Quelque chose de durable... ce qu'interdit précisément le mouvement de la vie, cette marche inexorable et chahutée vers la fin.
Christine Rebourg Roesler emprunte cette expression à Anna de Noailles qui disait:
J'ai voulu toutes choses ici-bas et, si j'y songe, je m'aperçois que je n'ai rien voulu qui ne fût le ciel... quelque chose d'absolu, de profond, de durable.
Dans Tout est vent, au titre évocateur, l'auteure s'intéresse à l'impermanence des êtres et des choses. Seuls les écrivains peuvent la contrecarrer. Seuls, armés de mots, ils peuvent en effet lui résister. Comment? En laissant
l'empreinte indélébile d'une vie plus jamais fugace, passagère,
qui, par leur grâce, débordera de son temps imparti.
Aussi s'efforce-t-elle d'employer des mots vivants pour dire la vie vivante et éternise-t-elle à leur suite des personnages plus vrais que réels.
Assise sur un banc, elle donne ainsi à voir:
- des vieux : délestés du poids du corps souffrant, [...] parmi nous en visite courtoise;
- deux jeunes femmes, en apparence antagonistes, l'une trop nue, l'autre trop vêtue: ne jamais croire la seule surface du visible;
- deux femmes hissées sur des stilletos: cela n'en fait pas des soeurs égales, car ils seront selon leur âme et leur histoire, une grâce ajoutée, un objet de torture, un fétiche brandi.
L'époque est aux écrans - aujourd'hui le monde est devenu petit -, à l'avachissement des tissus, des corps, à l'affaissement du langage, à l'incapacité à vivre le temps et l'usure, à la photo de soi. Alors, pour se rasséréner, elle se souvient:
- d'Elsa Schiaparelli : si l'on aime Elsa c'est pour la langue parlée de ses robes;
- des voix reconnaissables entre toutes de Fanny Ardant, de Simone Signoret, de François Léotard ou d'Anouk Grinberg dont les peintures lui permettent de crier sans gêner ses voisins;
- de l'amour sacralisé et son divin visage, pas l'amour absolu, qui appartient à Dieu et non à l'homme, son vassal et qui ne se trouve pas au bout de l'écran;
- de la truculence, de la saveur, de la sensualité partagées de Charles Ferdinand Ramuz, de Jacques Chessex et d'Anna de Noailles.
Si elle s'effraye enfin de l'apparition d'un homme nouveau, créé ex nihilo, et d'une nouvelle ère,
celle d'un monde peuplé de créatures hybrides,
ni hommes, ni femmes,
ni jeunes, ni vieux,
peaux et mémoires lissées,
mi humain mi machine,
un humain modifié,
circulant sous le ciel d'une saison unique,
dans un temps jamais compté,
elle place sa confiance dans ce peu d'homme, que les Grands Manipulateurs de l'espèce seront obligés de lui conserver, pour déjouer leur contrôle sur la vie humaine par quelques algorithmes.
Les mystiques et les agnostiques, chez qui sera présent ce peu d'homme, leur feront obstacle, dans un même élan de quête de sens:
Si tout est vent, tout est vain,
croyons aussi que tout est vent, tout devient.
Autrement dit:
Un peu de vie suffit pour faire revivre un monde.
Francis Richard
Tout est vent, Christine Rebourg Roesler, 96 pages, Éditions de l'Aire