Ai-je encore le droit d'aimer les films de Woody Allen ? De Polanski ? Je crois que oui. Mais c'est une question qui me reste toujours en tête quand je le vois dans
Manhattan, incarner un adulte amoureux d'une jeune fille de 17 ans ou dans
Crimes & Misdemeanors montrer à sa jeune nièce ce que sont les bons films, en les voyant avec elle certains après-midi. Ou encore que je lis une de ses nouvelles où, sans humour aucun, un homme raconte sa passion amoureuse pour une femme, alors qu'il a aussi une liaison consentante avec la fille de celle-ci.
Et que c'est le meilleur des mondes pour lui.
Woody Allen a vécu tout ça. Jusqu'à nos jours. Il était partenaire de Mia Farrow et a aussi entretenu une liaison avec la fille adoptive de Mia et d'André Prévin, quand eux, étaient un couple. Quand Mia a découvert des photos de nudité de Soon-Yi Prévin, elle a légitimement mis fin à sa relation avec Woody qui lui, avec Soon-Yi, a continué de vivre sa vie amoureuse, jusqu'à nos jours. Malgré les 35 ans qui les séparent. Mia a essayé de monter les enfants que Woody et elle
(et Frank Sinatra:) ont eu ensemble contre Allen, mais par deux fois elle a été prouvée manipulatrice des petits. Leur mettant des choses dans la bouche et dans la tête. Empêchant toute cause de se rendre en cour. Adulte, les enfants de Mia et Woody croient encore ce que Mia leur a demandé de croire, enfants. Dans la parentalité malsaine, dur de faire plus efficace. Mais derrière la caméra, un peu plus d'une vingtaine de fois, sur 50 films, je l'ai trouvé intéressant. J'ai 23 de ses films dans ma collection et parmi ceux-ci facilement 5 dont je ne me départirais jamais.
Si j'aime ces films c'est parce que parfois, j'y reconnais quelque chose de moi aussi. C'est là que ça peut devenir dérangeant. Mais ce ne l'est pas parce que ce que j'aime de lui n'est pas sa vie privée ni ses envies sexuelles, mais son humour, ses observations intelligentes, son audace à raconter une histoire d'amour comme dans
Annie Hall, mais de manière fort originale pour l'époque.
Love & Death peut me faire pleurer de rire. J'adore Fellini, j'adore donc aussi
Stardust Memories, clair hommage à Federico.
Deconstructing Harry est agressivement drôle. Et à voir, avec en tête le pire du pire de sa crise avec Mia.
Crimes & Misdemeanors, près de Dostoievski que j'aime beaucoup aussi.
Interiors, de Bergman.
Manhattan est d'un esthétisme formidable. Enfin, y a beaucoup à aimer de Wood.
Mais si je vois Allen et Soon-Yi ensemble à un match de basketball, je fais la moue moi aussi. C'est une anomalie morale. D'abord pour l'âge entre les deux personnes. Impossible pour moi de trouver sain. Et il la connait depuis son enfance. À partir de quand était-il sexuellement attiré par elle ? Question tordue mais toujours présente sourdement. On pouvait avoir la même question en tête entre Céline Dion et René Angélil.
Roman Polanski est un autre dont j'apprécie le travail. J'ai deux de ses films.
The Fearless Vampire Killers et
Rosemary's Baby. Mais Roman a fui les États-Unis en 1973 ou 1974, après avoir violé une jeune fille de 13 ans. Alors que Polanski était attendu en cour. Il tourne depuis l'Europe depuis. Intouché par la justice. Mais il faut dire que la jeune fille, maintenant adulte, ne tient pas à porter plainte. $e$ avocat$, oui.
Inévitablement, avec le temps, je revisites moins Polanski ou Allen. Qui me semblent pervertis par leur propre envies. Mais je sais que le jour où ces deux là trépassent, ce qui sera plus tôt que tard, Woody a 87 ans, Roman, 89, j'aurai le réflexe plus facile de vouloir revisiter leurs oeuvres qui ne pourront plus évoluer. Ils ont d'ailleurs, à leur âge, beaucoup ralenti.
