Les exemples d'écrivains s'étant lancés dans la musique et a fortiori à avoir transformé l'essai ne sont pas légion. On pense bien évidemment en premier lieu au formidable essai de Jack-Alain Léger alias Dashiell Hedayat et son Obsolète de 1971. L'histoire n'est jamais gagnée d'avance.Lorsque Bertrand Burgalat s'entiche du très en vogue Michel Houellebecq, celui-ci a déjà deux romans sous le coude, les formidablement désabusés et nihilistes Extension du Domaine de La Lutte (1994) et Les Particules Elémentaires (1998) mais aussi 3 recueils de poèmes, Rester Vivant (1991) Le Sens du Combat (1996) et Renaissance (1999) qui tous trois serviront de matrice à Présence Humaine.
"Nous marchons dans la ville / Nous croisons des regards / Et ceci définit / Notre présence humaine."Burgalat a-t-il un tiroir rempli de mélodies qu'il n'a pour l'heure encore utilisées ? Houellebecq se pique-t-il d'interpréter ses textes mis en musique ? Il n'en faut pas plus pour que la connivence entre les deux hommes devienne une collaboration artistique. Aussi Bertrand Burgalat en bon directeur musical convoque-t-il le guitariste Peter Von Poehl échappé de AS Dragon, groupe de l'écurie maison Tricatel, débauche-t-il quelques membres de Eiffel pour accompagner Houellebecq. A ce sujet, on peut être rétif à l'art du groupe de Romain Humeau mais force est de reconnaître qu'il effectue un travail remarquable sur ce disque.Les thèmes tels qu'on peut se les représenter et se les représentera très vite de la part de Houellebecq sont le cynisme, l'absurde, le cul (on y revient) avec "Playa blanca" ode aux lieux échangistes, l'oisiveté.
L'habillage sonore est celui d'une lounge louchant sur les productions gainsbourgiennes et ses basses medium jouées au mediator près du chevalet, claviers analogiques divers et variés; wah wah parcimonieuse (le fabuleux "Paris-Dourdan"). On entend à l'occasion comme sur ce dernier morceau ou sur un "Les pics de pollution" groovy à souhait l'homme fort de Tricatel entonner des "ta/da/ta ...ta/da/da ta" de bon aloi. "Playa blanca" c'est la rencontre de Philippe Sarde et Vladimir Cosma : bref les références et l'érudition musicales sont là qui loin de phagocyter et absorber l'ensemble reposent sur une production contagieuse. Alors même que les morceaux sont exécutés sur un tempo assez lent à l'image du très langoureux "Plein été" et délivrés à bouche chuintée par un Houellebecq impavide. "Célibataires", ses boucles électroniques et son synthé de jeu video Sierra font dresser les poils.
L'album sans doute estampillé trop intello est un four dans les bacs mais récolte un vrai succès auprès de la critique. C'est l'équilibre miraculeux entre deux aimants interdépendants se repoussant pour mieux se rejoindre. Si le très beau verbe de Houellebecq peut légitimement s'apprécier en lecture, ses effets sont d'autant plus roboratifs dans l'écrin musical de Bertrand Burgalat. De la même façon que les splendides compos du maître sont transfigurées par le détachement las annoné par l'écrivain.L'aventure entre les deux hommes devait en rester là car après une belle tournée des plages et des festivals notre homme Houellebecq très vitre rattrapé par ses démons se pique d'être une rock star en usant de tous les bons clichés d'usage : arrivée en retard ou pas d'arrivée du tout lors que le groupe est déjà installé et prêt à jouer. Priapisme certain et luxure, Houellebecq déjà accompagné de sa femme à l'humeur aussi partouzarde que lui, veut des femmes, a toujours plus d'exigences.
Le patron de Tricatel rendu fou par les lubies de sa "rock star" - il le raconte très bien dans l'excellent Tricatel Universalis de 2018 - arrête là les frais.
Par la suite, l'écrivain toujours plus controversé et de plus en plus décrépit, ne retrouvera plus pareille opportunité, usant de partenaires musicaux un tantinet moins chevronnés.Présence Humaine a été édité en vinyle pour la première fois en 2021 mais sous une pochette monochrome affreuse telle que l'avait souhaitée Houellebecq. Reste la musique inusable de cet OVNI auquel on continuera de s'abreuver.En bref : l'oeuvre unique d'un écrivain avant que le cynisme ne l'emporte sur son talent. Et une association musicale aussi inédite que réussie avec l'un des meilleurs compositeurs d'ici.