J’apprécie Claire Ceira en tant que poète mais aussi de par sa personnalité ouverte, bienveillante et attentionnée et j’étais très contente de découvrir l’un de ses derniers recueils, « Maisons et arbres », publié en 2022 par Gros Textes.
Note biobibliographique sur la poète
Claire Ceira est née en 1952, elle est médecin et vit actuellement à Toulon.
Elle a longtemps habité Amiens où elle a eu l’occasion d’amitiés, d’échanges et de collaborations avec les poètes, éditeurs qui forment un tissu si riche et vivant en « Grande Picardie ». Elle a publié des textes dans plusieurs revues de poésie et participe actuellement à Toulon à la revue « Teste« . Elle a publié quatre recueils, dont « Voir, regarder – voir » chez Polder/Gros Textes, « le double regard » aux éditions Parole d’auteur, « Lettres de l’absence » en supplément à la revue « L’Enfance » d’Ivar Ch’Vavar et, enfin, « Aquilin » aux éditions des Vanneaux.
(Source : éditeur)
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Mon Avis
Claire Ceira révèle à travers ces poèmes un art consommé de la description. Elle dessine devant nous des paysages, avec un tracé précis et délicat. Ces paysages, souvent, font affleurer une légère étrangeté ou même un peu de mélancolie, bien que la poète reste assez discrète et pudique dans l’évocation des émotions. Mais un ou deux mots suffisent, justement, pour suggérer cette émotion et il s’imprime d’autant mieux dans notre esprit de lecteur que cette poésie est pleine de retenue. Nous nous apercevons que certains thèmes peuvent revenir un peu plus souvent que d’autres : l’ombre et les lumières, le souvenir et le temps qui passe, une certaine nostalgie ou tout du moins un regard tourné parfois vers les choses disparues du passé.
Claire Ceira nous offre de véritables portraits de maisons – portraits révélant l’âme de ceux qui y habitent ou qui y ont habité autrefois – aussi nous avons conscience que ce ne sont pas seulement des pierres qui nous sont décrites mais des lieux de vie, de bonheur, de souci ou de souffrance.
Un poème très poignant est consacré à la mort de son chat et un autre, assez étonnant et intriguant, nous amène à une promenade dans un musée de la chasse, et la poète précise que la mort n’est pas une chose triste – sujets animaliers qui sont excellemment observés et ressentis.
Ce même sens de l’observation et de la nuance se retrouve dans ses portraits d’arbres, chacun ayant sa propre personnalité et évoquant des images et souvenirs variés, dont plusieurs sont liés à la vie humaine, à l’enfance, à l’environnement de ces maisons, à l’entourage de la poète.
Du point de vue de la forme poétique, les vers libres sont assez élaborés par leurs rythmes et leurs dispositions. Le poème Douves est un pantoum non rimé, le poème Le lieu désiré est composé de quatre sizains (strophes de six vers), chaque vers comportant huit mots. Dans certains poèmes on peut trouver des alexandrins isolés ou des décasyllabes. Même si on n’en a pas conscience immédiatement, la plupart de ces poèmes obéissent à une construction particulière, ils ont leur forme spécifique, qui n’est pas due au hasard.
Un recueil que j’ai eu un très grand plaisir à lire et qui témoigne d’une vive sensibilité artistique et, en même temps, d’une composition très maîtrisée.
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J’ai transmis à Claire Ceira le texte ci-dessus avant sa publication sur ce blog et elle m’a répondu un mail très intéressant, qui précise bien sa démarche poétique. Aussi je vous donne à lire un extrait de cette réponse.
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Ce sont des poèmes écrits sur une longue période de temps, que je postais au fur et à mesure sur un des forums que je fréquentais. Ils étaient mêlés à d’autres thèmes mais je les ai rassemblés dans ce recueil. Du coup, ils sont à la fois liés par leur sujet commun et très différents, comme un collier aux perles variées.
Le vrai titre est « Maisons et arbres ». C’est l’éditeur qui a fait une erreur sur la couverture en donnant comme titre : »maison » au singulier, mais souvent le hasard et les erreurs sont intéressants. Là, on imagine une seule et grande maison entourée de ses arbres compagnons.
Bien souvent, j’ai pensé aux maisons et aux arbres que dessinent les enfants au cours des psychothérapies. Dessins qui symbolisent parfois une représentation d’eux-mêmes, de leurs corps, de leur esprit. Ainsi, pas mal de ces poèmes sont sûrement aussi des autoportraits, sans que j’en aie eu conscience sur le moment.
Beaucoup de ces poèmes ont été écrits à partir de photographies, en particulier celui qui a pour titre « Industrielle » écrit à partir d’une photographie de Christian Vogt, (un photographe que je ne connaissais pas du tout, mais dont j’ai trouvé un livre sur le port de Toulon.) Il y a dans ce livre une magnifique série : « railways lines ».
Ecrire à partir de photographies c’est pour moi une forme de méditation sur le temps, et sur l’imaginaire commun.
https://www.christianvogt.com/images/works-2000-2021/railway-lines.html
Enfin j’ai souvent utilisé la technique du vers « arithmonyme », inventée par Ivar Ch’Vavar ; tous les vers ayant le même nombre de mots, ce qui permet une sorte de décalage, d’étrangeté, un effet « d’ailleurs ». C’est le cas du poème sur le musée de la Chasse.
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Claire Ceira
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Page 35
industrielle
on l’a construit
pour servir d’abri à des machines
il est trois heures de l’après-midi,
c’est un dimanche d’hiver.
à huit heures du matin, demain,
les hautes fenêtres carrées
déverseront une lumière
vers laquelle se presseront les gens
qui utilisent ces machines.
le ciel sera d’un bleu sombre
on devinera à peine le rose fané des grands murs
les traînées grises.
les fenêtres plus basses et plus petites seront
d’un jaune différent
pour d’autres machines, ou pour des bureaux
et au ras du trottoir
les fenêtres du sous-sol seront encore éteintes.
certains parmi ceux dont les silhouettes
presque semblables se hâtent
auront vu cette façade 200 fois cette année
– plus ou moins éclairée selon la saison –
et la verront ainsi 200 fois multipliées par 40 ans.
et quand l’usine sera désaffectée
– ce qui ne manquera pas d’arriver –
ils passeront encore
et la regardant avec son vide,
ses vitres trouées, béantes.
ils l’aimeront
comme on revoit son ennemi mort
et qu’on repense à tout
ce qu’il vous a fait vivre.
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Page 46
Sol y sombra
de l’autre côté du lac
le soir s’avance
les vaguelettes là-bas sont plus douces
les pédalos ne bougent pas.
Ici, où nous sommes bien vivants,
chaque caillou s’appuie sur son ombre
ils font comme une petite foule arrêtée
en croissant sur le bord de l’eau
et brillent d’un vernis humide.
J’ai tourné ma chaise de côté
le soleil finit de dorer la page
de ce livre qui raconte une histoire qui me plaît.
des nouvelles, venues de l’autre côté,
il n’y en a plus et c’est normal
puisque l’ombre y a tout changé
en presque nuit.
bientôt je vais fermer le livre et rejoindre la
maison
avec sa porte ouverte,
et la délicate pellicule des vitres
où le couchant peint un tableau brûlant.
la maison est encore au soleil.
dans la nuit elle allumera d’autres lumières,
mais près d’elle
ce lac restera,
partagé d’obscurité.
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