Après Un long, si long après-midi (publié l’année dernière en France à 25.000 exemplaires aux éditions de La Martinière), nous arrive Un destin sauvage, si sauvage. Il a été écrit pendant la pandémie mais il faut considérer que le temps de la traduction ralentit le processus de publication à l’étranger.
La couverture est élégante mais je ne pense pas qu’elle m’aurait attirée en librairie. La silhouette des trois héroïnes ne se distingue pas au premier regard. Et je trouve aussi que la similarité entre les deux titres est un peu réductrice, connotant (à tort) une proximité de thème entre les deux romans. Leur construction est semblable aussi dans leurs versions originales avec The long, long afternoon et This wild, wild country.
Les traductions sont presque fidèles mais j’avoue préférer un monde sauvage à un destin sauvage … Les titres et les couvertures des livres semblent souvent obéir à une logique mystérieuse. On sait d’ailleurs que les auteurs ont rarement leur mot à dire à leur sujet.
Quoiqu’il en soit j’ai beaucoup apprécié l’écriture d’Inga Vesper et il ne fait pas de doute que sa plume va compter. C’est un roman qui est idéal pour la période estivale, qu’on soit en vacances … éloigné des séries télévisées, ou qu’on cherche un « bon gros » bouquin qui nous emporte loin, très loin d’un quotidien que l’on ne peut pas physiquement quitter pour le moment.
Il m’a détourné quelques jours de la rentrée littéraire et j’ai apprécié ce voyage dans le temps et dans une contrée dont je n’ai qu’une vision tronquée, l’ouest américain.
Un peu à l’instar de la narration d’Eliott de Gastines dans Les Confins on découvre l’entrecroisement du destin de deux personnes d’une même famille, en milieu montagnard, mais cette fois qui sont des femmes, et cela à quarante ans d’écart, entre 1934 et 1970. C’est encore l’appât du gain -cette fois la découverte d’un gisement d’or- et la vengeance qui sont les moteurs de l’action sur un fond d’utopie idéaliste.
Ce qui doit arriver, arrive. Cette phrase revient régulièrement et résonne comme une résignation, une fatalité ou une menace.
A mi chemin entre roman policier et historique (car on apprend beaucoup des relations entre indiens et américains et de la législation spécifique aux droits des uns et des autres) ce livre dégage une violence qui devient parfois insoutenable alors qu’on sait que ce n’est pas un documentaire mais un roman.
Ce n’est pas la première fois que le « rêve américain » est égratigné mais Inga Vesper le fait avec une acuité particulière. Sa grande force est de rendre ses personnages extrêmement vivants, nous poussant à les croire réels. On trouve dans ce roman des portraits de femmes qui dérangent, qui souffrent pour conquérir une émancipation qui ne va pas de soi dans une société dominée par les hommes blancs. C’est aussi l’occasion de revenir sur ces années marquée par un mouvement hippie qui a cru à la prise de pouvoir par la bonté humaine et à la paix.
Cet idéal de vie résonne forcément avec l’actualité que le monde connait aujourd’hui. A croire que les souffrances endurées par nos ancêtres ne mettent pas à l’abri les générations suivantes et que rien ne va mieux même si la fin ouverte se veut optimiste.
Inga Vesper est journaliste et écrivaine. Après avoir quitté l’Allemagne pour le Royaume-Uni, elle a travaillé quelques années comme aide-soignante, et on peut penser qu’elle y a développé des compétences fortes en empathie tant elle est animée par une volonté de réparation. Elle vit et travaille aujourd’hui à Glasgow où elle écrit en explorant de nouveaux horizons.
Un destin sauvage si sauvage d’Inga Vesper, traduit de l’anglais par Marc Sigala, La Martinière, en librairie depuis le 2 juin 2023Lu en format numérique de 421 pages