Critique de La brève liaison de maman, de Richard Greenberg, texte adapté par Francine Bergé, Franck Pelabon et Éric Sannier, vu le 11 juillet au Théâtre du Petit Louvre
Avec Frédéric Andrau, Francine Bergé, Anne Le Guernec et Jean-Jacques Vanier, mis en scène par Isabelle Starkier
Par Complice de MDT
Cela fait longtemps que j’avais envie de découvrir le travail d’Isabelle Starkier, metteuse en scène et universitaire. Cette année, elle donne deux spectacles dans le Off, deux pièces américaines: Boxing shadows et cette Brève liaison. Ce qui a déterminé mon choix a été le nom de Francine Bergé, immense actrice qui a été dirigée par Maréchal, Barrault, Françon, Schiaretti… et qui pour moi est encore LA Lechy Elbernon de référence, autant dire une incarnation du pouvoir de l’acteur. Co-adaptatrice de la pièce, on peut penser que le projet lui tenait à cœur.
C’est une pièce new-yorkaise. Tout se passe dans une famille de juifs new-yorkais. Le père est mort, les enfants sont face au problème du grand âge de la mère, alors même que leur vie privée est chaotique. Cette mère bat-elle la campagne quand elle leur révèle par bribes la « brève liaison » qu’elle a eue il y a fort longtemps ? Elle aurait rencontré, en emmenant son fils à son cours d’alto, un homme, devenu son amant. Confidences gênantes pour les enfants, surtout quand l’identité de cet homme donne un caractère de scandale à cet amour adultère. Mais qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui est forgé par l’imagination de la vieille dame, à l’aide de lectures et de souvenirs d’un événement historique ?
Très américaine, cette pièce, puisqu’elle mobilise des détails de l’affaire Rosenberg mal connus du public français (ce qui nécessite un rappel historique visiblement ajouté). Très américaine aussi dans son traitement des personnages, plus ou moins névrosés et très aptes à analyser leurs névroses. Un peu verbeuse, donc. L’auteur, Richard Greenberg, peu joué en France, sait néanmoins soutenir l’intérêt, le répartir entre les différents personnages, faire avancer la révélation, distiller des éléments qui en maintiennent l’ambiguïté, jusqu’à la phrase finale.
Isabelle Starkier la met en scène avec beaucoup d’habileté. Des accessoires manipulés dessinent les différents espaces, et évoquent sans lourdeur un parc, un cimetière, un Ehpad… Ce sont les lieux de la parole, car la pièce nous montre des personnages qui tous par la parole cherchent à dire leur vérité, comme s’il y avait urgence avant de mourir ou pour vivre mieux. Il faut des acteurs solides, et ils sont tous très bons. Sans jamais écraser ses partenaires, Francine Bergé, en plus, fascine. Comme dans L’Échange monté par Schiaretti, cette vieille grande dame aux cheveux coupés courts devient la féminité ensorcelante. Alors que les autres personnages sont un peu engoncés dans leurs costumes, Isabelle Starkier l’a vêtue d’un souple pyjama de satin rouge et on la fixe inlassablement, qu’elle soit immobile ou qu’elle danse, qu’elle parle ou qu’elle écoute et même quand elle est de dos, car tout en elle semble frémir et s’exprimer. Elle passe de l’amertume au sourire (ravageur !) ou au rêve avec un art consommé. J’ai encore sa voix dans l’oreille.
Même si cette pièce ne nous parle pas compètement, on remercie Isabelle Starkier de l’avoir montée, parce que Francine Bergé.