SCENARIOS INTERIEURS ET STRATÉGIE DE SURVIE (extrait du "carnet")
Nos « scénarios » plus ou moins récurrents nous renseignent à propos de notre stratégie de survie ou « points critiques » autour desquels s’est construit l’égo.
Un élève me parle de sa résistance viscérale à l’autorité. Il supporte mal d’être contraint. Son chef lui demande d’arrêter une tâche pour aller en faire une autre, il n’obtempère pas et est en rage quand l’ordre lui est réitéré… Il me donne ensuite d’autres échantillons anodins témoignant de cette même crispation. Nous en venons à évoquer ses scénarios récurrents, à savoir ces pensées qui se présentent d’elles mêmes et racontent une histoire, ces moments où chacun s’imagine dans telle ou telle situation… Pour lui, ce qui revient souvent, c’est, soit un scénario dans lequel lui même est contraint, soit un autre scénario dans lequel il ne cède pas à la contrainte : une police totalitaire le convoque et lui demande de donner des informations, il refuse et ne cède pas aux pressions …
L’un comme l’autre scénario l’informent d’un aspect de sa stratégie de survie, autrement dit de son nœud de souffrance : du point de vue de son histoire psychologique, il a certainement beaucoup souffert de se trouver sous le joug de la contrainte : une contrainte non comprise, ressentie à tort ou à raison sur le moment comme arbitraire, non juste et par conséquent refusée.
Cette contrainte émanant d’une autorité (parent, éducateur) plus forte que lui, l’enfant cède, mais il cède avec un vécu intime de rage impuissante, de révolte et de colère. Cette émotion est éprouvée par lui comme de l’ordre de l’ingérable. Elle lui fait, comme on dit si bien «péter les plombs » ou « disjoncter ». L’intensité est trop forte pour ses circuits intérieurs. En apparence, bien sûr, l’enfant la digère et n’atterrit pas pour autant en psychiatrie. Et cependant, un nœud fondamental est ainsi créé, une crispation primate cristallise. Si bien que, « adulte », il n’est pas loin de péter les plombs si un ordre ressenti comme arbitraire lui est donné par une autorité ayant objectivement un certain pouvoir sur lui. A ce moment là, l’homme pourtant raisonnable et gentil qu’il est se trouve dépassé et devient brièvement comme fou, avec le risque de parfois passer à l’acte (insulter son chef, un voisin, un flic, se mettre en difficulté …)
Cela, c’est l’émotion à l’œuvre, celle qui se déclenche quand une circonstance excitante comme disait Swami Prajnanpad apparaît.
Les scénario, eux, procèdent d’une (vaine) tentative de rééquilibrage.
La stratégie de survie a toujours des comptes à régler. Elle cherche constamment à mettre « un point partout. » Je me suis senti contraint, je veux contraindre à mon tour- la victime fait un excellent bourreau - ou alors je me fantasme en héros inflexible : cette fois, je ne cède pas, rééquilibrant ainsi l’humiliation passée. C’est cette belle chanson chantée par Johnny Cash , « I won’t back down ». "Je ne plierai pas, je ne reculerai pas. Vous pouvez me mettre aux portes de l’enfer, je ne plierai pas…"
L’inconscient cherche tout le temps à attirer des situations où il a l’impression qu’il lui serait possible d’égaliser le score.
Tentative bien entendu vaine et désespérée du point de vue du réel puisque, outre le danger des passages à l’acte mêmes « petits », chaque « victoire » éventuellement obtenue suscite un nouveau déséquilibre : si à mon tour je contrains, je crée un vaincu qui va ensuite chercher à se rééquilibrer. Voir le fameux et terrible épisode du wagon d’Hitler...Voulant laver l’humiliation de l’armistice de 1918, dans lequel l’Allemagne a été mise à genoux, Hitler exige que l’armistice de 1939 soit signé dans le wagon même où prit place le précédent une vingtaine d’années auparavant.
Pour un pratiquant sérieux, il est important de prêter attention à ces scénarios qui ne sont pas si insignifiants qu’ils en ont l’air et de cesser de les alimenter car en les nourrissant, c’est l’ego et le mental à qui on donne à manger. En ne les alimentant plus, au contraire, j’affame l’ego et le mental, je fais peu à peu se tarir une source d’émotion, plus radicalement et efficacement que toute démarche thérapeutique (ce qui ne veut pas dire que cette dernière soit inutile).
Gilles Farcet
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