Crédit : "France Télévision - La 5"
Le teasing de France Télévision nous annonçait :
"Que cache le label "Haute valeur environnementale", encadré par les ministères de l'Agriculture et de l'Ecologie ? Protège-t-il vraiment les insectes ? Pourquoi fleurit-il dans les rayons des supermarchés, alors qu'en ce moment, les ventes de bio s'effondrent ? Hugo Clément a remonté les filières et découvert des modes de production surréalistes, bien loin de l'image bucolique de son logo. Ainsi, les insecticides qui tuent les papillons sont autorisés. En Loire-Atlantique, des serres de production de tomates hors-sol, labellisées HVE, sont chauffées au gaz et éclairées la nuit, en plein hiver."
Comme bien trop souvent le pitch indique quelles sont les intentions de départ et, donc, ce que l'on va nous dire. Voire nous assener.
A la lecture de ce qui précède il m'a semblé clairement annoncé que ce nouveau documentaire serait à charge, très affirmatif et qu'il y serait largement question de lépidoptères.
Tout autant de raisons pour lesquelles il valait mieux que j'évite de m'en approcher de trop près car sinon j'allais me faire du mal avec une nouvelle production se prétendant documentaire mais étant, de fait, documenteur.
Il y a eu des précédents fâcheux.
Par exemple la désopilante série "Punkovino" d'Arte, ou bien un exemplaire numéro de "Spécial invetigation", voire même ce concentré d'hydrophilie.
Mais je suis faible, alors j'ai regardé. On pourra m'imiter en suivant ce chemin (qui mène à une vallée de larmes).
Que dire et, surtout, qu'en dire ?
Avant toute chose signaler que je ne suis pas un génie universel. C'est d'ailleurs mon principal point de différenciation avec Kim Jon-Un et les journalistes spécialisés dans les documentaires.
Je ne commenterai donc que la partie sur laquelle j'ai un minimum de savoirs : celle qui concerne la vigne et le vin.
Ca tombe bien, le truc commence par une séquence viticole !
Accompagné d'un membre de l'association Générations Futures, notre journaliste s'aventure en zone dangereuse : à proximité immédiate d'une exploitation agricole HVE.
De quoi s'agit-il ?
D'y poser des capteurs de pesticides se trouvant dans l'air de la parcelle viticole ciblée.
Crédit : "France Télévision - La 5"
La date n'est pas précisée, mais on peut raisonnablement penser que l'on est en hiver puisqu'il n'y a pas l'ombre du début d'un commencement de végétation sur les ceps, qui ont été taillés.
Nous apprenons que les capteurs vont rester en place pendant deux mois et qu'ensuite les enquêteurs viendront aux résultats (dont on pressent confusément qu'ils seront inquiétants).
Donc, fatalement, deux mois plus tard ils viennent aux résultats. Forcément dans la parcelle, dont les ceps sont toujours totalement dépourvus de la moindre pousse un tant soit peu verte : on ne voit ni feuille, ni fleur et encore moins de fruit.
Ca ne bouge pas beaucoup, en deux mois, une vigne ...
Crédit : "France Télévision - La 5"
Notons qu'il est très courageux de revenir dans cette parcelle car, c'est fatal, les résultats sont inquiétants :
Crédit : "France Télévision - La 5"
Il y a en effet tout un tas de trucs aux noms extrêmement anxiogènes dont on ne nous dit malheureusement pas ce qu'ils sont, ni à quoi ils servent et encore moins ce que représentent les valeurs indiquées.
Tout au plus voit-on que la valeur du folpel est à un haut niveau, comparée aux autres. A ce stade contentons nous d'observer que c'est un antifongique utilisé en particulier contre le mildiou de la vigne.
Il y a aussi présence de lambda-cyhalothrine dont nous apprenons que c'est un insecticide qui tape en particulier sur les papillons. Au vu du logo HVE (qui comporte un papillon) il est décidé de faire un focus sur cette molécule, ce qui donne un échange surréaliste :
Le journaliste :
- Alors qu'est-ce que vous avez trouvé dans ces analyses ?Le membre de Générations Futures:
- On a trouvé pas mal de choses, notamment un insecticide.
Le journaliste :
- Un insecticide ? pour tuer les insectes ? dans un champ haute valeur environnementale ?
La voix off :
.../...
Impossible de savoir précisément qui l'a répandu.
Ce qu'on sait, c'est que cet insecticide sert à détruire plusieurs espèces, et entre autres un papillon : la tordeuse de la grappe, qui attaque les raisins. C'est donc un produit qui tue les oeufs et les larves de papillons.
Le journaliste :
- Mais c'est pas légal çà !
