Il y a vingt ans, Cahier de verdure et Après de longues années ont été publiés dans la célèbre collection Poésie/Gallimard. Ce petit volume en était le trois cent quatre-vingt-troisième.
Ces deux recueils de prose poétique avaient été publiés respectivement en 1990 et 1994. Ils figurent dans le fort volume des Oeuvres de Philippe Jaccottet paru dans La Pléiade en 2014.
C'est donc le moment de les lire, ou de les relire, pour constater que le temps ne les a pas outragés et qu'ils sont intemporels, ce qui ne peut que plaire aux amateurs de poésie au sens propre.
En tête, Le cerisier: il s'agit non pas d'un cerisier en fleurs qui nous parle un langage limpide, mais d'un cerisier chargé de fruits, aperçu un soir de juin, de l'autre côté d'un grand champ de blé.
Cette apparition d'un arbre à la tombée de la nuit inspire au poète plusieurs pages, qui révèlent sa fécondité et son regard singulier. Pour s'en convaincre, un court extrait semble de mise:
Il y avait un lien des feuilles avec la nuit et la rivière plus lointaine qu'on n'entendait pas; il y en avait des fruits avec le feu, la lumière.
Dans Cahier de verdure, le poète parle entre autres des couleurs d'un verger, le vert et le blanc, son blason, qui lui rappelle des textes d'autres poètes aimés tels que Dante ou bien Verlaine:
Couleurs heureuses entre toutes les couleurs, mais plus proches de la nature que les autres, couleurs champêtres, féminines, profondes, fraîches et pures, couleurs moins sourdes que réservées, couleurs qui semblent plutôt paisibles, rassurantes...
Alors qu'un ami se meurt, il voit des fleurs dans une prairie, bleues, jaunes et blanches. Il ne veut pas seulement les nommer, les identifier par leur couleur ou les énoncer comme un drapeau:
Le vieil homme n'a pas survécu longtemps à ces fleurs apparues. Naturellement, elles ne l'ont pas sauvé, elles ne nous ont pas consolés, elles ne sauveront ni ne consoleront personne. Nul n'échappe au déclin dans des visions.
Les visions d'Après de longues années sont plus aquatiques que florales, encore que le poète y rende encore hommage à des fleurs, aux pivoines qu'il accorde, il ne sait pourquoi, à la pluie:
Parce qu'elles s'inclinent sous leur propre poids, certaines jusqu'à terre, on dirait qu'elles vous saluent, quand on voudrait les avoir soi-même, le premier, saluées.
À la rose trémière, dont la floraison se propage de bas en haut de sa haute tige, à mesure que l'été passe. À l'instar d'enthousiastes, il la baptise d'ailleurs passe-rose, dont il dévoile la leçon:
Que la rose du chant
brasille de plus en plus haut
comme en défi à la rouille des feuilles.
Les eaux sont celles du lac de son enfance que surplombe la montagne, celles de la Sauve ou du Lez, qu'il qualifie de prodigues, et qui ne reviendront jamais sur leurs pas, ou du col de Larche:
Le torrent parle, si l'on veut; mais avec sa voix à lui: le bruit de l'eau. Serait-ce donc que, sans m'en être avisé jusqu'ici (l'esprit décidément bien lent, bien obtus), je cherche à dire l'intérieur de ce bruit, de cette course? L'invisible, en ces eaux, par quoi elles touchent ce que j'aurais en moi d'invisible?
Dans le texte final intitulé Après beaucoup d'années, d'où le titre du second recueil est tiré, le poète constate que tout ce qu'il a vécu de sinistre pendant près d'un siècle de l'Histoire humaine:
Cela aurait dû, cela devrait changer nos pensées, notre conduite peut-être, on le voit bien. Néanmoins, à tort ou à raison, ce qui fut pour moi, dès l'adolescence, essentiel, l'est resté, intact.
Francis Richard
Cahier de verdure - suivi de - Après de longues années, Philippe Jaccottet, 208 pages, Poésie/Gallimard