Ces trois ouvrages « traitent » des mêmes thèmes : l’infiltration, la dénonciation d’opposants, l’allégeance à deux maîtres, la conversion.
Je pensais jusqu’à aujourd’hui que le pouvoir soviétique avait mené une guerre efficace à toute forme de religion et en particulier à la hiérarchie orthodoxe. Et naturellement, je m’étais étonnée de constater, dès l’effondrement de l’URSS, combien était restée vivace parmi le peuple russe, la foi et ses rituels … J’ignorais l’évolution pragmatique des relations entre l’église et le pouvoir, même au cœur de la période stalinienne la plus sombre.
Car pendant la Seconde Guerre mondiale, le régime soviétique a adopté une approche plus tolérante envers l'Église orthodoxe. Le besoin de mobiliser le soutien de la population a conduit le gouvernement à tolérer partiellement la pratique religieuse. Certains prêtres ont été autorisés à servir comme aumôniers militaires et l'Église a été autorisée à collecter des fonds et à mener des activités caritatives.
Après la mort de Staline en 1953, la politique envers la religion orthodoxe a connu des fluctuations. Les persécutions se sont atténuées, mais la surveillance et le contrôle gouvernemental sont restés. Les églises ont été autorisées à rouvrir, mais elles étaient toujours soumises à des restrictions et à une ingérence gouvernementale importante.
C’est dans ce contexte que se situe l’histoire du père Grigori …
Lieutenant de l’Armée Rouge recruté dans les services secrets à la fin de la grande Guerre patriotique, le jeune Grigori, fils d’anciens hobereaux, a reçu pour mission secrète de devenir pope, et si possible évêque, afin de dynamiter le moment venu la foi de ses ouailles de l’intérieur. Il suit donc les études au séminaire, se fait ordonner prêtre – et pour cela, il doit se marier – tient ce rôle parmi ses paroissiens pendant une vingtaine d’années. Parallèlement, il tient un fichier de toutes les personnes qui continuent à pratiquer leur foi, font baptiser leurs enfants, en dépit des directives gouvernementales.
Jusqu’au jour où sa hiérarchie militaire le rappelle à ses devoirs : ne serait-il pas « passé de l’autre côté » ? Ne se serait-il pas retourné et converti ? Aurait-il été touché par la grâce, à force de singer la liturgie, si profondément émouvante ? Qu’en sait-il lui-même ?
L’éveil d’un agent dormant des décennies après son infiltration en milieu ennemi, la porosité d’une âme plongée dans un environnement qu’il est chargé de miner de l’intérieur, la résilience des liens culturels et familiaux malgré l’endoctrinement politique sont la trame de ce roman plein d’humour et de spiritualité.
Je continue à explorer l'oeuvre de cet auteur français qui eut en son temps un grand succès et je glane des éléments pour mieux comprendre le comportement des Russes contemporains. Le tout d’une écriture imagée et limpide. Une leçon pratique de duplicité et une mise en garde à l’attention des candidats à l’immersion en terrain étranger.
Le Trêtre, roman de Vladimir Volkoff, réédité en 1983 chez Julliard, collection l’Age d’homme, 212 p.