Magazine Culture
TUTU est ce qu'on appelle un spectacle culte et le qualificatif est amplement mérité. Vous le constaterez sans doute par vous même en visionnant la vidéo que j'ai jointe à la fin, même si on peut regretter qu'elle soit fortement sous-exposée. Les couleurs éclatent dans la salle sous les magnifiques pinceaux de lumières de Dominique Mabileau.TUTU est une création de la compagnie Chicos Mambo qui a vu le jour il y a plus de 20 ans, en 1994 à Barcelone, suite à la rencontre de son directeur actuelPhilippe Lafeuille avec deux danseurs : un catalan et un vénézuélien. Leur expérience et leur sens de la dérision ont donné naissance à l’esprit piquant des spectacles de la compagnie.Après un succès prometteur avec la première création en Espagne et en France, le deuxième spectacle Méli-Mélo, créé en 1998, confère aux Chicos Mambo une renommée internationale jusqu’au Japon où il sera à l'affiche pendant 2 mois.Méli-Mélo II sera présenté pour la première fois au Festival d’Avignon OFF en 2006 et remportera le prix du « Meilleur Spectacle International » au Festival Fringe d’Edimbourg. Il tournera régulièrement en Europe et Amérique du Nord jusqu’en 2013.L'année suivante, Philippe Lafeuille imagine TUTU qui sera longtemps à l'affiche à Bobino. Il décrochera le prix du public « Danse » au 50ème Festival OFF du Festival d’Avignon en 2015 et le Prix de la reprise aux Trophées de la comédie musicale ce mois-ci en 2023. Au moins 500 000 spectateurs ont déjà assisté à une représentation dont le nombre dépasse les 600 dates et le public n’a pas fini de grandir.Serait-il envisageable que ce spectacle ne vous plaise pas ? Ça commence doucement avec un air de boite à musique, comme celles qu’on déniche encore aux Puces et qui, lorsqu’on en soulève le couvercle, fait surgir une figurine en simple tutu blanc. La scène est en noir et blanc comme dans l’ancien temps.Résonne ensuite la grande musique et nous découvrons un bouquet de tulle rose. Du floral on glisse dans l’animalier, et nous retrouverons cette figure de style à plusieurs reprises.Les chorégraphies reprennent, en les détournant parfois, les codes de la danse classique et des ballets contemporains. Plus tard dans la soirée on sera surpris par l’évocation du style de la célèbre (et regrettée) Pina Bausch. Philippe Lafeuille a repris le principe de la ronde des danseuses, qu’elle faisait tourner en longue robe fluide, cheveux lâchés, sur la musique du Sacre du printemps en décalant le propos puisqu’il fait évoluer ses danseurs sur le morceau de violon Raquel de Bau en accentuant les mouvements capillaires et en leur demandant de prononcer quelques syllabes en langue germanique.Par contre, il avait auparavant utilisé la musique du ballet de Stravisky pour en faire une sorte de danse infantile avec des danseurs en tutu-couche-culotte. La dérision est régulière mais jamais vulgaire et toujours au service du sourire, voire du rire alors que notre cerveau réalise combien il a fallu d’heures de travail pour en arriver à ce niveau de simplicité.Voir les danseurs évoluer sur des pointes, exécuter des pas chassés et mimer un envol avec leurs bras nous semble totalement naturel. Ça ne se voit pourtant jamais sur la scène de l’Opéra. A peine a-t-on réalisé l’immensité de la prouesse que, par un effet d’illusion, on comprend qu’on assiste à une parodie dont, à la fin, on nous révèle le trucage en toute humilité.Les danseurs mobilisent le moindre de leur muscle (et ils en ont !). Ils osent même danser de dos en demeurant gracieux. Leur corps entier est sollicité, jusqu’au bout des ongles. Les jeux de doigts sont fréquents, transformant les mains en becs de cygnes. Tulle ou plumes … l’illusion est revendiquée et réussie.Les costumes participent à la construction des scènes. Les voici canards, exécutant des clowneries sur la musique de la Danse des cygnes, du lac des cygnes de Tchaikowsky. Puis en costume doré pour The sleeping beauty, du même compositeur. Après la valse, le tango sur Quejas de Bandonéon.Quatre paires de jambes se croisent sur le Boléro de Ravel. Un seul interprète (Julien Mercier) évolue, pendu à une sangle sur le rythme très soutenu de Easy Level de Itecz dans un numéro comme on pourrait en voir au Cirque su Soleil.Le Danube bleu est dansé sur un rythme cubain. Et la rumba est prétexte à une évocation du concours télévisé Danse avec les stars en costumes paillettes.Tous les styles de danse sont passés en revue, y compris des incursions dans l’univers du cirque, sur tous les styles de musique d’un très large répertoire. Outre Stravinsky, Tchaikowski, Johann Strauss, Camille Saint-Saens ou Ravel on a le plaisir d’entendre l’Etude en forme de Rythm and blues du Grand Orchestre de Paul Mauriat, The Time of my Life de Bill Medley et Jennifer Warnes (Dirty Dancing), les variations Goldberg, et même … plus étonnant … la comptine Petit escargot. Ou encore The vegetable orchestra de Scoville avec des couvre-chefs en forme de fraise, chou-fleur, poivron, aubergine …Tout est prétexte à délire, en restant respectueux de l’œuvre originale, et la salle ne cache pas sa joie. retour au calme avec le mélancolique Yumeji’s Them de In the mood for love avant une bataille de pompons filmée par une Zentaï.Il n’y a pas à dire : c’est génial ! Ils restent au Théâtre libre jusqu’au 7 juillet mais je peux vous annoncer la bonne nouvelle : leur retour dans ce même théâtre du 8 au 26 novembre 2023 puis du 22 décembre au 4 février 2024. Tutu : Conception / Chorégraphie : Philippe LafeuilleAvec les danseurs : Marc Behra, David Guasgua M, Kamil Pawel Jasinski, Julien Mercier, Vincent Simon, Vincenzo VenerusoZentaï : Corinne BarbaraConception lumières : Dominique Mabileau - Costumes : Corinne Petitpierre - Bande son : AntistenJusqu’au 7 juillet au Théâtre Libre 4 boulevard de Strasbourg - 75010 Paris La photo qui n'est pas logotypée A bride abattue est de © Chicos Mambo