Abdul Rahman Katanani, né en 1983, au Liban, dans le camp de réfugiés de Sabra, une forêt de béton, recherche naturellement le contact avec la nature, les abeilles et les arbres.
En observant les abeilles, il change son rythme de vie. Elles lui parlent. Il les écoute, les regarde, réfléchis. Les abeilles font une pause, entre midi et quatorze heures; il fait de même:
Dans le camp, dans le béton, je travaillais la nuit, dans la lumière artificielle, et je dormais le jour. Avec la lumière artificielle, on exploite les nuits.
Il fait la connaissance des arbres au pluriel dans la Meuse, en avril 2017, grâce à l'association Vent des forêts. Depuis, il plante des arbres. Les liens entre lui et eux sont réciproques:
Les vraies racines des hommes, les vrais liens de communication avec les autres, ce sont les idées. Les racines des arbres sont leurs idées.
Les corps des femmes et des hommes sont partie prenante de la nature. Il célèbre le corps, libre, sans contrainte, ni utile, ni docile, le corps différent, comme le sien, diabétique:
Je revendique la liberté d'être hors normes, la liberté de ne pas être ordinaire mais "extraordinaire" - ou, mieux, singulier.
Au camp, l'artiste se sert de matériaux à disposition - fils de fer barbelés, bidons de pétrole, tôles ondulées - pour montrer ce qu'on cache, par exemple le blason du corps féminin:
Mes vulves ressemblent à des fleurs. Elles ressemblent à quelque chose de très naturel, de très beau, qu'on peut voir tous les jours dans la nature. Elles sont des fleurs.
Ce faisant, il est bien conscient d'être provocateur, mais il le fait pour inciter les gens à la réflexion, à la nuance, à la connaissance, au risque, qui sont les conditions de la liberté.
Sculpteur, il est également tisseur, de fils de fer barbelés, mais c'est pour démêler les bonnes traditions de celles qui sont délétères et dont les femmes sont souvent victimes:
Mes tapis de barbelés sont une piste visuelle qui nous pousse à réfléchir et à reconsidérer en profondeur nos habitudes quotidiennes.
L'amour doit être libre: on ne possède pas l'être aimé et celui-ci ne possède pas celui qui l'aime. Ce qui l'intéresse chez une femme, c'est la manière dont lui parle son corps:
La force d'attraction d'un corps, c'est l'idée qui l'habite. Il faut d'abord que le cerveau de la fille me plaise. Si son cerveau ne me plaît pas, son physique ne me plaît plus.
Il représente des enfants depuis toujours. Il aime les voir jouer et bouger joyeusement: Le jeu et la joie, c'est la même chose. [...] La joie est toujours mouvement. C'est-à-dire la vie:
Dans le jeu, il n'y a que les règles des enfants qui vaillent, et leurs règles de jeu construisent leur personnalité. Mais c'est là aussi que commence le contrôle de l'enfant, là que finit sa liberté, quand les adultes se mêlent d'établir les règles du jeu, de définir les bons et les mauvais jeux.
Quand il est avec des enfants, il les écoute, apprend, joue, s'efforce de donner un exemple de liberté, par l'art leur ouvre les yeux pour qu'ils aillent vers la liberté et rit de bon coeur:
Dans tous les séminaires, tous les workshops, on joue et on rigole, on mélange le travail et le rire, on fait des blagues.
Il se sculpte aussi lui-même, son worshop intérieur permanent, qui suppose qu'il s'aime afin de pouvoir aimer les autres, requiert sa pleine attention, sa présence, pour dialoguer:
Après c'est une conversation sans fin, entre moi et moi, puis entre moi et les autres artistes, puis entre nous et le monde.
Converser lui permet de résister aux normes (comme les enfants), de se poser le plus de questions possibles auxquels il trouve les meilleures réponses en cherchant, en étudiant.
Les sociétés, dans lesquelles nous vivons, sont fondamentalement violentes: La violence d'État est portée par l'économie, les armes et les drogues. Paix et liberté sont interconnectées:
Si l'on veut travailler sur la paix comme sur la liberté, il faut d'abord travailler sur l'individuel, puis sur le groupe. La paix et la liberté sont des décisions personnelles d'abord.
Il faut décider d'apprendre, connaître, mettre en doute, vérifier, apprendre encore. Par les livres, par l'internet. Ce qui demande beaucoup de temps mais qui est incontournable:
La paix se construit aussi [comme la liberté] sur la connaissance et, là encore, elle se construit d'abord sur les connaissances individuelles.
Comment agir?
- Par le sourire: Le sourire devient naturel à force d'exercice - comme la puissance des athlètes. Sourire. Résister. Le sourire résiste. Il résiste à la violence du monde.
- Par l'art: L'art devenant action.
- En multipliant à l'infini le micropolitique et le microéconomique.
- En créant des micro-indépendances et des microcultures, des microhavres de paix hyperconnectées.
Lui peut être indépendant, autosuffisant, et pense que, pour les autres, les choses sont en train de s'inverser: la microéconomie se (re)développe et on revient au commerce de la paix.
L'artiste sculpteur qu'il est sent monter en lui le désir de peindre: Le désir de danser devant des toiles: de passer du pli à la danse, de la force à la légèreté [...]. C'est la vie qui vient.
Francis Richard
Paroles d'artiste, Abdul Rahman Katanani, 112 pages, Slatkine (propos recueillis par Barbara Polla, avec une postface de Karine Tissot)
Livre précédent:
Hard Core (2017)