J’entendais parler de l’écrivain suisse Charles-Ferdinand Ramuz depuis assez longtemps et j’ai eu envie de voir par moi-même si la beauté de son écriture – si réputée – allait me plaire. J’ai découvert cet écrivain grâce à « Derborence« , que je chronique seulement aujourd’hui, même si mon article sur « La Découverte du monde« , lu plus tardivement, était paru il y a quelques mois déjà.
Vous pouvez retrouver ce dernier article en cliquant ici.
Note Pratique sur le Livre
Editeur : Grasset (Les Cahiers Rouges)
Première date de publication : 1934
Nombre de pages : 183
Note sur l’écrivain
Charles Ferdinand Ramuz, né à Lausanne en 1878 et mort à Pully en 1947, est un romancier, poète et essayiste de Suisse romande. Il fait des études de Lettres à l’Université de Lausanne. Il séjourne à Paris de 1900 à 1914, et découvre à cette occasion la littérature de son temps.
Il est d’abord proche du mouvement régionaliste, avant de développer un style plus personnel, qui reste attaché à ses origines vaudoises et qui puise ses sujets parmi les habitants de sa région.
Dès les années 1930, il obtient le succès et la notoriété, ses œuvres étant publiées chez Grasset, et il collabore à de nombreuses revues littéraires. Son talent est reconnu par des écrivains comme Louis Ferdinand Céline, Gide, Giono, entre autres. Par deux fois, il manque d’obtenir le Prix Nobel de Littérature, en 1943 et 1944. Les dernières années de sa vie, marquées par la maladie, le voient se consacrer plus particulièrement à des écrits autobiographiques. Il meurt à l’âge de 68 ans.
Résumé du début de l’histoire
Antoine et Thérèse sont mariés depuis seulement deux mois, ils forment un jeune ménage heureux, dans un village suisse des montagnes. Mais tous les hommes du village, y compris Antoine et Séraphin, l’oncle de Thérèse, doivent bientôt monter avec leurs bêtes dans les pâturages de Derborence (c’est un lieu-dit), pour plusieurs semaines. Alors que tous les hommes se trouvent là-haut avec les bêtes, la montagne leur tombe littéralement dessus, par un énorme éboulement, et, en bas, au village, c’est d’abord l’incompréhension et la stupeur, puis la consternation et le désespoir. (…)
Quatrième de Couverture
Antoine n’est pas revenu du pâturage de Derborence où il avait accompagné le troupeau, car la montagne s’est mise en colère… Pourtant, un soir, Thérèse, sa jeune épouse, croît reconnaître sa voix et sa silhouette amaigrie et pâlie. Est-ce une vision ou un miracle ? Un survivant ou un spectre ? Si Antoine n’est pas son propre fantôme, il faudra qu’il le prouve…
Avec cette chronique villageoise, où le ton vire du pathétique au cocasse aussi imprévisiblement que la bise des montagnes, Ramuz a réussi un de ses chefs d’œuvre.
Mon humble avis
C’est une histoire simple, avec des personnages assez frustes, des gens de la montagne qui vivent de l’élevage de leurs troupeaux, et qui ont certaines superstitions bien ancrées dans leurs mentalités, en même temps qu’une proximité très grande avec la nature, une parfaite connaissance de leur milieu de vie.
Lorsqu’un gigantesque éboulement fait tomber la montagne de Derborence à l’endroit précis où tous les hommes du village avaient emmené paître leurs bêtes, engloutissant à la fois les hommes et les animaux, c’est une énorme catastrophe pour les femmes, les enfants, les vieillards, restés au village, qui perdent à la fois leur mari, leur fils ou leur père, mais aussi celui qui subvenait aux besoins de la maison, le soutien de la famille.
Il y a bien sûr dans ce livre un côté « terroir », « roman de la campagne » (ou plutôt, de la montagne) et célébration de certaines valeurs traditionnelles mais, en même temps, l’écriture de Ramuz est si belle, avec toutes ses images évocatrices et pleines de vitalité, qu’on entre volontiers dans cet univers et qu’on s’y plonge avec plaisir.
Une pointe d’humour est parfois perceptible, avec les croyances superstitieuses des villageois qui prennent Antoine, le seul survivant de l’éboulement, pour un fantôme envoyé par le diable, et qui ne sont pas loin de lui tirer dessus quand il redescend de la montagne pour retrouver les siens.
Une certaine profondeur psychologique est également présente, avec Antoine qui revient au village traumatisé par son expérience de cette catastrophe, et qui montre un comportement étrange, un désir irrépressible de retourner dans la montagne qui l’avait enseveli, comme s’il n’arrivait plus à se détacher de son malheur, de cet événement traumatique. Et on se dit qu’il se sent sûrement coupable d’être le seul survivant, qu’il ne supporte pas que tous les autres éleveurs, ses compagnons et amis, soient morts, sans qu’il ait rien pu faire pour eux, ce qui provoque chez lui des attitudes irraisonnées.
Un très beau roman, qui m’a séduite par sa magnifique écriture et par la tendresse de l’écrivain pour ses personnages.
Un Extrait Page 34
Il a fallu d’abord que les hommes aillent mettre de l’ordre dans le troupeau.
Ils avaient une lanterne à vitres de corne dont ils n’auraient d’ailleurs pas eu besoin, à cause du beau clair de lune qu’il faisait cette nuit-là ; mais ils se sont bientôt étonnés de voir la lune qui noircissait légèrement, qui s’ est flétrie, qui est devenue triste comme quand il y a une éclipse, pendant que la lueur de la lanterne devenait plus nette, au contraire, faisant un rond sur l’herbe courte devant leurs pieds.
Et c’est alors qu’ils avaient vu cette grande nuée pâle se lever en avant d’eux. Le silence peu à peu revenait ; elle, elle a grandi de plus en plus derrière la crête qui leur masquait encore les fonds de Derborence, étant là comme un mur qui montait par-dessus un mur. C’était comme une grosse fumée, mais sans volutes, plate ; c’était comme un brouillard, mais c’était plus lent, plus pesant ; et la masse de ces vapeurs tendait vers en haut d’elle-même, comme de la pâte qui lève, comme quand le boulanger a mis la pâte dans son pétrin, et elle déborde du pétrin.
C’est la montagne qui est tombée.