Assis dans l’ombre, devant sa cabane, tranquillement
Le laboureur, le frugal, voit son âtre qui fume.
Dans la paix du village la cloche du soir salue
Le voyageur au loin de sons hospitaliers.
En cette heure sans doute les marins rentrent aussi au port,
Dans des villes lointaines, joyeux et bourdonnant encore
De l’industrie bruyante du marché ; sous la calme tonnelle
Un convivial repas resplendit pour les amis.
Et moi, où vais-je donc ? Les mortels vivent
De travail et salaire ; alternant peine et paix,
Tout pour eux est gaieté ; pourquoi en mon seul cœur
L’aiguillon ne veut-il jamais dormir ?
Un printemps a fleuri dans le ciel du soir ;
Les roses fleurissent, innombrables, et le monde doré
Semble apaisé ; ô prenez-moi là-bas,
Nuages pourpres ! et que là-haut,
Dans les airs et la lumière, amour et douleur se dissolvent !
Hélas, comme effrayé par ma folle supplique, le charme
S’enfuit ; tout devient sombre et me voici
Sous le ciel, comme toujours, solitaire.
Doux sommeil, viens donc, maintenant, le cœur
Désire trop ; enfin, pourtant, tes feux
Déclineront, jeunesse, inquiète, rêveuse !
La vieillesse sera alors calme et sereine.
*
Comme, lorsqu’au jour de fête, pour aller inspecter son champ,
Un paysan s’en va le matin, quand pendant tout le temps
D’une brûlante nuit la fraîcheur des éclairs est tombée
Et qu’au loin retentit encore le tonnerre
Le fleuve revient en ses berges,
Le sol se met à reverdir,
Et de l’agréable pluie du ciel
La vigne goutte doucement et les arbres
Du bois scintillent doucement sous le soleil :
Ainsi se trouvent-ils, sous un climat propice,
Ceux que n’éduque pas un maître seul, mais dans
La merveilleuse omniprésence de son embrassement léger,
La puissante, la divine et belle nature.
C’est pourquoi, lorsqu’elle semble à certaines saisons
Endormie dans le ciel ou parmi les plantes ou les peuples,
Le visage des poètes aussi est attristé,
Ils semblent être seuls, mais ils continuent de pressentir,
Car elle-même aussi repose dans cette préscience.
Mais maintenant le jour se lève ! Je l’attendais et l’ai vu venir,
Et que ce que j’ai vu, le sacré soit ma parole.
Car elle-même, elle qui est plus vieille que les temps
Et se tient au-dessus des dieux du Soir et de l’Orient,
La nature, maintenant, s’est réveillée dans un bruit d’armes ;
Et, depuis les hauteurs de l’Ether jusqu’au fond de l’abîme,
Selon, comme jadis, une loi rigoureuse, engendré du Chaos sacré,
De nouveau l’enthousiasme éprouve,
Lui l’omnicréateur, sa renaissance.
Et, comme à l’œil de l’homme un feu s’est allumé
Quand il a projeté quelque chose de noble, ainsi
S’est enflammé aux signes maintenant, de nouveau,
Aux actions du monde, dans l’âme des poètes, un feu.
Et ce qui était advenu déjà, mais à peine senti,
N’est manifeste qu’aujourd’hui, et celles
Qui avaient en souriant cultivé notre champ,
Sous l’apparence de serviteurs, elles sont reconnues,
Les toutes-vivantes, les forces des dieux.
Les interroges-tu ? C’est dans le chant que souffle leur esprit,
Quand du soleil du jour il a surgi et de la terre
Chaude et des orages qui errent dans les airs, et des autres,
Davantage mûris dans les profondeurs du temps,
Et plus chargés de sens et plus audibles,
Qui errent entre le ciel et la terre, et parmi les peuples,
Les pensées de l’esprit collectif sont,
Silencieusement, parvenues à leur terme, dans l’âme du poète.
Afin que vite atteinte, et depuis longtemps
Familière à l’infini, elle frémisse de souvenir,
Et que lui réussisse, incendié par le rayon sacré,
Fruit enfanté dans l’amour, ouvrage des dieux et des hommes,
Pour témoigner des uns et des autres, le Chant.
Ainsi, comme le disent les poètes, puisqu’elle désirait
Voir visiblement le dieu, s’est abattue sa foudre sur la maison
De Sémélé, et la divinement atteinte a mis au monde
Le fruit de cet orage, le dieu sacré Bacchus.
Et de là vient que les fils de la terre,
A présent, boivent le feu céleste sans danger.
Mais à nous il revient, parmi les orages de Dieu,
Vous les poètes, de demeurer debout la tête nue,
Et de saisir le rayon du père, de le saisir lui-même de notre main
Et de tendre, enveloppée dans le voile
Du chant, au peuple la divine offrande.
Car pour peu que de cœur pur
Comme les enfants nous-mêmes nous soyons, qu’innocentes
Soient nos mains, le rayon du Père, le pur, ne brûlera pas
Notre cœur, et celui-ci, bien que profondément ébranlé, compatissant
Avec les douleurs du plus fort, demeurera dans les tempêtes
Déferlantes du dieu, à son approche, inébranlable.
Malheur à moi pourtant ! quand de
Malheur à moi !
Et si je dis aussitôt
Que je me suis approché pour contempler les célestes,
Et qu’eux-mêmes ils me jettent profondément sous les vivants,
Moi, le faux prêtre, dans l’obscurité, pour que
Je chante, à ceux qui savent apprendre, le chant de mise en garde.
Là-bas.
Friedrich Hölderlin
traduit de l’allemand par Jean-Pierre Lefebvre
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