Une semaine après notre première sélection de poches à emmener dans vos valises cet été, on vous livre notre seconde partie avec trois autres poches à glisser s'il reste de la place dans les poches de devant !
1. Patagonie route 203 Eduardo Fernando Varela (Points)
"Il y eut un long silence où tous les deux se regardèrent avec un mélange de curiosité et de condescendance. Parker comprit qu’il devait suivre la logique du bonhomme s’il voulait tirer la chose au clair."
Parker, chauffeur livreur mystérieux, saxophoniste et philisophe à ses heures perdues, trimballe son camion dans une région aussi aride, perdue et immense que les longues plaines de Patagonie.
Un secteur où il aime prendre son temps dans les petites routes secondaires de la région et aux lieux dont les noms- fictifs- sont aussi évocateurs que terrifiants même assez cocasses : "La pourrie", " Pampa de l'enfer" , "Mule morte" ou bien encore "Saline du désespoir"
Notre héros fuit quelque chose, mais quoi exactement? Au gré de rencontres, plus ou moins improbables- un journaliste chercheur d'épaves nazies, des garagistes au discours incensés, des policiers plus ou moins corrompus, il va aussi rencontrer l'amour au hasard d'une fête foraine avec la belle et insaissisable Maytén, qui tient la billetterie de la fête foraine.
Les choses vont se compliquer pour Parker puisque Mayten est la femme d'un type particulièrement teigneux qui pourrait avoir un peu de mal à apprécier le rapprochement entre les deux tourteraux..
Voilà un roman aussi étonnant que captivant. Eduardo Fernando Varela, scnéariste argentin pour la télévision et le cinéma, dont c'est le tout premier roman à 60 ans, nous livre un road trip planant et athmoshpérique qui fait penser à certains chefs d'oeuvre du genre
Mais sa poésie décalée et fantaisite a aussi quelques réminissence avec la littérature de l'écrivain finlandais Arto Paasilinna notamment son roman "Le Lièvre de Vatanen ".
Un voyage onirique en camion planant et hypnotique, truffé de personnages excentriques et haut en couleurs et d’apparitions et de disparitions tout aussi cocasses.
Traduit par : François Gaudry
2 Adèle Ronselfeld, les méduses n'ont pas d'oreille ( Livre de Poche )
Quel roman déroutant, inventif et sensible qu'a écrit Adèle Rosenfeld pour nous raconter sa vie de malentendante. Comme son personnage principal Louise, l'auteure est malentendante depuis l'enfance. Elle explique dans une vidéo diffusée sur Brut qu'elle l'a caché à l'école puis a espéré que les autres le devineraient en se coupant les cheveux très courts pour qu'on voit son appareil. Plus récemment, elle a perdu un peu plus encore l'ouïe, pénétrant dans le monde des sourds. Dans Les méduses n'ont pas d'oreilles, on entre dans la tête de Louise alors qu'elle doit prendre une décision (un implant qui signera la fin de toute audition naturelle mais qui lui, on l'espère, facilitera et adoucira sa vie).
Les méduses n'ont pas d'oreilles n'est pas du tout un témoignage mais bien un récit littéraire. Les fantômes traumatiques (ce sont les mots de l'écrivaine) prennent de plus en plus de place dans la tête et la vie de Louise que ce soit ce soldat qui lui glisse parfois les bons mots, cette botaniste qui prend forme au musée d'histoire naturelle ou le chien Cirhus. Est ce pour combler les blancs laissés par un silence de plus en plus grand que l'imagination de Louise s'emballe ?
Mais ce qui m'a frappé avant tout c'est l'écriture inventive d'Adeline Rosenfeld. Pour décrire la surdité qui s'installe, elle écrit « la bande-son s'est coupée ». Pour rendre compréhensible des ressentis physiques, sensoriels qu'un entendant n'a jamais vécus, l'écrivaine use de tout un panel de comparaisons et d'images pour décrire les sons produits par l'environnement et par chacun, pour décrire les voix.
Elle attire aussi notre attention sur des choses que nous ne remarquons pas, ne voyons pas en tant qu'entendant comme les mouvements formés par les lèvres et la bouche quand nous parlons et ce qu'on dit avec les yeux.
Pour garder une mémoire des sons qui disparaissent, s'effacent, Louise se constitue un herbier sonore.
La grande force du roman, en dehors de son inventivité, est de suggérer combien la surdité, handicap invisible (peut être encore plus dans le cas de Louise qui parle normalement puisqu'elle a entendu ou a réussi à compenser d'une manière ou d'une autre et dont on ne peut pas soupçonner ce handicap), est épuisante au quotidienne pour « s'adapter ». A la mairie où elle a trouvé un emploi, dans les soirées entre amis ou même en tête à tête avec sa mère, Louise est toujours obligée de déployer des efforts, des stratégies pour des sons, des sens, des mots (ce qui génère parfois des quiproquos amusants !).
Face à elle, même ceux et celles qui ont connaissance de son handicap, paraissent globalement peu empathiques. Aux yeux des entendants, le fait de ne pas comprendre, de faire répéter, de répondre à côté parfois, passe rapidement pour de la folie.
C'est cette solitude que j'ai trouvé poignante, d'autant plus que n'étant pas sourde de naissance, Louise semble être à cheval entre deux mondes. 3.Poète à New York de Federico García Lorca, Pavillons poche robert laffont
"Poète à New York" est un recueil de poèmes écrits par Federico Garcia Lorca entre 1929 et 1930 alors qu'il était étudiant à l'université de Colombia. Paru pour la première fois en 1940 de manière posthume,4 ans après avoir été fusillé par la garde franquiste, dans une version incomplète. Les éditions Robert Laffont l'ont réédité en début d'année en reprenant pour la première fois en France la trame du manuscrit et les volontés du poète On y retrouve toute l'ame de Lorca, entre expressionnisme et surréalisme et cette poésie de symboles à la fois créatrice inventive et moyen de révolte et d'insoumission face à la barbarie de la guerre.
"Dans l’East River et le Queens
les garçons luttaient contre l’industrie,
et les juifs vendaient au faune du fleuve
la rose de la circoncision,
et le ciel dégorgeait par les ponts et les toits
des troupeaux de bisons poussés par le vent.
Mais aucun ne s’arrêtait,
aucun ne voulait être nuage,
aucun ne cherchait les fougères
ni la roue jaune du tambourin. »
Voila un recueil est à mettre dans toutes les mains, dans tous les sacs, dans toutes les poches pour suivre les pas de Lorca aux USA.
"Poète à New York » (Poeta en Nueva York), de Federico Garcia Lorca, édité sous la direction d’Andrew A. Anderson, traduit de l’espagnol par Zoraida Carandell et Carole Fillière, Robert Laffont, « Pavillons poche », édition bilingue, 258 p., 11 €, numérique 8 €.