Le 14 juillet est commémoré depuis 1880. Dans les faits, de la IIIe République à nos jours, les maires des communes de France et les Français commémorent deux 14 juillet. La prise de la Bastille et l'insurrection populaire du 14 juillet 1789, ou « l'éveil de la liberté » (Victor Hugo). Mais aussi la première fête de la Fédération, nationale et largement admise, le 14 juillet 1790 : dernière grande manifestation d’unité nationale, sursaut de joie entre les affres de la « Grande Peur » et la période la plus dure de la Révolution.
C'est en effet la loi du 6 juillet 1880, votée par le Sénat et la Chambre des députés, promulguée par le Président de la République, publiée au Journal Officiel de la République le 7 juillet 1880, qui a fait du 14 juillet la fête nationale de la France. Il y a déjà du en même temps dans cette célébration de deux 14 juillet ...
Le 14 juillet 1790, a eu lieu la Fête de la Fédération, sur proposition du maire de Paris de l'époque, Bailly1. Ce fut en effet un rare moment d'unité du pays puisqu'elle se déroula en présence de 14 000 gardes nationaux environ, du roi Louis XVI 2 siégeant sur un trône, du marquis de La Fayette caracolant sur un cheval blanc et de Talleyrand célébrant la messe en plein air.
Le 14 juillet qui est le sujet du livre d'Henri Béraud est celui de l'insurrection de 1789, qui a fait suite au renvoi, le 11 juillet, du Genevois Jacques Necker de son poste de directeur des finances du royaume, auquel il avait été nommé le 25 août 1788 pour restaurer la confiance et éviter la banqueroute, et qui sera rappelé le 16 juillet...
Ce récit, publié en 1929, est dédié à Pierre Brisson, qui sera directeur de publication du Figaro de 1940 à 1958 et qui l'avait poussé à l'écrire. Dans sa dédicace l'auteur précise qu'il s'amuse à recréer les jours lointains, où il aurait voulu vivre: C'est avec tant de foi, un plaisir si passionné que, bien souvent, j'y crois vivre en effet.
Certes il s'agit d'une histoire vraie mais rêvée, une vision, où le lecteur peut retrouver le style épique de l'auteur de la tétralogie de Sabolas en France, qui comprend Le bois du templier pendu, Les lurons de Sabolas, Le ciel de suie et Naufrage.
Ce récit commence le dimanche 12 juillet 1789 et se termine le mardi 14. Comme l'auteur le dit dans sa dédicace, il y fait de la foule insurrectionnelle un personnage innombrable et cependant unique avec pour ambition de montrer des hommes obscurs en proie à la haine, à l'horreur, à la peur, à la cruauté, à l'enthousiasme.
Le résultat est à la hauteur de l'ambition. En le relisant aujourd'hui dans mon exemplaire original, acquis sur les quais de Paris quand j'étais un adolescent d'autrefois (clin d'oeil à un célèbre François), auprès d'un ami bouquiniste juif polonais, je peux le certifier.
Comme l'histoire de ces jours est connue, je me contenterai de citer quelques passages du livre qui me paraissent intemporels:
Aux heures décisives de la vie d'un peuple, la crainte de se tromper cause les plus grands malheurs... page 8
Il fallait s'y attendre: l'émeute, comme la guerre et les naufrages, donne l'essor aux créatures de la fange. Au premier signal, elles apparaissent. page 34
À propos de monuments incendiés: Nul ne songe que c'est l'argent de tous, la seule ressource qui s'en va en fumée. page 38
Ceux qui crient le plus haut ne sont pas ceux qui tiennent le plus à en découdre... page 75
Quand personne ne représente le peuple, le peuple se représente lui-même! page 76
Cette foule soûle de sommeil, de paroles, de boisson et de bruit, que Paris brasse depuis dimanche, ne sait pas encore où elle va. page 113
Qui donc, le premier, l'a poussé ce cri [À la Bastille! ] ? Personne, une voix... Quelle voix? Celle qui, aux heures décisives, s'élève toute seule de la foule effarée et la surprend par ce qu'elle attend. page 132
J'ajouterai que, ce 14 juillet, comme le raconte Béraud, le gouverneur de la Bastille, Jacques de Launay, et le prévôt des marchands de Paris, Jacques de Flesselles, ont été assassinés et leurs têtes placées au bout d'une pique avant d'être promenées dans les rues.
Dans ses Aphorismes, Charles Baudelaire écrit:
Toute révolution a pour corollaire le massacre des innocents...
Francis Richard
1 - Il sera guillotiné le 12 novembre 1796...
2 - Il sera guillotiné le 21 janvier 1793...
Le 14 juillet, Henri Béraud, 252 pages, Hachette (1929)