Ce roman de Kafka fut publié deux ans après la mort de l'auteur (1926).
L'arepenteur K. arrive un soir dans un village dirigé par un comte. Ce comte est un personnage mystérieux et légendaire qui vit dans un grand château sur une colline. K. veut s'installer définitivement sur les terres du comte pour y exercer sa profession mais les obstacles qui surgissent dépassent toutes ses prévisions. Le château se révèle peu à peu à ses yeux comme le siège d'une monstrueuse et hostile bureaucratie dans laquelle des nuées de seigneurs et de fonctionnaires, hiérarchiquement organisés, font marcher nuit et jour les rouages de l'administration du village, selon des lois qui souvent offensent la raison et la morale humaines.
Les habitants du village, qui acceptent comme naturelle et logique l'absurde législation du château, éloignent K. de leurs maisons et l'évitent, comme on évite un fou ou un enfant qui inconsciemment peut faire du mal, et s'enveloppent dans un voile d'allusions, de gestes et de sourires, qu'il ne peut pénétrer, étant un étranger. Mais K. s'accroche à tout ceci avec une ténacité farouche, les yeux toujours tournés vers le château, ou plutôt vers Klamm, un des innombrables seigneurs, qui symbolise pour K. l'attrait irrésistible du château. Cependant toutes les issues qu'il essaie se révèlent fausses. Quand Frieda, l'unique conquête qu'il réussit à faire au village, et qu'il a séduite car elle jouit des faveurs de Klamm, l'abandonne, K. sent que pour lui la partie est perdue. Epuisé et à demi endormi, il entre par hasard dans une des chambres de l'hôtel où descendent d'habitude les seigneurs quand ils viennent au village; là, pour la première fois, un fonctionnaire lui parle avec sympathie, et s'offre à l'aider. Mais K. s'endort et ne l'entend pas. Le roman inachevé s'interrompt à cet endroit. Il devait se terminer par une scène où K., épuisé par ses efforts, reçoit en mourant, devant tout le village réuni, l'avis du château qui l'autorise par mesure exceptionnelle à rester et à travailler au village.
Il est à remarquer que le titre original allemand du roman Das Schloss signifie le château mais aussi la serrure. K., le protagoniste, veut toujours aller de l'avant, forcer cette serrure, mais toutes ces avancées ne sont que piétinement.
" C'était le soir tard lorsque K. arriva. Une neige épaisse couvrait le village. La colline du Château restait invisible, le brouillard et l'obscurité l'entouraient, il n'y avait pas même une lueur qui indiquât la présence du grand Château. K. s'arrêta longtemps sur le pont de bois qui mène de la route au village, et resta les yeux levés vers ce qui semblait être le vide ". Dès l'incipit est posée la question de l'existence du Château : le narrateur soupçonne une présence cachée quand il relève que " la colline du Château restait invisible " alors que K., " les yeux levés vers ce qui semblait être le vide ", n'a aucune raison de présager quelque chose. Il confirmera cette ignorance quelques lignes plus loin en demandant au fils de l'intendant s'il y a bien ici un Château.
Les termes de l'intrigue se présentent dans une sorte de conflit : K. ignore la présence du Château et le village, propriété du Château, méconnaît la venue de K. Or, personne n'a le droit d'habiter ou de passer la nuit au village sans autorisation du comte. Pour le village, K. est un étranger sans titre de séjour. Or, K. soutient que le comte, en personne, l'a nommé arpenteur. Cette allégation trouvera un écho inattendu par la confirmation téléphonique du service central du Château que K. interprétera comme " d'une part défavorable pour lui, car cela montrait qu'au Château l'on savait sur son compte tout ce qu'il fallait savoir, [...] et que l'on acceptait le combat avec le sourire. Mais d'un autre côté, c'était aussi favorable, car cela démontrait qu'on le sous-estimait [...]. Si l'on s'imaginait pouvoir le terroriser de façon durable [...], eh bien l'on se trompait ".
Ainsi, K. est venu en toute connaissance de cause dans un lieu dont il sait qu'il ne l'accueillera pas et chercherait, en le défiant, à conquérir le droit de s'y établir.
Le roman décrit un environnement étrange où le temps peut être glacé, figé, dans lequel K. piétine comme, lors de sa première sortie de l'auberge, quand il ne parvient pas à se rapprocher du Château qu'il aperçoit : " Cette grand-rue du village ne conduisait pas au Château [...] sans s'éloigner de la colline, elle ne s'en approchait pas non plus ", ou quand il fait déjà nuit noire alors qu'il n'y a qu'une heure ou deux qu'il s'était mis en route et " c'était le matin ".
K. n'a pas de prénom ni de nom. Il est représenté par une initiale K., il est arpenteur et les détails concernant sa personne sont entièrement abolis. Il est anonyme, transparent. Sans identité, il pourra, pour arriver à son but, se changer en fiancé de Frieda ou en homme de service à l'école, ce pour quoi il sera accusé par la suite d'hypocrisie. K. désigne le sujet mais ne le signifie pas.
Le narrateur est lui aussi impersonnel, il n'est pas un tiers qui donnerait un point de vue ou un surplomb. K. est enfin l'initiale du nom de Kafka qui avait écrit tout d'abord les premiers chapitres à la première personne et qui les corrigera après coup en remplaçant partout les " je " par K. qui devient l'ombre, le double de Kafka.
Kafka haïssait l'univers du travail bureaucratique. Le château incarne le pouvoir, l'autorité, la direction selon la terminologie managériale dont le maître absolu est complètement retiré au point de ne pouvoir jamais être vu, pendant que les autres personnages se débattent, chacun à son niveau, dans un univers bureaucratique similaire à un enfer moderne, K. cherchant, pour sa part, une solution à son problème en allant d'un niveau à un autre, dans un continuel va-et-vient, tant et si bien qu'il finit par aliéner les liens entre les uns et les autres et boucher les canaux permettant de faire circuler le travail. " Pendant ce temps-là, à l'arrière-plan, quelque chose pousse, s'étend et submerge tout : le papier officiel, ce papier dont, selon Kafka, sont faites les chaînes de l'humanité torturée. Un océan de papier couvre la salle du maire, une montagne de papier s'accumule dans le bureau de Sortini. Le point culminant de l'aliénation bureaucratique est atteint lorsque le maire décrit l'appareil officiel comme une machine autonome, un automate qui se passe de la participation humaine : "C'est comme si l'appareil administratif avait fini par ne plus pouvoir supporter la tension et l'énervement que lui infligeait depuis des années la même affaire, peut-être en soi négligeable, et avait de lui-même pris la décision sans la collaboration des fonctionnaires". Kafka présente donc le système bureaucratique comme un monde réifié, où les rapports entre individus deviennent une chose