Le représentant de Générations Futures :
- Malheureusement si, c'est tout à fait autorisé.
C'est pour çà que chez Générations Futures on trouve que c'est un label trompeur.
Y a du boulot ...
1.
Nos amis sont dans les vignes en plein hiver tant lorsqu'ils posent les capteurs que lorsqu'ils vont aux résultats, soit disant deux mois plus tard.
Or les analyses sont datées de Juin 2022.
Les données obtenues ne peuvent donc en aucun cas provenir de la pose des ces capteurs là, dans cette parcelle là, à ce moment là.
C'est assez délicieux quand c'est fait par celui qui se plaint d'un "label trompeur".
2.
La voix off évoque ce pesticide en disant : "Impossible de savoir précisément qui l'a répandu".
Mais nos deux compères n'ont pas ces complaisances coupables : le responsable, c'est forcément le lépidoptériste certifié HVE.
3.
Parce que le label HVE a un papillon sur son logo les vignerons revendiquant ce label devraient donc s'interdire toute lutte contre l'ensemble des lépidoptères quels qu'ils soient et quoi qu'ils fassent ? faute de quoi ils seraient coupables de tromperie du consommateur ?
Sérieusement ...
4.
Les viticulteurs HVE seraient donc les seuls à tuer les insectes en général et les papillons en particulier ?
De quoi s'agit-il ?
Autrement dit : documentons le documenteur.
Le ver de la grappe est un réel problème, malheureusement très répandu, pour les viticulteurs qui, en conséquence, luttent de façon préventive contre les ravages qu'il est susceptible de causer.
Oui, oui : les viticulteurs.
Même les bio.
Ils doivent intervenir précocément, de préférence sur les pontes ou sur les
très jeunes larves au moyen, pour les bio, de la confusion sexuelle ou du Bacillus thurengiensis ... des méthodes qui bien qu'intéressantes ne permettant pas toujours de maîtriser le problème.
Exemple : la confusion sexuelle - qui n'est pas réservée aux seuls bio - n'est raisonnablement envisageable que si elle est mise en oeuvre sur de grandes surfaces.
Bien que l'on agisse sur les papillons ou les jeunes larves, ce sont les chenilles qui causent les dégâts en s'attaquant d'abord aux boutons floraux ou aux fleurs puis, plus tard (à partir de la mi Juin), aux baies.
On comprendra donc bien qu'il n'y a aucune raison de traiter - que ce soit contre le ver de la grappe ou contre le mildiou (cf. la présence de folpel) - au moment où nos deux acteurs jouent leur saynète qui est donc la mise en scène d'une absurdité agronomique.
Mais on s'en fout : l'essentiel est qu'ils ont un document anxiogène à la main et sont dans une vigne au bord de laquelle il y a un panneau HVE.
Sur lequel un papillon est dessiné.
Je reviens au ver de la grappe pour indiquer ce qu'il cause :
- directement : une perte quantitative de récolte,
- indirectement : une perte quantitative et qualitative consécutive à l’installation et au développement de Botrytis cinerea (la pourriture grise), dans les blessures causées à la baie de raisin,
- indirectement encore : une perte majeure de qualité par apparition de pourriture acide causée par la venue de drosophiles sur les points d'entrée des vers dans la baie.
On notera, pour mémoire, que d'autres papillons que celui responsable du "ver de la grappe" s'attaquent aussi à la vigne :
Sparganothis pilleriana (la pyrale de la vigne), Argyrotænia pulchellana (la petite tordeuse de la grappe), ...
Donc oui : les vignerons, quels que soient les labels qu'ils revendiquent - ou pas - luttent contre certains papillons afin de protéger tant la quantité que la qualité de leur récolte.
Et en lisant "papillon" on évitera de penser à ces jolies petites choses qu'ils peuvent être quand ils s'appelent Aglais io ou Greta oto !
NB :
- En milieu viticole la lutte s'appréhende aussi à l'aide de techniques agronomiques (effeuillage pour favoriser l'ensoleillement des grappes), avec l'aide d’auxiliaires naturellement présents tels que chauve-souris ou oiseaux insectivores dont on fera en sorte de favoriser l'installation à proximité de la zone à protéger.
- Fort heureusement, la commission de déontologie notera que les vignerons bio n'ayant pas de papillon sur leur logo ils peuvent sans aucun problème lutter contre les papillons.
Nous sommes rassurés.
(par contre leurs feuilles doivent être vertes, sinon il y a tromperie. Va falloir sérieusement s'attaquer au mildiou, les gars ...)
Ainsi que je l'annonçais au début de ce billet je zappe la partie qui suit car elle est sans rapport avec mon domaine de compétence.
