Si vous entendez en vous promenant des AAAAAAHHHH! Et des HAAAANNNN! Semblant venir de l'arrière-cuisine ou de la cuisine d'un établissement, vous êtes le témoin d'une chose rarissime ! Alors n'hésitez pas une seconde: réservez immédiatement une table, vous ne le regretterez pas! La personne qui se cache derrière ces sons est un spécialiste, un pro d'exception qui après de longues années de pratique, d'entraînements rigoureux, a acquis la sûreté du geste, la précision extrême, et la vitesse d'exécution.... Admirable, et français, soyons un peu chauvins! Je vous parle du confectionneur de frites maison. A la base une belle et grosse patate (généralement de variété Bintje) et l'outil indispensable du maître fritier, l'incontournable raquette bien connue de tous. C'est vrai qu'au départ l'apprenti ne maîtrise pas tout et peut parfois être dangereux: un coup mal porté et la patate peut éborgner le chef, ou assommer un serveur, pire blesser un client en giclant dans la salle par le passe-plat, le moindre mal étant un choc violent sur le matériel. C'est d'ailleurs pour éviter au maximum les accidents que les débutants sont installés face à un mur, ce qui peut malgré tout générer quelques problèmes... En cause la vitesse insuffisante car l'idéal pour couper la patate, il faut le savoir , est une vitesse de 10 cm par milliseconde ( ou 100 m/s ce qui correspond à 360 km/h). En dessous, le coup porté est plutôt propulseur et il projette au lieu de couper, d'où les possibles désagréments évoqués un peu plus haut, même s'il peut arriver que la patate ayant commencé à se séparer en frites reste bloquée dans le tamis avec une partie intacte..... En cas de propulsion la patate-projectile peut aussi rebondir et surprendre l'apprenti par un passing shot, ou en cas de reprise de volée par un malheureux coup très lifté elle peut devenir charpie ou purée.... Mais avec beaucoup d'entraînement les passionnés atteignent la bonne vitesse de frappe et, d'un coup porté bien droit, d'un seul, y'a pas photo, la patate est instantanément séparée en frites par la trame du tamis. Mais véritablement c'est un métier! Et un métier pas facile que celui de fritier, ces pros exceptionnels en remontreraient aux champions sportifs malgré des balles annoncées à 220 km/h et plus pour ces derniers... Du pipi de chat à côté des experts culinaires qui vont bien au delà tant leur geste est parfait. Il va de soi que le tamis est adapté à cet usage particulier, donc il est en fil métallique très fin, très tendu, et bien entendu très solide. Le Graal qui a fait rêver et fait encore rêver ces pros de la frite est de dépasser le mur du son ce qui implique la vitesse de 33 cm par milliseconde. Il faut alors des lanceurs de patates en plus du fritier car aucune patate ne mesurant 33 cm de long, plusieurs patates sont nécessaires donc plusieurs lanceurs coordonnés sachant positionner pile poil les patates les unes derrière les autres lorsque le fritier frappe..... Rêver c'est bien mais personne n'a encore réalisé l'exploit, le meilleur "score" si je puis dire se situant un peu au-dessus des 20 cm/milliseconde ce qui n'est pas si mal ! Mais le métier de fritier est en voie de disparition et je pense qu'il faut faire une croix sur le mur du son. Chez les patrons, l'appât du gain ( les maîtres fritiers sont rémunérés à la hauteur de leurs compétences c'est à dire très bien, encore mieux pour les M.O.F.) a fini par avoir raison des traditions et c'est pourquoi de nombreux restaurants ont licencié leur chef fritier ou ne l'ont pas remplacé après le départ en retraite, et ne proposent plus à la clientèle les véritables frites maison. On peut financièrement le comprendre mais quel dommage... Ainsi va le progrès, le recours à la facilité fait disparaître les métiers d'artisans compétents, et perfectionnistes. Un grand regret en ce qui me concerne: que les patrons n'aient pas cherché à éviter cette dérive... Ils auraient pu, par exemple, offrir à la clientèle le spectacle des fritiers en plein action, bien entendu avec une protection en vitrage blindé au cas où... Mais non, personne ne l'a fait ni ne l'a voulu! Ainsi va la vie ! Malgré tout la profession montre qu'elle n'oublie pas son passé prestigieux et c'est avec une petite pointe de nostalgie, sans doute, qu' elle parle toujours de "Faire le service".