La scénariste-réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania a présenté son dernier long métrage documentaire « Les filles d'Olfa » une ses sensations des films présentés dans la compétition officielle de la 76ème édition du Festival de Cannes .
« Les filles d'Olfa », cinquième long-métrage de Kaouther Ben Hania, est sorti en salles, hier, le 5 juillet 2023 (voir notre chronique ici même ).
La réalisatrice documentariste mêle des témoignages d'Olfa, la mère, avec son alter ego incarné par l'actrice Hend Sabri, la présence des deux sœurs cadettes restées en Tunisie avec des actrices qui jouent leurs grandes sœurs emprisonnées.
Présente sur Lyon il y a deux semaines, Kaouther Ben Hania a pris le temps de répondre à nos questions.
Quelle est l'origine de « Les Filles d'Olfa » ?
Kaouther Ben Hania
En 2016, l'affaire a été très médiatisée en Tunisie. Olfa a accordé des interviews à la télévision, dans les journaux. Elle m'a fascinée.
Une question m'interpellait : pourquoi ces jeunes filles avaient-elles pris le chemin de Daesh ? L'envie de faire un film est née ainsi. Il faut dire que cette vision journalistique ne m’apportait pas de réponses satisfaisantes car les journalistes restaient trop à la surface des choses .
Et je sentais qu’au-delà du fait divers, de la tragédie, il y avait des thèmes qui me passionnent : la transmission, l’éducation, la maternité, l’adolescence. Des thèmes universels. Je voulais creuser en amont de cette tragédie pour comprendre.
Je demande à rencontrer Olfa, ce qu'elle accepte rapidement bien qu'elle semblait un peu lassée de raconter son histoire et personnellement je suis tout de suite interpellée par sa manière de parler et par toutes les contradictions qui émanent d’elle.
Peut-on parler à propos de votre film de documentaire ou de docu-fiction ?
K.B.H . Pour moi, il s'agit d'un documentaire. Il est vrai que j'apporte des outils de fiction. Par exemple, les comédiens jouent leur rôle de comédiens.
À toutes les situations, ils réagissent en tant que comédiens. Les questions qu'ils posent aux sœurs cadettes qui n'ont pas quitté la Tunisie, sont des questions de comédiens.
Je n’aime pas le terme “docufiction” : cela fait référence à une forme très précise de film que je pense avoir détourné Je n’ai pas choisi cette forme de la reconstitution pour rendre l’histoire plus soutenable, car cet élément existe déjà dans les personnages : elles racontent des choses horribles mais avec le sourire ou de l’autodérision.
Pour Olfa, il s'agit avant tout d'une affaire personnelle et c'est pour cette raison qu'elle a voulu passer beaucoup de temps avec l'actrice Hend Sabri pour lui faire part de ce qu' elle a vraiment vécu et ressenti quand ses deux filles sont parties.
Et du coup cete forme hybride que le film prend s'est imposé à vous
K.B.H : Oui, disons que les questions que me posait m'ont producteur quand je lui disais que je butais sur la forme du film m’ont aidée à trouver comment reconvoquer le passé dans cette histoire et parvenir à ce que je désirais faire : réfléchir à la notion de souvenir.
Comme il s’agit d’une histoire kaléidoscopique à plusieurs facettes, où l’histoire de cette famille épouse celle de la Tunisie de ces vingt dernières années, il me fallait une sorte de mise en abyme formelle afin de traduire cette complexité, de la simplifier pour le spectateur sans pour autant la banaliser.
Vous montrez aussi mine de rien que la révolution du printemps arabe n'a pas eu que de bons cotés, on a notamment l'impression que la Révolution a encouragé le port du voile en Tunisie …
K.B.H. La dictature que nous avons subie a cantonné les femmes à un modèle très précis.
Il ne fallait pas porter le voile. C'était interdit. Après la Révolution, l'inverse s'est produit.
Ah, le voile était interdit, on va le rendre obligatoire ! Les révolutions ne créent pas du jour au lendemain d'excellentes choses. Il faut du temps.
En ce moment en Tunisie, on est dans un clair-obscur mais cela me semble assez logique.
Pour moi je n'ai vraiment pas cherché à critiquer la révolution arabe dans le film juste nuancer les impacts positifs et moins positifs de ce grand bouleversement sociétal.
Mine de rien vous faites quand même un film résolument politique, non?
K.B.H. :Oui bien sur, mais vous savez, pour moi, raconter une histoire, c'est politique. Quand on a connu une dictature, on développe une conscience politique aiguisée.
L'oppression que l'on subit fait enrager. Faire du cinéma, ce n'est pas une mince affaire.
Je ne le considère pas comme un hobby. Je le prends très au sérieux.
Pourquoi avoir choisi un seul acteur, Majd Mastoura, pour jouer tous les hommes de leur vie ?
K.B.H. Je voulais focaliser l’histoire sur Olfa et ses filles. Et j’avais l’impression que les hommes dans leurs vies avaient une nature interchangeable. J’ai donc opté pour ce choix qui simplifiait les choses.
Car au fond, toutes ces figures masculines se ressemblent.
Je voulais aussi vraiment me concentrer sur Olfa et ses filles, et éviter de multiplier les comédiens et les rencontres que cela allait engendrer.
Que retenez vous de cette expérience par rapport à vos films précédents?
K.B.H. Je dirais une grande liberté et une sorte de lacher prise.
Habituellement, j’aime tout contrôler.
Mais ce que j’apprécie dans un projet comme Les Filles d’Olfa, c’est à l’inverse que les choses m’échappent. Pouvoir être à chaque instant surprise dans le feu de l’action.
Je pensais ainsi tout savoir de la vie d’Olfa et de ses filles après ces mois passés à échanger avec elles. Mais très vite, je me suis rendu compte que ce n’était pas le cas.
Parfois, il leur arrivait de me faire de nouvelles révélations au cours d’un déjeuner, par exemple. Dans ce cas, je leur demandais de le raconter à nouveau devant la caméra.
Avec tout ce qu'elles m'ont racontée et que j'ai filmé j'avais de quoi faire une série !
Merci à Jour 2 fête et au cinéma le Comoedia de Lyon