On évoquait le contexte socio-musical en France ; il serait juste de préciser que la musique de Tanger faite de longues suites psychédéliques louvoyant vers un jazz façon Magma ou un prog à la Alice dans le plus pur esprit aventureux des années BYG, n'a de toute façon jamais fait florès au pays du fromage qui pue. C'est donc à la fois à un cauchemar pour maison de disques et à un bonheur pour rock-critics auquel Tanger nous conviait à ses débuts. Sertie d'une pochette sublime qui fait la part belle à la plastique féminine inspirée de Matisse, Tanger reconduira le procédé avec La Mémoire Insoluble double et un poil moins réussi en 1998. Et il est à noter que quand désireux de mettre de l'eau dans son vin il délaissera à la fois ces visuels et son option musicale, le groupe perdra son âme et deviendra bien moins captivant.Assez curieusement ce premier 6 titres qui compte autant de titres étirés et dure près de 38 minutes est souvent relégué au rang de mini-album et La Mémoire...comme le premier long format du groupe ; ce qui est en soi une absurdité au vu de sa durée.
Tanger commence comme une longue suite tribale ("Tanjah, mouvement premier"), une transe à grands renfort d'orgue Hammond, de percus et cris montant crescendo, qui revient en face B sous forme de "Mouvement troisième" ; les deuxième et quatrième mouvements étant réservés à l'album suivant. On est bien là dans le parti-pris musical de la France d'un Gong voire de son cousin britannique de The Soft Machine; courant musical oblige.
Bien sûr, les influences gainsbourgiennes dans les textes sont légion ("Ma petite Manga n'est pas niaise / Elle baise" "D'Ebony je garde l'air débonnaire / des grands jours de plein air") ajoutées à la teneur instrumentale luxuriante ne seront pas un atout pour Philippe Pigeard et ses hommes. Les réduisant au rangs de poseurs décalés ; ce qu'ils étaient sans doute de toute façon. Le même constat que celui émis sans ironie, dans "L'immodeste attitude" ; sans doute l'un des meilleurs titres de Tanger. La vérité était sans doute autre : Philippe Pigeard est un homme lettré qui aime la belle ouvrage et sa musique pour belle et référencée qu'elle fut n'était pas vendeuse.
Tanger a eu au moins le mérite de perdu pour perdu, vivre son truc à fond et de pouvoir compter sur un public fidèle même si et on s'en félicite, les Victoires de la musique n'étaient assurément pas pour eux. Par la suite et toujours soutenus par la critique à qui ces disques s'adressaient avant tout, Tanger devait perdre considérablement de sa magie avec Le Détroit (1999), L'Amourfol ((2002) malgré de bons titres essaimés ici ou là mais qui déjà s'ouvraient sur autre chose. Avant que de sombrer tout à fait avec son dernier LP IL Est Toujours 20 Heures Dans Le Monde Moderne.
Depuis, plus guère de nouvelles. Il n'y aura vraisemblablement plus de nouveau Tanger ; le drame personnel subi par Philippe Pigeard n'étant sans doute que la goutte d'eau consécutive à l'insuccès du groupe.
En bref : le genre de disque culte et étranger à son époque que redécouvriront les générations futures défricheuses d'incunables raretés progressives françaises.