Les écrivaines Doris Lessing et Sylvia Platt ont toutes deux abandonné leurs enfants, la première, en Afrique du Sud pour parfaire sa carrière d'écrivaine en Angleterre, la seconde en s'enlevant la vie avec un fils et une fille dans la pièce d'à côté. Anne Perry a assassiné la mère de son amie. Et vendu pour des millions de livres sur les meurtres et les mystères. Dont sa propre histoire. Mais leurs oeuvres sont extrêmement intéressantes à lire.
Ces gens restent des artistes tachés. Ne le sommes nous pas tous un peu ? L'artiste est coupable d'être imparfait très publiquement, mais nous ? en privé ? pouvons nous légitimement nous prétendre si bien ?
Une chose qui m'a ouvert les yeux, vers mes 12 ans, à ma rentrée à l'école secondaire, et ça va paraître con de le dire comme ça, était cette idée qui ne semblait pas universelle d'emblée, de vouloir être quelqu'un de bien. Je dirais qu'encore aujourd'hui, je suis encore un peu naïf là-dessus. Je pars toujours de l'idée qu'on voudra faire le bien d'emblée. Honnêtement. Mais presque toujours, je n'ai pas raison de le croire.
On est plus dur avec nos artistes qui sont faillibles beaucoup plus publiquement. Pensons Joël Legendre. Acteur/animateur gay de la télévision québécoise. Menant maintenant une vie plus discrète depuis qu'on l'a coincé à soliciter des services sexuels à un agent undercover. Mais ce que faisait Legendre était bénin. Si ce n'était pas un agent undercover, c'était un adulte consentant. Il a été tourné en dérision partout et sa carrière est restée relativement sur la glace depuis. En vous écrivant ceci, j'apprends que Miles Davis a stupidement fièrement dit qu'il avait abusé sexuellement de nombreuses afro-américaines. Sa musique sonnera un peu faux maintenant.
J'ai plus de 400 listes de lecture sur mon téléphone mais reste incapable de m'en faire une de Micheal Jackson. Moralement. Je vois des enfants. la musique a quelque chose de sexuel selon moi. Les deux mondes sont incompatibles. Enfant & sexe.
Quand nous sommes enfants, nos parents sont nos idoles. Puis, vient un moment où on s'étonne qu'ils soient faillibles. Il en va de même avec nos idoles.
J'aimais beaucoup Van Morrison et Eric Clapton avant le Covid. Ils ont leurs listes de lecture chacun. J'ai titré péjorativement celle de Morrison Belfast Bandit. Celle de Clapton, dont on disait qu'il était dieu de la guitare car il est très habile de la corde de guitare, God is a Bigot. Parce que oui, Clapton en plus d'être con, est publiquement raciste. L'un, allant souvent avec l'autre.
Ils ont fait des spectacles ensemble quand c'était interdit pendant le pire de la pandémie. Citant leur ignorance négationisme
Mais vous savez quoi ? Je ne verrai jamais Irréversible de Gaspar Noé. Ce dernier a dit qu'il avait tourné ce film et je cite "parce qu'il avait envie de tourner un viol". Et pour moi, une envie de viol, c'est criminel. J'ai pas ce type d'envie. Encore moins envie de la faire naître. L'affiche trahit même un fantasme. Dans ce cas précis, le privé bloque l'oeuvre publique.
L'amour est anarchie. Aimer nos artistes est souvent un confus bordel.
Étrangement certaines des plus belles créations artistiques ont été créées par des gens horribles. On peut choisir dans la furie de notre bonne conscience de ne plus les visiter comme je ne le fais plus avec Micheal Jackson ou Noé.
On peut aussi choisir de les voir comme la grâce articulée des imperfections que nous sommes tous.