Critique de Cassé, de Rémi de Vos, vu à la Chapelle des Italiens le 13 juillet 2023
Avec Lina Cespedes, Henri Vatin, Valérie Durin, Arman Éloi, Salvatore Caltabiano, Yves Sauton, Anne-Sophie Pathé, Sébastien Lanz, mis en scène par Nikson Pitakaj
Par Complice de MDT
Deux envies m’ont conduite vers ce spectacle : celle de découvrir comme acteur Armand Éloi, que j’apprécie beaucoup comme metteur en scène (notamment Seuil de tolérance et L’École des Femmes), et celle d’explorer l’univers comique de Rémi de Vos, auteur prolifique que j’avais découvert avec Sosies déjà au Off.
Comme Sosies, Cassé se situe dans un milieu populaire. Dès le début, on apprend que Christine (Valérie Durin) a perdu son emploi, en raison d’une délocalisation, et elle apparaît comme aliénée : elle répète à l’envi le nom (Prodex) de l’entreprise où elle a toujours travaillé, et dont les process se sont comme incrustés en elle. Cela illustre bien la spécificité du comique de De Vos : une alliance entre des procédés éprouvés (comique de répétition, plus tard personnage caché qui entend ce qu’il ne devrait pas, arrivées intempestives…) et un thème social.
Christine est presque constamment sur scène, et la trame de la pièce repose à la fois sur des visites généralement malvenues : son médecin, un voisin, ses parents, une amie, un délégué syndical, et sur la relation avec son mari, qu’elle va faire passer pour suicidé (en le cachant dans une armoire, où littéralement il dort debout) afin de toucher de l’argent. On comprend vite qu’il ne faut chercher aucune vraisemblance dans les situations, se laisser aller au plaisir des entrées et des sorties qui mettent en péril ou favorisent de façon suprenante voire délirante le projet de Christine. Au bout d’un moment, cela crée un effet mécanique qui serait un peu lassant sans la solidité des acteurs. Cette base vaudevillesque est au service de nombreux discours sur le travail : l’amie de Christine y connaît le harcèlement, son voisin a toujours voulu y échapper, son mari a été placardisé au sens figuré avant de l’être au sens propre, sa mère est fascinée par les prolétaires… La pièce se termine d’ailleurs avec un groupe de parole où chaque personnage s’exprime sur ce sujet, comme si ce que l’on vient de voir était le moment d’une thérapie.
Cela fait un ensemble original. Le comique est à la fois franc et grinçant, vu la gravité du thème, et l’écriture des dialogues est savoureuse et efficace. Mais c’est une pièce sans véritable intrigue, donc sans dénouement réel, reposant sur un défilé de personnages qui réinterviennent sur scène de façon aléatoire : cela manque de structure, à mon goût.
Ce défaut est bien compensé par l’énergie de la troupe. Huit acteurs sur scène, c’est rare dans le Off. Chacun joue la situation, à fond, sans clin d’œil, ils sont tous précis et efficaces et impriment un rythme trépidant au spectacle. Il m’a semblé que c’était la bonne manière de jouer De Vos, sans aucune psychologie, mais sans caricature ni outrance, car ce n’est pas une pièce satirique. On n’a pas envie de se moquer des personnages, on ne les surplombe pas. Mention spéciale à Valérie Durin, clef de voûte de la pièce, qui incarne de bout en bout l’affolement et la feinte maîtrise, la dépression et l’énergie du désespoir.
Pour découvrir un auteur contemporain qui compte, et un bon travail de troupe.