Notons que je ne suis pas totalement convaincu qu'elle ait un quelconque rapport avec le domaine de compétence de l'animateur de cette émission de divertissement populaire.
Je passe donc directement à la nouvelle partie viticole (à partir de 00:51:45) ... et le fais avec d'autant plus d'intérêt que l'on nous annonce d'emblée que plus de la moitié des agriculteurs certifiés HVE sont des viticulteurs.
Nous sommes, encore une fois, dans la confusion des genres. Car : "Elisa se bat pour qu'il n'y ait plus d'épandage de pesticide de synthèse proche des habitations".
Que nous dit-on, en substance :
- que la chimie de synthèse c'est Le Mal. Forcément toxique.
- que La Nature c'est le bien.
- qu'un agriculteur qui traite répand inévitablement des produits dangereux pour l'Homme, pour la Nature, pour la planète.
Rappelons que nombre de produits, je pense en particulier à la bouillie bordelaise, sont autorisés en bio mais très largement utilisés par l'ensemble de la profession.
Avec ou sans certification Bio.
Dès lors quid d'un vigneron qui traite ses vignes à la bouillie bordelaise alors qu'il est HVE ? faut-il le considérer différemment d'un vigneron bio qui traite ses vignes avec le même produit ? (car oui : les vignerons bio traitent leurs vignes).
Comme je suis joueur, je tiens à préciser que la bouillie bordelaise est obtenue par action de l'acide sulfurique sur le cuivre, suivie d'une neutralisation à la chaux éteinte.
Mais il parait que ce n'est pas un produit de synthèse.
On n'évoquera pas, ici, les effets de l'accumulation de cuivre dans les sols viticoles : c'est un sujet largement débattu.
A ce stade on nous ressort les vieux dossiers :
"Pour prouver qu'il peut y avoir des résidus de pesticides dans les vins HVE, une association du bordelais a fait le test. Des militants ont acheté 22 bouteilles HVE et les ont envoyées à un laboratoire qui a découvert des traces de 23 fongicides différents, mais aussi d'un herbicide et de plusieurs insecticides dont un néocotinoide. Le tueur d'abeilles. Pourtant interdit dans les vignes"
Je ne reviens pas sur cette triste farce : je l'évoquais dans un précédent billet que l'on pourra lire en suivant ce lien.
Puis vient une vigneronne bordelaise certifiée HVE3 qui nous confesse, à propos d'un produit qu'elle a en stock :
"Alors çà c'est un CMR2. Il y a une suspicion de produit cancérigène. Bon, si y a suspicion euh ... c'est qu'ils le sont, à mon avis."
On a connu analyse toxicologique plus pointue, mais peut-être moins facile à intégrer à cet épisode de "Sur le front".
Je fais un rapide retour aux fondamentaux : ne prenons "que" les cancérogènes de la catégorie 2, ceux qui sont des "Substances suspectées d'être cancérogènes pour l'homme".
Ce qui, de l'avis de notre témoin, veut dire qu'ils le sont, cancérogènes.
Entre autres substances aux noms évocateurs de souffrances infinies : trans-[(diméthylamino)méthylimino]-2 [(nitro-5 furyl-2)-2 vinyl]-5 oxadiazole-1,3,4
ou bien encore 1-[(5-Nitrofurfurylidène)amino]imidazolidin-2-one, on trouve les légumes au vinaigre ou lacto fermentés ainsi que les poudres corporelles à base de talc (en application périnéale).
Autant dire que les enjeux de sécurité publique sont énormes quand on sait que tout celà est supposé avoir un niveau de dangerosité identique.
N'oublions pas qu'en vertu du même classement l'alcool des boissons alcoolisées et les charcuteries sont eux, au même titre que le rayonnement solaire ou certains oestrogènes, des cancérogènes avérés.
Bon, que dire pour conclure ?
Probablement rien de plus que ce que j'écrivais dans "En Magnum #4", il y a déjà 7 ans :
"Il ne s'agit pas ici de faire un plaidoyer en faveur des pesticides de la classe CMR, mais simplement de regretter qu'une fois encore on juge d'un fait non au travers de ce qu'il est, mais par le prisme de ce que certains prétendent qu'il est ou pourrait être.
Pourtant, si l'on prend son parti de l'axiome, pour ne pas dire du dogme, de départ : " que du naturel, pas de synthèse", le bio me semble reposer sur une démarche compréhensible, argumentée et, pour tout dire, techniquement et scientifiquement fondée"
Infiniment plus fondée que les déclarations ronflantes de certains défenseurs autoproclamés du bio qui n'oublient pas de se mettre soigneusement en scène, en hiver, dans des vignes qui n'en demandaient pas tant.