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Godefroy Mwanabwato : Ainsi sont faites les lianes

Par Gangoueus @lareus
Godefroy Mwanabwato : Ainsi sont faites les lianes

Godefroy Mwanabwato est un avocat d'affaires basé à Kinshasa. Il a publié son nouveau roman Ainsi sont faites les lianes depuis la RDC aux éditions Les lettres mouchetées, en 2022.


L’écrivain congolais travaille sur une période de trois mois, entre mars et mai 2017. Un massacre a été perpétré à Bulongo dans l’est de la RDC. Toute une population de cette bourgade a été décimée, seuls deux enfants ont survécu. Les charniers qui seront trouvés laissent peu de doute sur d'autres survivants. Que s'est-il passé ? Pourquoi ? C'est le sens profond de la démarche originale de Godefroy Mwanabwato pour comprendre cette scène trop commune dans cette zone de la RDC.
Cette question est d'abord posée par les enfants. Du moins c'est une non question pour eux. Leurs parents ont disparu, certes, mais il pourrait s'agir d'une coïncidence. Ils ont un peu plus d'une dizaine d'année. Il y a un déni commun. Ils constatent juste une absence, ils attendent ensemble un retour à la normale en se serrant les coudes, partageant gîte et couverts. Il y a quelque chose de touchant à suivre la naïveté, la simplicité et la protection que d'accordent ces jeunes gens. Il y a la fille du député de la circonscription. Et une altercation a eu lieu justement entre ce dernier et des miliciens, la veille. C'est une première manière de lire cette horreur. Progressivement, ils vont découvrir l'envers du décor tout en se protégeant l'un et l'autre de la terrible réalité qui a frappé leurs familles respectives.
Cette question se pose également à Michel un journaliste  français blacklisté et Ngbokoso, un ancien militaire des FAZ (Forces Armées Zaïroises) qui découvrent ensemble les charniers de Bulongo par un incroyable concours de circonstances que seule autorise la fiction. Ce qui se passe dans l'est de la république démocratique du Congo n'est pas anodin. On parle de plus de 15 millions de morts depuis la contre offensive rwandaise et l'AFDL de Laurent Désiré Kabila à partir de 1996. C'est le conflit le plus meurtrier depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Ce massacre en est un de plus. Et une des grandes plaies qui nourrit ce récit c'est l'impunité totale des bourreaux et la question de la justice. On découvrira les dessous de cette déflagration en lisant ce roman. Mais je ne peux m'empêcher de penser à Laurent Bonnet que je considère comme un grand romancier africain, qui dans Salone, son premier roman, pose la question de la justice pour les victimes de Charles Taylor, John Koroma et Foday Sankoh.
Ici, elle est bafouée, foulée avec acharnement. Godefroy Mwanabwato arrive à mettre en scène certains défis de la RDC. Dans le fond, les dés sont pipés d'avance. Ce pays est une construction européenne, servant des intérêts mercantiles fait-il dire par une photographe reporter étrangère. On a parlé des gauches irréconciliables avec Manuel Valls en France. Que dire des territoires irréconciliables dans un pays comme le Congo Kinshasa qui fait cinq fois la France ? Le dialogue entre Ngbokoso l'ancien militaire des FAZ qui vient de la province de l'Equateur et Diangenda le leader d'un mouvement messianique kongo porte en lui toute la complexité des rapports, avec de nombreux sous entendus mais aussi des choix tactiques qui ne reposent pas sur l'altruisme, la compréhension et la confiance en l'autre, mais plus sur un instinct exacerbé de survie. De ce point de vue, ce roman est plutôt réussi. Il me renvoie à trois romans congolais dans la même veine : Tu le diras à ma mère de Joseph Mwantuali (éd. Presence Africaine, qui consacre la faillite morale de l'élite politique des mouvements rebelles congolais et la violence sur le corps des femmes congolaises), Tu te souviendras de moi l'enfant de demain (éd. Vents d'ailleurs, coll. Fragments, sur l'exploitation des kadogo par les milices de Kabila), ou encore La vie des hommes de Ntumba wa Mulu (éd. Nzoi, sur Makala la prison centrale de Kinshasa, comme espace de violence et de synthétisation des intrigues politiques congolaises).
Cependant ce livre a quelques écueils. Si je ne peux que saluer la structure non linéaire du roman et sa construction qui lui donne l'aspect d'un thriller politique, avec des rebondissements plus ou moins maîtrisés, le texte pèche sur des aspects purement littéraires : la vraisemblance  des scènes et le traitement des personnages qui auraient gagné à être beaucoup mieux travailler. Très clairement, l'éditeur a laissé l'écrivain se satisfaire de son projet ambitieux sans travailler sur les détails. Je pense à une scène qui pourrait faire l'objet d'un atelier d'écriture : "Comment un homme réagit-il à la mort violente de sa femme ?" Ce n'est pas simple à écrire. Mais la puissance d'un roman va puiser sur le traitement méticuleux d'un tel épisode. Le lecteur a besoin d'être berné, manipulé, touché dans ses tripes. C'est un combat de boxe, contraint dans un coin du ring, il faut le travailler au corps avant de lui asséner une droite dévastatrice. Parce que dans le fond, il connaît déjà l'actualité. Mais la fiction a le pouvoir de l'amener ailleurs, au cœur d'une humanité, d'une douleur. La puissance sera donc dans le traitement d'un détail infime, de l'exploration sans compromis  d'une fêlure.
Je suis donc quelque part déçu.  Le potentiel du texte n'a pas été pleinement exploité. C'est dommage. Il vaut néanmoins le détour.
Godefroy Mwanabwato, Ainsi sont faites les lianesÉditions Les lettres mouchetées, 2022
N'hésitez pas écouter l'épisode de mon podcast consacré à ce roman sur Spotify

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