Journal de Rivesaltes 1941-1942, de Friedel Bohny-Reiter

Publié le 13 juillet 2023 par Francisrichard @francisrichard

Le camp de Rivesaltes (Pyrénées Orientales) se trouve en dehors de la petite ville du même nom, dans une plaine aride balayée par les vents, glaciale en hiver et torride en été.

Michèle Fleury-Seemüller

Dans ce camp, la Suissesse Friedel Bohny-Reiter, 30 ans, infirmière en pédiatrie, qui s'est engagée dans le Secours aux enfants, se retrouve du 12 novembre 1941 jusqu'au 25  novembre 1942.

Elle y tient un journal où elle décrit son quotidien. Elle réside au camp, partage la vie de souffrance des internés, des Juifs, des Espagnols, des Tziganes, des apatrides, et s'occupe des enfants.

Ce journal commence le 11 novembre 1941 à la Maternité d'Elne, au sud de Perpignan (Rivesaltes est au nord), où, joyeusement reçue, elle a apporté habits d'enfants et ... chocolat suisse.

Son travail consiste à distribuer du riz (tout le monde a faim), des habits (tout le monde a froid), à soigner, à faire prendre un bain aux enfants une fois par semaine: l'hygiène manque partout.

C'est la misère, la détresse. Aussi se réjouit-elle d'obtenir que des femmes et des enfants sortent du camp. Mais, parfois, elle est submergée de rage impuissante contre oppressions et tourments.

Sa vie au camp est à la fois faite de compassion et d'une grande joie de pouvoir aider. Elle est ainsi heureuse d'avoir vécu Noël entourée des gens de l'infirmerie, venus de régions nordiques:

Je ne suis pas vaniteuse, pourtant j'ai aimé leur gratitude.

Il lui arrive de sortir du camp. Quand elle y revient, elle a l'impression de rentrer à la maison: on maudit le camp et pourtant on s'est mis à aimer certaines choses, écrit-elle le 10 janvier 1942.

Avec les écoliers, les mères, les femmes malades, elle et ses collègues ont froid, partagent des soucis, ressentent au fond quelque chose comme une communauté de destin. Aussi peut-elle dire:

Rien ne me rend plus heureuse que de sentir leur amour.

Il lui arrive d'être aussi horrifiée par la déchéance spirituelle des internés que par leurs corps amaigris. Le 12 février 1942, elle écrit: Chacun ne voit dans l'autre qu'un rival qui lui vole sa nourriture...

Il lui arrive d'être découragée. Ainsi elle se rend compte le 9 avril 1942 qu'elle et ses collègues ont sauvé des hommes pour qu'ils soient emmenés au travail forcé: Quand tout cela prendra-t-il fin?

Le 2 mai 1942, bien que son coeur soit affaibli par la misère du camp, elle se surprend à pouvoir encore recevoir le monde printanier, merveilleux et ensoleillé et, chrétienne, se fait des reproches:

Je pense aux mois passés au travail, et je reconnais que j'aurais pu faire mieux, que je n'ai pas eu assez confiance en Celui qui nous porte dans sa main; Celui qui toujours répare ce que les hommes détruisent dans leur aveuglement; Celui dont l'Amour règne dans le monde malgré tout; Amour que j'aurais dû propager autour de moi avec plus de force.

Le journal se termine quelques mois plus tard, le 25 novembre 1942. Le 11 l'armée allemande a envahi la zone sud. Le camp vit ses dernières heures. Des internés sont libérés, pas les Juifs:

Jamais je n'ai eu le coeur si gros. Je les vois tous devant moi, debout devant les baraques, attendant les camions. Pas de plaintes, une expression d'obstination et de tristesse sur leur visage.

Francis Richard

Journal de Rivesaltes 1941-1942, de Friedel Bohny-Reiter, 192 pages, Zoé (Édition de 2022, première édition 1993, traduit de l'allemand par Michèle Fleury-Seemüller)