disponible en très grande quantité en ouvrant un robinet... Dans le jargon, l'on dit que le produit devient catégorisable, c'est-à-dire perçu comme une catégorie compréhensible par le consommateur.

Les trois dimensions de l'attitude du consommateur

On l'aura compris, le marketing va chercher à orienter l'attitude des consommateurs face à un produit (ou une marque), attitude que l'on peut définir comme l'ensemble des croyances (telle marque est un gage de qualité, porter des sneakers fait de vous une personne cool...), valeurs et autres facteurs permettant à l'individu d'évaluer personnellement le produit. Il est d'usage de distinguer trois dimensions de l’attitude :

 * la dimension cognitive relative aux connaissances objectives ou supposées telles de l'individu sur le produit ;

 * la dimension affective qui fait référence à tous les sentiments ressentis envers le produit ;

 * la dimension conative qui est liée aux intentions d'actions à l’égard du produit (l'acheter certes, mais aussi tout simplement l'essayer comme certains matelas qui vous offrent des "nuits d'essai").

Attitude du consommateur et comportement d'achat

Longtemps, les étudiants d'écoles de commerce (et d’ingénieur dont je suis) apprenaient que l’attitude conditionne le comportement du consommateur. D'où la volonté du marketing de transformer l'attitude en cherchant à modifier le système de croyances et de valeurs des individus, puis à le stabiliser une fois obtenus les effets souhaités sur le comportement d'achat. Le marketing est donc bien, en ce sens, une machine (broyeuse ?) idéologique soutenue historiquement par un bras armé, la publicité, et depuis quelques années par les influenceurs du monde numérique à qui les consommateurs prêtent trop souvent crédit, persuadés que leur message est avant tout informatif (stratégie d'horizontalité de la communication, fondée sur la proximité sociale).

Jean Baudrillard, auteur du célèbre livre La société de consommation, définissait ainsi la publicité : "Ce que nous vivons, c’est l’absorption de tous les modes d’expression virtuels dans celui de la publicité. Toutes les formes culturelles originales, tous les langages déterminés s’absorbent dans celui-ci parce qu’il est sans profondeur, instantané et instantanément oublié. Triomphe de la forme superficielle, plus petit commun dénominateur de toutes significations, degré zéro du sens, triomphe de l’entropie sur tous les tropes possibles. Forme la plus basse de l’énergie du signe.". Rien à ajouter.

Bref, le marketing va chercher à placer durablement le produit ou la marque dans l'esprit du consommateur (pénétration culturelle et individuelle dans le jargon) en jouant sur des variables de contenu et d'expression. Ainsi, dans le cas d'une marque, ce processus de positionnement assure que face aux limites de l'esprit humain en matière de comparaison, le consommateur ira plus volontiers vers une marque connue (gain de temps et d'énergie) marquée dans son esprit. Pour le célèbre psychologue Daniel Kahneman, ce processus fait partie des heuristiques, i.e. toutes ces aides permettant à l'individu de trouver des réponses adéquates à des problèmes parfois difficiles. Et pour tuer la concurrence dans l’œuf, le marketing sait qu'il peut s'appuyer sur l’obsolescence des styles et des produits, quitte à donner un petit coup de main au marché en créant des effets de mode ou des produits à obsolescence programmée, voire des innovations disruptives !

Le prix du marché ?

Après tout cela, le lecteur aura compris que le prix est loin d'être fixé par l'ajustement de l'offre et de la demande sur un marché, mais par de véritables stratégies liées aux comportements d'achat (sensibilité au prix, priorité d'achat en fonction du pouvoir d'achat, goûts...) des consommateurs : prix d'écrémage pour réaliser une grande marge, prix de pénétration pour faire du volume.

Mais, au-delà de cette distinction simpliste, il y a le plus souvent modulation du prix en fonction des segments de clientèle (pensez aux voitures, qui s'adressent à des groupes de clients clairement différents...), différentiel de prix parfois justifié par une offre réputée "premium", qui ajoute des fonctions parfois totalement inutiles dans la vraie vie, mais ô combien symboliques pour le consommateur... Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely, dans leur livre La France sous nos yeux, ont d'ailleurs rédigé un très intéressant chapitre intitulé "La démoyennisation par le haut : la premiumisation des vacances".

Quoi qu'il en soit, à rebours de l'explication fournie par la théorie dominante en économie concernant la fixation des prix sur un marché, le marketing cherche à fixer le prix en partant du consommateur (prix d'acceptation) et non des coûts de production, quitte à lui faire avaler des couleuvres pour qu'il accepte de payer le prix cible.

La société du spectacle

Nous voilà arrivés au nirvana de la société du spectacle, livre de Guy Debord qui ne concerne pas le pain et les jeux de cirque, comme le croient trop souvent ceux qui ne l'ont pas lu, mais la domination de la marchandise sur nos vies dans le monde capitaliste : "Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s'annonce comme une immense accumulation de spectacles" (parallèle évident avec l’œuvre de Marx sur le fétichisme de la marchandise). Beaucoup plus loin dans son livre, Guy Debord précisera que "le spectacle n'est pas un ensemble d'images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images". À l'ère de TikTok et de ses influenceurs, l'on ne saurait mieux dire...

La résistance à cette idéologie tient au fait que le lien entre attitude et comportement d'achat n'est pas aussi univoque, l'être humain se caractérisant d'abord par le libre arbitre, pour peu que sa capacité de réflexion soit un minimum entraînée. Cette dernière phrase peut trouver à s'appliquer en politique, où le marketing tient un rôle considérable dans la démocratie d'opinion ("doxocratie" selon Jacques Julliard). Il ne faut jamais oublier que les spécialistes du marketing, dans le commerce ou en politique, sont avant tout des manipulateurs de symboles, qui vont chercher à vous faire croire que le produit à une plus grande valeur qu'il n'en a réellement.

Hélas, ce n'est souvent qu'après l'achat que vous commencez à remarquer le peu de valeur réel d'un produit, phénomène appelé dissonance cognitive depuis les travaux de Leon Festinger. Mais alors qu'au bazar (en ligne ou non) vous pouvez toujours tenter de vous faire rembourser, en politique vous en prenez pour quelques années, sans réel espoir de pouvoir vous en débarrasser avant que le produit ne soit périmé pour de bon... Conclusion un peu brutale, j'en conviens.


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