L'apaisement se lisait sur son visage.
"Ah! Ça fait du bien de sortir juste nous deux, sans la petite." dit Karina à son copain Cédric, devant lui assis à la même table de cette fabuleuse terrasse qu'était celle du 7ème Ciel. Ce bar avait parfois un chansonnier, mais jamais avant 19h00 et il n'était que 17h30. Cédric se considérait si chanceux d'avoir comme conjointe, et maintenant mère de leur fille, Karina, qu'il considérait plus agréable que tout sur terre. Ils avaient choisi de faire garder leur fille, Lylyrose, pour la première fois depuis sa naissance.
"C'est pas un bar de motards ça d'habitude ?" dit Karina, pas encore complètement mentalement installée dans son congé parental mental.
"je pense que oui, c'est quand même une des plus belles terrasses au Québec faudrait pas qu'on s'empêche..."Cédric n'eût pas le temps de finir sa phrase.
BOUM!
Immense son, expulsion du siège, apesanteur, vide cosmique, le frère, la mère, le père, les ami(e)s de Cédric, Karina lui passent par l'esprit, même le chien de la maisonnée, Kiwi, Cédric est 200% désorienté et ouvre tout juste les yeux, de sous les planches de la terrasse où ils étaient assis tous les deux, il a tout juste le temps d'entendre des hurlements de guerre, de voir des restes humains, de reconnaître la main de Karina qui sort inerte de sous des planches de terrasse, elle aussi. Il essaie de dire son nom, mais n'a plus de voix, ferme les yeux, n'a plus de forces, entends son coeur cesser de battre, tombe dans le noir.
Il semble qu'une maigre fraction de seconde est passée et Cédric ouvre les yeux, maintenant dans un grand corridor blanc d'où une porte s'ouvre toute seule. Uriel l'attends de l'autre côté. Un homme très efféminé. Peut-être même une femme, Cédric est incertain, il y a trop de lumières après la soudaine noirceur."Qu'est-ce...qu'est-ce que...où suis-je ?"
"Au paradis mon ami, t'es le 4ème qui m'arrive, terrasse du 7ème Ciel ? "
Cédric ne répond pas. Comment sais-t-il...? le paradis ? trop de choses à enregistrer en si peu de temps. Il ne semble seulement avoir fermé les yeux, serait-il mort ?
"Oui, oui tu es bien mort, tu es le dernier que j'attendais, les 3 autres sont déjà passés, en tout cas pour aujourd'hui il y aura seulement 4 morts de confirmés de l'explosion de la terrasse...vous saviez qu'à Montréal on est en pleine guerre des motards n'est-ce pas ? Ils ont même pas eu leur cible. Ils visaient Ciboulette Goulet, y ont tué deux boomers et une belle brune révoltée qui n'a pas acceptée sa mort et qui n'a jamais voulu s'identifier à moi.""Kari! Les yeux verts ? les cheveux bruns ? elle est partie où ? ELLE EST OÙ ???"
"Elle a fui par là, mais je vais prendre vos coordonnées pour des fins statistiques et pour le recencement paradisiaque, vous êtes ?..."
"Mort ? c'est bien ça ? mort ?""Oui, en effet, mais nom, prénom, etc..."
"Cédric Côté, etc..où je peux trouver la jeune brune ?"
Uriel s'est tourné vers Jophiel qui tapait sur un commodore 64. "Tu as noté Jo ?"
"OUI! J'ai noté. Comment s'appelait cette Kari ? vous allez nous aider, elle était tête dure, n'a rien voulu nous dire, a fui dans le brouillard."
"Oui, Karina Ledoux a la tête dure, c'est bien elle, je l'ai vu morte devant moi, c'est son genre, on vient d'avoir un bébé, une fille , elle doit la chercher, en négationniste. Elle cherche Lylyrose!"
Cédric est parti vers le fond, passé Jophiel afin de la trouver. Il a emprunté plusieurs allées, croisé des gens qui semblaient curieux de savoir il était qui. Cédric a croisé un homme buvant un cola Denis, un capitaine de sous-marin aussi regardant avec attention des enfants jouant au Coleco. Il a croisé une femme avec un walk man, un homme sur un bicycle trois roues, très haut sur son siège. Il a cru que c'était Marcel Proust. C'est bien lui, a dit quelqu'un qui l'avait entendu parler tout haut, mais Cédric n'avait la tête qu'à Karina. Il voulait la trouver. Sans succès, il est revenu à Jophiel et Uriel et leur a demandé:
"Comment je fais pour m'y retrouver ?"
"C'est pas évident, ce sont les architectes de Montréal de 1575 qui ont dessiné les plans du paradis dans lequel vous êtes atterris et tout est aussi simple que le système de paie Phoenix. Mais les gars de la Mafia s'organisent, vont refaire tout ça" a dit Uriel."J'essaie de trouver sur Copernic quelque chose qui pourrait nous aider à trouver Karina Ledoux mais mes disquettes manquent de mémoire... J'ai assez hâte que Google meurt..."a dit Jophiel
"Des disquettes ? christ ça existe plus depuis longtemps"
"Et je travaille sur un Commodore 64, OUI! on opère avec ce qui est mort, alors soyez indulgent! voulez-vous ?" a répondu Jophiel, un peu insulté."OH!" a dit Uriel, à personne en particulier mais penché sur son Blackberry.
"Pincez-moi, je rêve..." dit Cédric.
"Il y a moyen de jeter un court regard par jour (sinon ça ne finirait plus) sur vos proches en bas si vous le souhaitez" a dit Jophiel.
"OUI! je veux voir qui entoure Lylyrose!"
Jophiel lui a fourni une sorte de vieux téléscope, a bidouillé la localisation et en quelques instants Cédric avait un oeil sur terre, sur le terrain d'un chalet donnant sur un lac."Je ne connais pas cet endroit, il semble y avoir une erreur, j'y vois deux trentenaires et une vielle femme en chaise roulante sur le bout du quai dans un lieu que je ne connais pas..."
Uriel a ajouté "J'ai oublié de vous dire qu'ici, l'espace temps est complètement différent de ce qui se passe sur terre. 30 minutes équivalent à 30 ans, en bas."
"Qui...qui sont ces gens ?...ces yeux..." Cette femme en bas n'avait pas encore 60 ans. Elle n'était pas si vieille...Cédric voyait la dame dans sa chaise roulante, mélancolique, regardant au loin le lac. Plus haut sur le terrain, une jeune femme de 30 ans, étais-ce Karina avec ce jeune homme? Celle qui lui ressemblait tant, mais pas complètement, a alors dit au jeune homme du même âge qui l'accompagnait:
"Elle dit que papa disait toujours que les étendues d'eau étaient de la liberté à conquérir, Ça lui rappelle papa."
Cédric a eu un pincement au coeur. Lylyrose ? Cette belle grande femme était Lylyrose ?
Et celle au quai?...
C'était Karina, qui avait survécu à l'explosion. handicapée, mais survivante.
Et qui avait trouvé une saveur au bleu de son ciel.