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Cent ans de solitude (Garcia-Marquez)

Par Hiram33

100ans

Ce roman publié en 1967 parodie avec génie les grands romans de la littérature latino-américaine depuis ses origines, synthétise avec humour, poésie et une puissance d'invention peu commune, tous les problèmes d'un continent à la fois riche et chaotique.

Ce livre s’est écrit en moins d’un an, dans une chambre où s’est enfermé son auteur, le regretté Gabriel Garcia Marquez. La première phrase du roman avait surgi alors qu’il avait presque 40 ans : « Bien des années plus tard, face au peloton d’exécution, le colonel Aureliano Buendia devait se rappeler ce lointain après-midi au cours duquel son père l’emmena faire connaissance avec la glace. »

C’est l’histoire d’une famille exilée, tentant d’effacer les traces de la honte ; Melquiades, gitan-magicien, scelle le destin maudit de cette famille aux origines mal-dites, sur des parchemins indéchiffrables. La « malé-diction » des origines, frappant chacun de solitude, condamne le groupe familial à répéter ce qui ne peut s’oublier… Ainsi Ursula s’écrie-t-elle : « mais le monde fait des tours sur lui-même ! », tandis que les Buendia, avec six prénoms pour six générations (trois féminins et trois masculins), se débattent, très nombreux mais chacun seul , avec la « matière intransformable » des héritages familiaux.

Cent Ans de solitude est l'histoire légendaire d'une lignée, celle des Buendía, et du village auquel elle s'identifie. Comme dans un mythe aborigène, un couple errant, José Arcadio Buendía et Ursula, crée, en un lieu et en un temps indéfinissables, un hameau, Macondo, fondé sur la fraternité. L'Âge d'or des temps originels se dissipe lorsque, par hasard, le contact s'établit avec le reste du monde et que l'argent s'infiltre dans les rapports humains. À mesure que la dynastie des Buendía s'étend et que six générations successives s'embourgeoisent, la collectivité s'insère dans l'histoire économique et politique du continent. La société de Macondo se diversifie, les inégalités se creusent, la guerre civile fait rage, l'impérialisme nord-américain détruit hommes, bêtes et paysages. D'abord éblouis par le progrès technique, les Macondins s'appauvrissent et finissent par disparaître, victimes d'un cyclone purificateur : « La région enchantée qu'avait explorée José Arcadio Buendía à l'époque de la fondation du village, et où avaient ensuite prospéré les plantations de bananes, n'était plus qu'une immense fondrière de souches en putréfaction, à l'horizon lointain de laquelle on put voir, pendant plusieurs années, l'écume silencieuse de la mer. »

En un siècle, le village aura donc vécu un cycle historique complet dont la leçon est claire : oubliant leurs rêves utopiques, ses habitants ont cédé au mirage du profit et au culte du bonheur individuel, signant ainsi à long terme leur arrêt de mort. La « solitude », qui est leur malédiction, ne résulte pas d'un manque de sociabilité - ils adorent la fête - mais d'un manque de solidarité. C'est ce que souligne aussi le thème de l'inceste, présent dès les premières pages puisque les fondateurs de la dynastie sont cousins. Au lieu de tendre vers de saines amours exogamiques, les Buendía de sexe masculin sont fâcheusement enclins à s'éprendre de femmes, tantes ou cousines, qui ont le visage de leur mère. La décadence du sang qui en résulte, et qui aura raison de la lignée, accompagne et emblématise une longue histoire d'autosuffisance et d'autodestruction où se lit l'aventure de l'humanité tout entière. Le mouvement inexorable qui va du village enchanteur des premières pages aux ruines de l'épilogue se retrouve d'ailleurs dans la structure interne de chaque chapitre, qui s'ouvre sur des événements heureux pour glisser peu à peu vers la violence et la mort qu'apportent les cavaliers de cette Apocalypse tropicale.

