Stève-Wilifrid Mounguengui est un poète gabonais basé en région parisienne. Il a fait des études en philosophie et il est l'auteur de trois recueils de poésie. Quand on aborde un récit, il est bon de savoir d'où l'auteur écrit.
"J'ai envie d'écrire aujourd'hui, écrire encore. Ce désir d'écrire s'épaissit. Mais je ne peux rien écrire si je ne reviens pas à moi. Il me faut remonter à ma source. Boire l'eau fraîche du rocher qui étanche ma soif. Repartir à l'enfance parce que je suis parti enfant" (p.20)
Tu as fait de moi celui qui enjambe est un récit ambitieux rien que par le titre qui porte toute une charge poétique. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais mon réflexe face à un tel texte va consister à retrouver la dimension drainée par le titre. Le monde, que représente-t-il pour le poète gabonais ? Que signifie-t-il ? Comment l'enjambe-t-on sans trébucher ? C'est le pouvoir de la poésie : l'interpellation par la beauté des mots.
"Je n'écris que sur le silence, pour le déplier, le tordre, le dérouler. J'écris pour contourner son épaisseur et rentrer dans son étoffe. Tu vois, je n'écris pas de rien. Toujours ce silence dont j'entends le murmure, le tien qui enveloppe ma vie. J'aimerais lui rendre sa voix " (p.31)
" Un silence qu'on ne déplie pas est cimetière. On s'y enterre comme en une tombe froide. Alors j'ai choisi d'écrire pour ne pas mourir" (p.31)
Mais, je dois tout de suite modérer mes ardeurs de censeurs. Parce que Stève-Wilifrid Mounguengui parle à sa mère disparue il y a quelques années. Une maman décédée au Gabon. Il n'a pas pu assister à son inhumation. Il lui parle donc. Directement. Avec un "Tu" flamboyant, exclusif. Quelle est la place d'un lecteur lambda dans un tel monologue, dans ces proclamations, dans cette célébration d'une vie ? Comment d'ailleurs s'immiscerait-il dans cette exploration de l'intime avec sa part de joie, de frustration et de regret pour le poète ?
Rien est objectif dans un tel contexte et ce n'est pas la fonction du récit que d'atteindre une forme de vérité. On caresse des rendez-vous manqués entre un fils et sa mère et on se satisfait des moments vécus. On découvre une intériorité de cette très belle dame qui est représentée et dupliquée à satiété par cette magnifique couverture du livre réalisée par les éditions du Mauconduit.
Ce moment d'écriture permet à Stève-Wilifrid Mounguengui de revisiter sa jeunesse au Gabon, certains choix faits ou subis. Écartelé entre trois lieux, Mouila, Libreville et Port Gentil, le poète décrit des conditions de vie de l'adolescent qu'il fut loin d'être simples pour ne pas dire misérables. La littérature française est pour lui une échappatoire qui forme son imaginaire et nourrit son désir d'évasion er d'ailleurs. Sans compter l'horizon sans fin de l'océan Atlantique qui lui faisait face chaque matin quand il se dirigeait vers son lycée. Partir est une nécessité mais un déchirement aussi.
"La plus belle partie de ma longue marche matinale commence ici. Les vagues déferlent sur la plage. Les feuillages des badamiers attrapent des grappes de la nuit. Parfois je m'arrête en face du lycée Léon MBA. Le regard se perd sur la mer. [...] C'est ici que naissent mes rêves, qu'ils se déploient, volent vers l'Europe." (p.45)Cette partie de la narration présente peu de relief de mon point de vue. Quand on s'éloigne de sa mère, le texte perd de sa saveur ou du moins de son énergie. A ce niveau, la phrase est minimaliste. C'est plutôt déroutant quand on oppose cela à la discussion intime avec la mère.
Tu as fait de moi celui qui enjambe le monde est un récit qui dans son annonce projète le lecteur dans quelque chose d'exceptionnel. Enjamber le monde, c'est en dépasser les turpitudes, en survoler les frasques mesquines et les aléas de l'histoire. Ce n'est pas ce que j'ai perçu en terminant cet ouvrage. Je retiens l'hommage à la mère et c'est le plus important.
Stève-Wilifrid Mounguengui, Tu as fait de moi celui qui enjambe le mondeEditions du Mauconduit, première parution en 2022.