Il ne faut pas croire que les artistes en ont éprouvé du soulagement parce qu'ils étaient tous très curieux de "voir" comment le spectacle se déploierait en extérieur. Leur déception de ne pas jouer en plein air était nette car ils s’y préparaient depuis leur accueil en résidence au musée et se réjouissaient de cette occasion unique.
Une journée de travail sur place, l’an dernier, leur avait permis de pratiquer des sols différents, de découvrir la verdure tout autour, la lumière naturelle de fin de soirée. Ils étaient curieux de danser sur un plateau en résonance avec le musée mais en même temps pas trop proche, sur le côté, au niveau du petit jardin. Ils ont en effet une certaine expérience des salles non conventionnelles et La chair de l'objet a été conçue pour être interprétée en collège ou en lycée.
Je préfère assister à un spectacle sans avoir lu le dossier de presse auparavant et du coup j'ai été surprise du nombre de danseurs. Pour moi les deux parties n'étaient pas distinctes mais se déroulaient dans une continuité, comme si le couple de la première partie s'était libéré de sa carapace noire, abandonnée au soleil levant, pour se glisser dans une autre, à l'instar d'une nouvelle chrysalide, cette fois d'une blancheur immaculée. Mon erreur est attribuable au thème de l'identité si bien exploitée par le spectacle et prouve que le pari de David Drouard est largement gagné.
Pourtant le dossier explique que La chair de l’objet est une vision chorégraphique en deux dimensions : un duo et un trio. Conçue à la suite du premier confinement, cette création donne à voir deux formes distinctes d’interprétation et tire sa particularité de son processus de création.
La première, portée par un duo composé de Evguenia Chetchelkova et David Drouard, questionne le corps masqué en mettant en mouvement deux individus vêtus d’un “zentaï”, combinaison dissimulant l’intégralité du corps. Les séquences sont magnifiques comme en témoigne la première photo. Le public est sollicité pour répondre à la question de la subsistance d'une singularité à ces deux silhouettes dépourvues de visage. L'humain continue-t-il de vibrer si on ne voit pas/plus la couleur de peau ni les expressions ? La réponse est positive, parce que le talent des danseurs est tel que leurs corps restituent la moindre de leurs émotions.La seconde partie met en scène un trio de danseurs (Maëlle Omnès, David Walther et Germain Zambi) issus des cultures urbaines, portant une combinaisons d’astronaute et évoluant franchement dans un univers de science-fiction.
Ce trio doit être compris comme trois facettes d'une seule et même personne.
Il montre un individu à trois « têtes », en trois dimensions, racontant une quête ou une expérience. Le récit est en mouvement, conçu comme une exploration d’un futur qui peut être celui de l’esprit comme celui du paysage, ou de l’espace, rythmé par trois personnalités à la fois fusionnelles et distinctes. La notion d’avatar, de jeu de rôles, sert de catalyseur idéal capable de susciter l’envie d’une invention personnelle à être qui l’on veut, à partir de soi.Les cinq danseurs maitrisent leur art à la perfection. Les jeux d'ombres et de lumières de Jéronimo Roe sont splendides. La musique, créée par Arnaud Toulon enveloppe admirablement les artistes. Elle intègre deux morceaux comme s'ils avaient été composés pour le spectacle.
D’abord Les mains libres de Yuzmv (prononcer Yusma), un rappeur perpignanais, chanteur et danseur (il a commencé à l’âge de 9 ans) dont le clip a été un succès phénoménal il y a quatre ans avec plus de 9 millions de vues sur You tube, lançant ainsi la carrière de l’artiste qui se produit le visage bandé … encore un point commun avec les costumes choisis par Cédric Tirado.La démarche artistique de Yusmv ne peut que toucher les adolescents puisqu’il conçoit la musique pour panser les blessures de l’âme. J’espère que la compagnie DADR lui aura envoyé une captation du spectacle puisque cet artiste se plait à challenger son public en lui demandant de poster sur les réseaux sociaux une vidéo d’eux faisant une chorégraphie sur Les mains libres. Le défi a été relevé par 420 000 personnes, donnant lieu à un nouveau clip de Yuzmv, Episode III Les Mains Libres. Artiste complet, excellent musicien (autodidacte alors que son père est pianiste professionnel) à la batterie comme à la guitare, puis au piano, Yusmv explique que son unique refuge se trouve bien dans la musique et la danse.Le second morceau chanté en live est un classique électro vieux de plus de dix ans, toujours puissant, Dance Yrself Clean de LCD Soundsystem. Là encore il s’accorde avec le thème.David Drouard chorégraphe de la Compagnie DADR, est né en Mayenne. Il danse depuis l’âge de 15 ans. Son parcours est classique et contemporain. Il a travaillé avec Odile Duboc puis Jiri Kylian au Nederlands Tans Theater, Aurélie Dupont et Manuel Legris mais aussi Marie-Agnès Gillot. Il a reçu le premier prix de la Fondation Noureev au Concours International de danse de Paris, puis Fractal, aussi récompensé. Il remporta de nombreux prix qui l’amenèrent à se confronter à différentes collaborations dans le théâtre, le cinéma, la télévision … Toujours interprète et chorégraphe il allie à la perfection la danse classique et la danse contemporaine, y compris dans ses tendances les plus actuelles comme le krump.
Implantée à Laval depuis 2004, la compagnie a l'habitude de confronter, à travers ses créations, l’art chorégraphique à l’actualité et s’est particulièrement intéressé à la question de l’identité en rencontrant des élèves de collège et lycée autour de cet aspect. On peut être d’accord avec lui : peu importe au final si le corps est recouvert, casqué ou voilé, il continuera de vibrer ! La chair de l'objet a été créé le 9 février dernier à Laval. Le public, essentiellement adulte ce lundi 24 juillet, a été très ému et a longuement salué la performance, tant sur le plan de la forme que sur le fond. S’il vous faut un extrait pour être convaincu, vous pouvez visionner ceci.La chair de l’objet, chorégraphie de David Drouard pour DADR CieInterprètes : Evguenia Chetchelkova, David Drouard, Maëlle Omnès, David Walther et Germain Zambi
Assistante : Sara Tan
Compositeur : Arnaud Toulon
Lumières : Jéronimo Roe
Conception scénographie : Cédric Joannet
Costumes : Cédric TiradoVu le lundi 24 juillet 2021 à 21 h 30 à Cossé-le-VivienLes photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de François Stemmer.