Microcosme hispano-américain, Cent ans de solitude a pour cadre un village tropical et imaginaire de Colombie, Macondo, isolé entre des bourbiers, la mer et une sierra infranchissable, où la chaleur, la violence et la langueur végétale se conjuguent pour faire élirer l'imagination de l'homme et rendre obsédante sa solitude. Une famille symbolique, celle des Buendia, y incarne le destin américain. Avec le fondateur, José Arcadio Buendia, nous assistons à l'âge d'or du village, celui de la naïveté féérique, où l'imagination a tous les droits et l'invention tous les mérites. "Macondo était alors un village d'une vingtaine de maisons en glaise et en roseaux, construites au bord d'une rivière dont les eaux diaphanes roulaient sur un lit de pierres polies, blanches, énormes comme des oeufs préhistoriques." Chaque année, le chef d'une tribu de gitans, Melquiades, présente à Buendia les nouveautés d'un autre continent : le fer magique qui attire les autres métaux; la loupe qui supprime les distances et allume les brasiers; le coffre qui fabrique en plein soleil des diamants froids et translucides; l'appareil qui grave les portraits et qui permettra peut-être de photographier Dieu, afin d'en finir avec la question de la preuve ontologique...

Enfermé comme don Quichotte dans son cabinet de travail, le fondateur échafaude théories et spéculations. "La Terre est ronde comme une orange", affirme-t-il par exemple, parodiant Paul Eluard. Mais déjà Macondo se transforme en village actif, avec des magasins, des ateliers d'artisans et une route au trafic incessant, tandis que les oiseaux sont remplacés par des horloges musicales dans les maisons. Avec le progrès, l'esprit de merveilleux disparaît peu à peu alors qu'apparaîssent l'ordre, le travail - les habitants de Macondo en perdent le sommeil; ils attrapent la "peste de l'insomnie"-, l'éducation, l'administration, la religion, le racisme. Avec la seconde génération, celle du coonel Aureliano Buendia, Macondo connaît la guerre et la dictature, et entre aisni dans le temps historique. "Le colonel Aureliano fut à l'origine de trente-deux soulèments armés et autant de fois vaincu. De dix-sept femmes différentes il eut dix-sept enfants mâles qui furent exterminés l'un aprs l'autre, dans la même nuit, alors que l'aîné n'avait pas trente-cinq ans. Il échappa à quatorze attentats, à soixante-trois embuscades et à un peloton d'exécution. Il survécut à une dose massive de strychnine versée dans son café et qui eût suffi à tuer un cheval." Vaincu par les forces gouvernementales, le colonel organise la guerilla, rêve d'une fédération d'Etats américains qui viendraient à bout de "tous les régimes conservateurs de l'Alaska à la Patagonie", et se réfugie à temps à Cuba., Macondo, qui avait vieilli avec la guerre, rajeunit avec l'arrivée des Nord-Américains, qui mettent en valeur les plantations de bananiers, bouleversent les structures du village, créent un quartier noir et un quartier reséervé aux Blancs, et apprennent à une des héritières de Buendia "à nager comme une championne, à jouer au tennis et à manger le jambon de Virginie avec des tranches d'ananas". Quand le syndicalisme militant s'organise à Macondo, des grèves éclatent et la répression impérialiste faut ses premières victimes. C'est le signe du déclin. L'insécurité du pays et un déluge qui dure "quatre ans onze mois et deux jours" chassent les Nord-Américains. Les maisons, qui avaient poussé comme des champignons pendant la fièvre bananière, sont abandonnées, les installations démontées, Macondo n'a plus que quelques habitants qui se chauffent au soleil, satisfaits, semble-t-il, de retrouver leur solitude. "Leur peau gardait encore le vert d'algues et l'odeur de renfermé dont les avait impregnés la pluie". Le dernier des Buendia qui naît alrs est un monstre à queue de cochon qui meut à peine arrivé à la vie et que les fourmis entraînent vers leur repaire, le rendant ainsi au néant. L'histoire des Buendia et de Macondo s'achève, laissant un livre inoubliable.


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