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« A Petros, crise grecque » d’Anne Barbusse (poésie)

Par Etcetera
« A Petros, crise grecque » d’Anne Barbusse (poésie)

En juin 2023, la poète Anne Barbusse a fait paraître le recueil « A Petros, crise grecque« , chez l’éditeur Bruno Guattari. Très admirative de sa poésie, depuis déjà plusieurs années, j’ai découvert ce nouveau livre avec une grande émotion.

Quatrième de Couverture

« C’est une histoire grecque et française, cinématographique et internationale, plurilingue et catastrophique, antique et contemporaine, où s’entrelacent crise amoureuse et crise économique.
Avec ce recueil au ton résolument actuel, Anne Barbusse nous donne à lire un texte poétique, riche et dense, mais hors normes, tant par la forme, qui ne s’interdit pas le récit – agencé comme une (petite) tragédie – que par le brassage de styles (entre tonalités lyrique et épique), faisant alterner des rythmes d’écriture amples ou saccadés. Un texte romantique dans un monde capitaliste. » A.B.

Mon Avis

Ce livre est à la fois un recueil poétique et le récit d’une histoire d’amour dramatique, découpé en cinq actes comme une tragédie. Des références ponctuelles à la mythologie antique (L’Odyssée, L’Enéide, mythe d’Icare, Didon) côtoient d’autres références plus modernes – cinématographiques (Rashomon de Kurosawa, Lost in translation de Sofia Coppola, Xavier Dolan, Jean-Luc Godard et Anna Karina, Woody Allen, parmi tant d’autres) mais aussi musicales (Nat King Cole, The End des Doors, Jessye Norman, etc.) formant un arrière plan culturel très riche, en illustration de l’histoire d’amour qui nous est contée.
Cette liaison amoureuse semble commencer de la plus belle des façons – une rencontre en Grèce, la beauté des paysages, les moments partagés – puis, bientôt, la passion de la femme se heurte à la peur de l’homme, les disputes et les incompréhensions se succèdent, mensonges et dérobades masculines, la poète souffre de l’absence de l’être aimé, tombe malade, est hospitalisée, puis elle reprend goût à l’existence, fait d’autres rencontres.
Anne Barbusse sait exprimer la violence du sentiment amoureux, le vide et le froid de la séparation, la difficulté du deuil affectif, d’une manière très bouleversante et le rythme de ses vers libres nous embarque dans un flux émotionnel irrépressible. Le retour lancinant de certains mots (corps, désir, amoureuse, femme, féminin, peur, absence, vide,…) matérialise les formes de sa douleur et nous montre la poète enfermée en son désespoir, cherchant des issues, des apaisements.
Certains phénomènes naturels (le vent, la brume, la neige, la fontaine gelée, la période de floraison des arbres) fournissent de fascinantes images et métaphores, qui s’entremêlent étroitement aux sentiments et aux états d’âme de l’amoureuse, nous suggérant l’idée d’une grande fusion entre elle et la nature, entre elle et les saisons. On sent la poète animée d’une énorme énergie vitale et cette fougue, ce souffle traversent chacun de ses textes.
Vous l’aurez compris : j’ai trouvé « A Petros, crise grecque » absolument magnifique !

**

Un Extrait Pages 106-107
Didon erre d’autels en autels

La brume est mon histoire
la brume explore la faillibilité de la vue
pourtant le ciel ne se suicide jamais

dans la blancheur informe qui enveloppe la permanence triste du village je
reconnais la solitude non parlée
j’ai des amis qui disent la vie du fond de l’obscurité et prépare à manger sans remord
j’ai ma violence qui frappe le réel à coups de poing
et la brume est une femme indifférente et sourde
elle se déploie avec le risque du néant et engloutit la vérité du jardin
je palpe sa couleur perdue et je
façonne à l’horizon de l’hiver un amant habillé
d’ incertitude
je compte les jours de la gloire inversée
je me coule dans votre temps de brutes fidèles qui vaquez à l’existence évidente
mais je suis loin de mon propre corps éparpillé d’altérité
je suis une amoureuse qui est entrée dans le territoire de l’autre avec la brume
je ferme la matinée dans la solitude ambiguë qui écrit l’absence et la réalise de source pure
je ne participe que de la brume épaisse et mouillée je me coule

dans l’ enveloppe du monde immobile – la terre attend –
sans la lumière les arbres sont des morts en sursis et j’ai acquis la ténuité des bourgeons

tu es quelque part

les vacances du capitalisme sont le paradis des religions –
ils y croient ils
travaillent ils y vont parce qu’on leur a dit qu’après ils auront les vacances
un peu de mensonge mais beaucoup d’attente – vous êtes malheureux maintenant mais vous serez heureux cet été/au paradis – ils achètent le produit vacances et ensuite ils reviennent au travail car on leur a dit qu’il n’y avait pas d’autre possibilité vivable –

tu es quelque part

je te rejoins d’écriture et d’espoir
je te pare de l’imagination vive et je me souviens d’un rêve écourté dans l’après-Noël
tu es au-delà de la brume
je te trouverai dans ma patience explosée
je prendrai un avion pour un seul baiser et la brume
soulagera le monde de l’obligation d’exister quand les jours sont tombés
la brume sera la forme vide de la volonté étoilée
la brume sera le dessin du temps visible
elle éclaboussera mes désirs de reine souffrante – Didon erre d’autels en autels – elle
sera la fille illégitime du silence
elle sera métamorphose des espaces effacés elle sera
l’informe triomphant
elle offrira le crépuscule à la maison pour qu’y brille la dernière écriture
elle sera l’objectivité de ma douleur

tu es quelque part

(…) 


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