Vu le temps que j’ai mis à enfin me décider à lire cet ouvrage, Charlie Gordon n’est probablement pas le plus grand imbécile de l’histoire. Les nombreuses références que Richard Powers fait à cet ouvrage dans son excellent roman « Sidérations » m’ont finalement convaincu de lui laisser sa chance et ceux qui, comme moi, sont effrayé par le côté « science-fiction » du récit doivent bien comprendre qu’il ne s’agit ici que d’un point de départ qui permet surtout de livrer un roman psychologique d’une profondeur rare.
Alors certes, les premières pages peuvent surprendre, voire même mettre grammaticalement KO les puristes de la langue française. Livré sous forme de journal intime, le récit partage en effet les pensées de ce jeune homme qui a une maîtrise disons assez limitée de l’orthographe. Heureusement, les effets de l’opération se font très vite sentir, éliminant progressivement les fautes de syntaxe de ces comptes rendus journaliers et améliorant considérablement le confort de lecture après une dizaine de pages. Ouf !
Ce procédé narratif particulièrement ingénieux permet non seulement de constater l’évolution intellectuelle fulgurante de Charlie au fil des pages, mais dévoile aussi progressivement toute l’intelligence de ce récit imaginé par Daniel Keyes. Au fur et à mesure que son QI augmente, Charlie va certes prendre plaisir à apprendre, à comprendre et à s’élever intellectuellement, mais il va surtout également créer un fossé de plus en plus grand avec le monde bienheureux dans lequel il vivait. L’intelligence s’avère en effet très vite un cadeau empoisonné qui ne mène pas forcément au bonheur escompté.
Devenant de plus en plus intelligent, Charlie va d’une part revoir son passé sous un nouveau prisme, réalisant que son entourage se moquait de lui et rejetait sa différence, le poussant même à ressentir de la honte envers celui qu’il était. Puis, il va d’autre part commencer à se lasser de toutes ses personnes qui l’entourent et qui n’ont dorénavant plus l’esprit assez vif pour lui. Evoluant beaucoup trop vite pour trouver sa place dans le monde qui l’entoure, Charlie va progressivement s’éloigner de celui qu’il était, de ceux qu’il aimait et du bonheur en général… pour finalement constater qu’il était probablement plus heureux quand il était con…
Reposant sur un point de départ intelligent et une construction brillante, « Des fleurs pour Algernon » s’avère être un récit psychologique foncièrement humain, poignant, bouleversant et fascinant, débordant de questions existentielles et abordant des sujets sensibles, tels que la différence, la tolérance, les troubles de la mémoire ou les dangers de la science.
Incontournable !
Des fleurs pour Algernon, Daniel Keyes, J’ai Lu, 256 p., 9,7€