La Tentation de l'Orient, de Maurice Chappaz et Jean-Marc Lovay

Publié le 23 juillet 2023 par Francisrichard @francisrichard

Il y a bien longtemps, j'ai lu cette correspondance, qui date de 1968 et 1969, entre Maurice Chappaz et Jean-Marc Lovay, et qui a été publiée pour la première fois en 1970 aux Cahiers de la Renaissance vaudoise par Bertil Galland.

Relire est le privilège de l'âge et je me rends compte qu'il est bien difficile de se souvenir de tout ce que l'on a lu quand on est un lecteur impénitent et assoiffé. Ce coup de jeune fait du bien comme un vin jeune peut réjouir un gosier altéré.

Cette fin des années 1960 correspond à cette envie de jeunes et de moins jeunes de parcourir le monde pour retrouver une vie intérieure, une Vie normale que la Surproduction a étouffée, l'utile s'étant en quelque sorte disjoint de l'agréable.

Si Jean-Marc Lovay, dans ces Lettres autour du monde, écrit à Maurice Chappaz réellement depuis l'Orient (à New-Delhi, Kaboul ou Katmandou), son correspondant lui écrit depuis le Paris de mai 1968, le Valais ou les Lofoten, au Nord.

Maurice Chappaz ne serait pas désavoué par tous ceux qui rejettent aujourd'hui ce qu'ils appellent le faux progrès, oublieux des affres que vécurent les hommes qui les ont précédés, et qui croient encore naïvement que c'était mieux avant:

Les vrais parasites modernes ne sont pas les clochards, les beatniks, mais justement les activistes de la construction inutile, du gaspillage des sources et des ressources, spéculateurs et menteurs en tous produits et tous appétits.

Paris, mai 1968

Jean-Marc Lovay n'est pas de reste et confie à son mentor qu'il se fout de ce mai de Paris mais qu'il aurait été saluer le festival. Pourquoi? Parce que lui-même a vu grandir la crise depuis sa tendre enfance, en quittant l'école de son plein gré:

Il n'y a qu'une futile distance géographique entre Paris de mai dernier et l'Asie des fumeurs, des hippies, des vagabonds, des ombres non-guerrières. Un frétillement abdominal indique ma volupté profonde de cette contamination.

Kaboul, juin 1968

La Tentation de l'Orient est pour eux rejet de l'Occident, de la Machine. Maurice Chappaz en vient même à penser que le christianisme doit être éclairé par le bouddhisme 1. Quant à Jean-Marc Lovay, qui hait Tecnos, il écrit en lui répondant:

Je pense que tous nous courons à une perte, mais je la veux en lumière et enfin oublieuse de soi et du monde.

Katmandou, 5 mai 1969.

Tous deux observent l'autodestruction de l'Occident 2. Maurice Chappaz, en tout cas, ne cède pas à la tentation des théories révolutionnaires qui lui apparaissent comme les rêves dont l'interprétation est ailleurs et dirait peut-être le contraire:

La violence me semble une expression de la folie.

Veyras, le 19 mai 1969.

Tous deux réhabilitent l'instinct et mettent en cause la raison. Tous deux s'insurgent contre le puritanisme, mais c'est parce que, selon Chappaz, la nuit de la chair est liée à l'horreur du monde moderne et peut en précipiter la fin, ce qu'il espère:

En un certain Orient on peut naître sage, il y a une sagesse dans le conditionnement; en Occident nous avons besoin de l'excès pour connaître la sagesse.

Entre Veyras et Réchy, août 1969.

Tous deux apportent des lueurs sur notre temps déboussolé. Leur correspondance en atteste. Il ne faut pas pour autant les suivre aveuglément. La dignité de l'homme est de tempérer ses passions par la raison et de respecter le droit naturel:

Ce n'est pas parce que les hommes ont édicté des Lois que la Personnalité, la Liberté et la Propriété existent. Au contraire, c'est parce que la Personnalité, la Liberté et la Propriété préexistent que les hommes font des Lois.

Frédéric Bastiat, La Loi, 1850

Francis Richard

La Tentation de l'Orient, Maurice Chappaz et Jean-Marc Lovay, 160 pages, Zoé

1 - Le christianisme devrait surtout redonner toute sa place à la vie intérieure.

2 - L'autodestruction va plus vite que le progrès. Dixit Chappaz en août 1969.

Chronique du 18 janvier 2009:

En guise d'hommage à Maurice Chappaz