C’est "le" livre de l’été par excellence, et plus encore. Voilà un grand roman d’amour et d’aventure. Mes sœurs, n’aimez pas les marins rend un hommage bouleversant à ces femmes à qui la mer prend tous leurs hommes et qui ne renoncent jamais.
Ce qui est très réussi c'est d'avoir construit le livre autour de quatre personnages principaux, deux femmes et deux hommes pour raconter les évènements de leur point de vue sans tomber dans le travers du journal intime.
C'est toute une lignée familiale qui est brossée. d'abord avec Perrine à partir de 1920. Suivront en 1942 les lettres de son fils Jean. Paulette prendra la parole (à partir de la page 159) et c'est je crois le personnage que je préfère, pour sa liberté de ton et son tempérament. Quel caractère ! Bonne ne s’écrit pas avec un C proclame-t-elle comme une menace (p. 236). Enfin Paulette et Perrine, deux femmes devenues soeurs par l'amour dissemblable mais commun qu'elles portaient à un petit marin perdu puis à un autre (p. 313).
Les changements de focale autorisent l'emploi d'un autre lexique, l'usage d'un style différent, le recours à l’humour parfois décalé, ce qui anime la lecture sans la dévoyer parce que les autres personnages continuent de s'exprimer, mais différemment, par exemple à travers des courriers. Parce que les marins, et c'est un parallèle qu'on peut établir avec les militaires, écrivent beaucoup. Jean écrit à sa mère comme à une marraine de guerre (p. 61).
On ne perd jamais de vue l’ensemble de la famille et même si les points de vue s’expriment différemment ils ne s’opposent pas. Cela permet de mieux comprendre l’état d’esprit breton et le comportement de Perrine qui ne pleure pas parce que ça ne se fait pas même si on en a besoin (p. 146).
Nous allons suivre leur vie tout au long du XX° siècle, en Bretagne, mais en voyageant aussi avec eux sur les mers ou en France puisque Paulette quittera l’océan pour les montagnes du Jura. Nous traverserons les tempêtes météorologiques et politiques, notamment la Seconde Guerre mondiale et les barricades de Mai 68. On était relativement épargné en Bretagne car les marins étaient dispensés du STO. Ils ne partaient pas en Allemagne et elle ne connut pas la pluie des bombes. Mais ce n’était pas pour autant un eldorado, d'abord à cause du chômage à la sardinerie : on n’a plus de tôle pour faire les boites. on n’a plus d’huile non plus et de toute façon le poisson est rare. Du coup on fait le goémon (p 149). Ensuite en laissant des mines dans l'eau qui pourront éclater à tout moment sous un bateau pendant des années.
Faut pas aimer les marins avait dit la grande sœur à Perrine. Mais il était trop tard (p. 30).
Nous palpiterons à entendre leurs sentiments familiaux, maternels, amoureux. Les personnages "secondaires" sont eux aussi très attachants. La mère de Paulette a toujours une formule pour qualifier le moment. Le père est d’une générosité sans bornes. La bonne, les copains d'école, le patron marin-pêcheur, tous nous sont vite familiers.
Ce livre est un hymne à la vie malgré les deuils car la mer, on le sait pourtant bien, est une dévoreuse d'hommes. Elle agit comme un aimant. C’est une ogresse à mille bras a toujours un truc pour fasciner les hommes qui font des promesses que tout le monde sait qu'ils ne tiendront pas. Rien n'endigue l'attirance qu'elle exerce sur eux. Même Jean qui pourtant a le mal de mer. Ce sera comme une addiction. Comment les terriens pourraient-ils comprendre pourquoi les marins retournent en mer alors qu’ils ont eu tant de tracas, affronté tant de danger ? (p. 36).
Les mères sont impuissantes à retenir leurs fils. On est marin de père en fils, comme on est sardinière de mère en fille. Mais un jour une jeune femme décidera de contrer le destin. Elle fera ce qui est en son possible pour le dissuader son fils, le petit-fils de Perrine, de reprendre la me. Il faudra lire cette histoire, inspirée de faits réels que l'auteur nous confie dans les remerciements pour savoir si le stratagème aura réussi.
Le roman est composé à l'instar d'une chanson avec quelques répétitions qui sonnent musicalement en dégageant une douceur infinie, un peu comme dans certains contes de randonnée. Pour désigner un noyer l'auteur a toujours recours à la périphrase le grand arbre dont on n’a pas le droit de dire le nom. Quand il nous parle des talents de conteuse de la mère de Perrine il souligne que ses récits étaient fabuleux, sauf les naufrages qui étaient censurés p. 49). Et lorsque Jean dort à l’extérieur il cabane. La connivence est instaurée entre Grégory Nicolas, ses personnages et le lecteur, ce qui atténue la dureté du sujet.
On retiendra tout de même la mise en garde : femme de marin, femme de chagrin. Et le conseil de serrer un petit caillou dans sa poche pour lutter contre le mal de mer, qui doit aussi fonctionner pour le mal dDes transports en voiture.
Grégory Nicolas est notamment l’auteur de Des histoires pour cent ans (Pocket – Les Révélations- 2020), des Fils du pêcheur (Les Escales 2021, Pocket – Grand prix des lecteurs – 2022) et de la série Papi est un super menteur (PKJ). Il a également écrit Équipiers (Hugo Sport 2019) qui a reçu le prix Antoine-Blondin.
Mes sœurs, n’aimez pas les marins de Grégory Nicolas, Les escales, en librairie depuis le 16 mars 2023