Cédric Carton est né le 10 juin 1980 à Fourmies dans le Nord. Ainé d'une famille de trois enfants, c'est à Anor, non loin de là, qu'il grandit. Un territoire dans lequel il s'ancre devenu adulte. " Il n'a jamais bougé du village. Il vivait encore à cinq minutes de chez notre mère dont il était proche " se souvient Candice. " Mon frère était un peu bohème, marginal sur les bords. Il n'entrait dans aucune case. Il aimait profiter de la vie, de ses amis et faire la fête. Pendant longtemps il n'avait ni permis de conduire, ni portable et ce n'était pas un problème pour lui. Le dessin et la musique étaient ses deux grandes passions. Les tableaux qu'il a réalisés nous sont aujourd'hui très précieux car c'est tout ce qui nous reste de lui ".
A l'issue d'une scolarité peu épanouie, Cédric suit une formation professionnelle en soudure. " Il avait un rêve : devenir scaphandrier. " Le nordiste enchaîne ensuite les petites missions d'intérim avant d'intégrer l'entreprise Comptoir des Calcaires et Matériaux (CCM), filiale du groupe Colas, qui exploite la carrière de Wallers en Fagne. Ouvert en 1973 et situé à deux pas de la frontière belge, l'immense site est spécialisé dans l'extraction de pierre bleue (calcaire). D'abord intérimaire, Cédric finit par signer un CDI à un poste de mécanicien soudeur. " Ce boulot, ce n'était pas sa passion mais il aimait la soudure. Il était employé sur le site depuis 17 ans au moment de l'accident ".
Le 28 juillet 2021, Cédric remplace un collègue à un poste qui n'est pas le sien. " Il était en vacances ce jour-là. Mais mon frère n'avait ni femme, ni enfants, alors on le considérait un peu trop facilement comme le candidat idéal pour effectuer des remplacements au pied levé ". Peu après midi, le quarantenaire se charge de faire le plein d'une raboteuse. L'imposant engin de chantier nécessite qu'il se situe sur une passerelle pour atteindre le réservoir et effectuer l'opération. Au même moment, un tir de mine doit avoir lieu à 350 mètres de là. La zone de danger étant située à 200 mètres, Cédric s'affaire tranquillement à sa tâche. Il est environ 12H30 lorsque le tir fait exploser la roche au sein de la carrière.
Deux heures plus tard, c'est un corps inerte avec la cage thoracique enfoncée qu'y est découvert sur place. " Je ne comprends pas pourquoi personne ne s'est inquiété de ne pas le voir revenir après le tir ? C'était la pause de midi. Pendant que tout le monde prenait son déjeuner, mon frère était en train de mourir ". Il est aux alentours de 15H15 lorsque le SMUR arrive sur les lieux du drame. La mort de Cédric est prononcée sur place. Le nordiste semble avoir été violemment atteint au thorax par un fragment de pierre.
" Ce soir-là, j'ai reçu un appel de mon petit frère. Avec ma belle-sœur ils venaient de tomber sur une publication Facebook d'une radio locale qui annonçait un accident mortel à la carrière de Wallers en Fagne. On s'est évidemment posé des questions mais l'âge de la victime ne correspondait pas. Rapidement, les commentaires situés sous la publication ont malheureusement levé nos doutes. J'ai alors appelé la gendarmerie. Mon frère était mort depuis plus de 10 heures lorsqu'on m'a confirmé son décès. C'est moi qui ai dû annoncer la nouvelle à notre mère. " Comment expliquer un tel défaut de communication avec la famille de la victime ? " Apparemment la police est passée chez ma mère dans l'après-midi mais elle était absente. On m'a dit que l'entreprise ignorait que Cédric avait des frères et sœurs. Je connaissais pourtant plusieurs de ses collègues... ".
Cédric est inhumé début août au cimetière d'Anor à l'âge de 41 ans. " Il y avait du monde aux obsèques. Mon frère était connu dans le village ". Dans les jours qui suivent l'accident, les proches du nordiste sont reçus sur le site de la carrière pour y récupérer ses affaires. Une audition est aussi effectuée sur place par la gendarmerie. " On ne nous a jamais proposé de porter plainte. Nous étions dévastés, détruits, on ignorait quelles démarches effectuer et les informations qui nous parvenaient étaient parfois contradictoires. C'est violent de faire face à tant de questions et d'incompréhensions ". Candice va par la suite tenter de déposer plainte à deux reprises. " On me l'a refusée sous prétexte que l'enquête de gendarmerie était terminée. J'ai alors directement écrit au procureur qui de son côté dit attendre les conclusions de l'enquête de l'Inspection du travail ". Celles-ci viennent justement d'être rendues, l'affaire devrait donc connaitre un tournant dans les semaines à venir. " Je crains tellement que le procureur ne donne pas de suite. Ça me hante ".
Beaucoup de questions restent en suspens. Dans quelles circonstances précises est décédé Cédric ? Une erreur a-t-elle été commise lors du tir de mine ? Pourquoi a-t-on mis deux heures avant de retrouver son corps ? Pourquoi personne n'a jugé nécessaire de prévenir sa famille ? Tant de questions auxquelles l'entreprise n'a pas encore pu fournir de réponses. " Après notre entrevue avec les employeurs de mon frère, j'ai écrit au directeur général de chez Colas. Je voulais qu'il sache à quel point nous avions été mal reçus. Cela venait en plus s'ajouter au fait que personne ne nous avait contacté après l'accident. J'ai aussi demandé à ce que la stèle funéraire soit pris en charge ". La communication entre l'entreprise et la famille semble cependant restée compliquée. En effet, sans même que les proches de Cédric n'en soient informés, une stèle en son hommage a été installée et inaugurée sur le site de la carrière. " On a été complètement occultés. J'ai appris l'information par hasard plusieurs semaines après ".
" Le collectif m'a en quelque sorte sauvé "" Il était mon confident. Il y a tant de choses que j'aimerai partager avec lui aujourd'hui. Malheureusement il est parti travailler un matin et n'est jamais revenu. Les occasions de penser mon ‛petit champipi', comme j'aimais le surnommer, ne manquent pas que ce soit à travers les dessins qu'il nous a laissés ou toutes les musiques qu'il m'a fait découvrir ". Plus que jamais déterminée à mener son combat pour la mémoire de son frère et la justice, Candice peut aujourd'hui compter sur le Collectif familles stop à la mort au travail, une association de familles de victimes d'accidents du travail qui s'est constituée ces derniers mois. " Le collectif m'a en quelque sorte sauvé. J'y trouve un soutien énorme notamment parce que je peux échanger avec des personnes qui vivent ou ont vécu la même chose que moi. On a tendance à effacer les frères et sœurs de victimes comme si nous n'existions pas. Pourtant, j'ai du tout gérer après la mort de Cédric. Je ne souhaite à personne de vivre ça ".