Dans la revue Catastrophes3, je lis quelques pages d’Éric Pessan dont je ne cite ici que le début de la première :
Je voudrais choisir mes sujets d’inquiétude.
J’aimerais que l’on foute la paix à mes inquiétudes, que l’on cesse de me les voler pour me les revendre dans un emballage clinquant, pour me les faire payer au prix du neuf afin que je vote, que je consomme, que j’obéisse.
Je voudrais avoir le choix.
Je voudrais m’inquiéter du sort de cet oiseau que j’avais trouvé, enfant, au bord d’une route, l’aile cassée, mimant l’immobilité une fois recroquevillé dans mes mains alors que son coeur trahissait sa terreur et sa douleur, cet oiseau si fragile sous mes doigts, si fort dans sa vie, que j’avais déposé sur un haut rebord de fenêtre, hors de portée — je l’espérais — des chats, et que j’avais nourri plusieurs jours de pain et d’eau jusqu’à ce qu’un matin je découvre sa disparition ; je voudrais m’inquiéter de savoir s’il a survécu cet oiseau blessé dont je n’ai jamais su s’il était un étourneau ou une alouette, plutôt que de m’inquiéter de la disparition massive des oiseaux en Europe et dans le monde.
(…)
En réfléchissant bien, je m’inquiète tellement de l’accroissement des inégalités et de la terrible violence d’une société où le seul critère de réussite est économique que je ne parviens plus à m’inquiéter de la disparition des coquelicots dans mon jardin.
(…)