L’autobiographie est de mon point de vue plus sournoise, plus complexe en raison de la stratégie de communication proposée par celui ou celle qui veut raconter son histoire. Je suis donc méfiant ou peu disposé pour ce genre de lecture. A tort. En tout cas, pour le cas spécifique de Maïmouna Coulibaly et son texte Je me relève publié aux éditions Anne Carrère dans la collection Sex Appeal. Pour une raison très claire, alors que j’ai terminé cette lecture depuis deux semaines : Maïmouna Coulibaly parle vrai. Je pense que la première chose particulièrement étonnante, c’est le ton, le franc-parler usité par cette française née de parents soninké. Elle n’a pas de filtre. Sa langue est crue, brutale, directe. Elle porte la violence d’une succession de coups bas qu’une femme de ma génération a pu encaisser au courant de sa vie en ayant grandi dans une banlieue populaire de France comme Grigny. Une langue qui nous renvoie à un des princes de cette forme très urbaine, Iceberg Slim.
Avant de développer, je devrai peut-être parler de ce que représente pour moi Maï la Rouge. Rien que par cet intitulé, vous comprendrez que je n’avais qu’un très infime aperçu du travail d’artiste de Maïmouna Coulibaly. Par les réseaux sociaux, j’ai découvert il y a un peu plus de dix ans la Booty Therapy. Des femmes que se soignaient au sens propre comme au sens figuré en twerkant. Je synthétise. Avec comme meneuse de revue Maïmouna Coulibaly. Elle est l'homonyme parfaite d’une voisine que j'ai connue dans le quartier d'Aghien, à Abidjan, du temps où j'étais étudiant, une femme exploitée par sa famille de notable sénoufo. Le mot esclave correspond à la situation... Pour revenir en France Maïmouna la Rouge pouvait être choquante pour certains, le rêve d’une liberté assumée en tant que femme pour d’autres. Elle fait partie de ces personnes qui ne peuvent pas vous laisser indifférents. Du coup, qui est Maïmouna ? Vous ne serez pas déçus de la découvrir par ce livre.
Elle raconte son enfance dont je n’aborderai pas tous les détails. Je pense à un reportage piloté par Alain Mabanckou et Aurelia Perreau intitulé Noirs de France, le racisme dans la prime enfance qui peut être le plus violent, le plus structurant. On retrouve chez la petite Maïmouna, ce désir d’être acceptée, d’être intégrée dans un groupe que ce soit à l'école ou en colonie de vacances. Et un refus résolu de rester à la marge du groupe, d'être défini comme différente en raison de sa couleur de peau. Un fait plus lourd, qui sera compris plus tard par Maïmouna, est la mutilation faite à son corps très tôt, au travers de l’excision de son clitoris lors d'un séjour au Mali. On est au coeur de deux violences. Celle produite au sein de la famille et celle de la société en gestation dans les cours d'écoles primaires. Le parcours de Maïmouna jusqu’à l’âge de la jeune adulte est fait d’agressions à répétition. Et le lecteur que je suis s’est plusieurs fois demandé si certaines situations n’auraient pas pu être évitées. Mais il y a quelque part chez la personne de Maïmouna Coulibaly une certaine confiance en l’humain et un refus d’être façonné négativement par les mauvaises expériences de son histoire de vie. Même avec le recul que l’artiste française peut avoir au moment de l’écriture de ce récit autobiographique, on sent très bien que si les choses étaient à refaire, ce serait avant tout aux hommes de sortir de la caverne de leur patriarcat brutal et de changer.
Je ne sais pas si voua avez lu Une colère noire de Ta Nehisi Coates, mais je pense à cet ouvrage où un père apprend à son enfant à protéger son corps noir de la violence du racisme systémique aux Etats Unis. Un ouvrage construit et nourri par la peur. Une peur légitime et une nécessité de s’auto-défendre et de prévenir d'une violence sourde, en attendant que les choses changent. C’est totalement l’inverse chez Maïmouna Coulibaly. La peur n'est pas un composant de son logiciel. Elle va progressivement aller vers le théâtre entre la passion qu'elle développe pour la littérature et son talent inné pour la danse et la chorégraphie. Au travers de ce moyen d’expression, j’ai commencé à découvrir tout un pan de la carrière de l’artiste comédienne, de la productrice de spectacle, avec son adaptation de Sula de Toni Morrison. C’est d’ailleurs passionnant de voir comment elle arrive à la littérature par le biais d’une enseignante qui lui offre un roman d’Amadou Hampaté Bâ. Là encore, elle déconstruit les schémas classiques de l’accès au livre. Elle reçoit, s’approprie un livre qui enfin parle d’elle, de gens qui lui ressemblent, loin des constructions de la Princesse de Clèves. La violence prend des formes très complexes, sournoises. Cette adaptation de Sula aborde la sororité, une histoire entre deux femmes noires. Sula est un de mes romans préférés. J’espère le relire très prochainement.
Tout cela est raconté avec des mots crus, avec un style sans fioritures, avec souci de chatouiller des oreilles de bien pensants. Il y a une authenticité autant à être qu’à dire de quel bois on est fait. Le viol est nommé. Le pillage de la propriété intellectuelle, l’agression du corps physique. Mais une constante attitude : se relever. Cela passe par le soin et les maux. Est-ce à la portée de tous ? La question n’est pas celle que se pose Maïmouna Coulibaly. Et comment fait-on pour continuer pou avancer quand son frère fait partie prenante d’une des plus grandes attaques terroristes qu’ait connues le territoire français. Quand un monde s'arrête, où tout se ferme. La seule pudeur au fond que Maïmouna Coulibaly s’autorise c’est à l’endroit de sa famille dont elle parle uniquement pour dire certaines ruptures et mieux situer ses propres choix de vie. C’est donc un brûlot féministe, antiraciste qu’elle nous propose sans que ces termes ne soient effectivement employés. Le parcours édifiant, difficile d’une figure disruptive de la première génération d’enfants d’immigrés subsahariens en France.
Maïmouna Coulibaly, Je me relève - Editions Anne Carrère, Collection Sex Appeal, 2021