Ce mois de juin est consacré aux auteurs américains et j’ai eu envie de me plonger dans ce roman d’Edith Wharton qui attendait sagement dans ma Pile à Lire depuis quelques mois. Il faut dire que l’illustration de couverture me rebutait un peu, avec ses couleurs mièvres et son graphisme désuet et alambiqué – un choix visuel difficile à comprendre et qui ne parait pas en accord avec l’histoire ou avec le style d’Edith Wharton…
Je connaissais assez mal cette écrivaine, n’ayant lu jusqu’ici qu’un seul de ses recueil de nouvelles, et la lecture de ce roman a confirmé et développé ma bonne impression initiale.
Note Pratique sur le Livre
Genre : Roman psychologique, roman d’amour
Editeur : 10/18
Première date de publication : 1917
Traduit de l’anglais (américain) par Louis Gillet
Nombre de pages : 239
Résumé succinct du début
Charity est la pupille de Mr Royall, son tuteur, un avocat cultivé qui l’a recueillie dans la Montagne quand elle était toute petite. Cette Montagne est un lieu mal famé et dangereux, où vivent des clans de bandits et de miséreux et Charity sait qu’elle est issue de ce milieu sordide et qu’elle ne doit sa bonne situation de nom, de fortune et d’éducation qu’à la charité de Mr Royall. La jeune fille occupe une place de bibliothécaire dans le morne village où elle vit – nommé North Dormer – mais cet emploi l’ennuie car cette bibliothéque n’abrite que de vieux livres poussiéreux qui n’intéressent personne. Un jour, pourtant, elle aperçoit un nouveau venu dans le village, un jeune étranger à la tenue élégante qui semble venir de la ville. Elle a la surprise, quelques heures plus tard, de voir entrer dans sa bibliothèque déserte ce même jeune homme, qui recherche des ouvrages d’architecture. Charity et lui entament une discussion à propos des livres et de la vie à North Dormer. Le jeune homme s’appelle Lucius Harney et il ne laisse pas Charity indifférente. (…)
Mon avis
Ce livre dresse un très beau portrait de jeune fille, Charity, à la fois indépendante d’esprit, entière, impulsive, sensible et orgueilleuse. J’ai vu dans la quatrième de couverture qu’on avait pu la rapprocher de Mme Bovary parce que toutes les deux s’ennuient au début du roman. Mais il m’a semblé que Charity, en tant que jeune fille et non pas une femme mariée, prenait beaucoup plus de risques en ayant un amant et se montrait beaucoup moins dissimulée et superficielle que Mme Bovary. « Été » est une belle étude de caractères, où le personnage de Mr Royall se révèle au fil des pages au moins aussi complexe et intéressant que celui de sa fille adoptive, puisqu’il oscille à plusieurs reprises entre une inquiétante bizarrerie, un autoritarisme malsain et une attitude de compréhension et de respect, voire d’abnégation au bout du compte.
Le sens de la psychologie d’Edith Wharton – que j’avais déjà pu admirer dans ses nouvelles – s’exprime ici une fois de plus, dans toutes ses subtilités et ses élans contradictoires, les personnages étant souvent tiraillés entre leurs sentiments et les convenances sociales ou les engagements qu’ils ont pu prendre ailleurs. Cet aspect particulier de l’intrigue pourrait rappeler un petit peu certains romans de Jane Austen – sauf que les époques diffèrent, ici les comportements des personnages sont nettement plus modernes et donc plus libérés, plus francs.
En comparaison de Charity et de Mr Royall il me semble que le personnage de Lucius Harney est un peu fade – disons qu’il correspond à une figure d’amant, sûrement charmant et bien intentionné, mais sans beaucoup de caractère ou de courage – tel qu’il peut en exister effectivement dans les romans et dans la vie.
J’ai aussi apprécié les très belles descriptions de paysages – qui semblent souvent en accord avec les sentiments des personnages ou qui influencent leurs comportements.
La « Montagne » mal famée, d’où est originaire Charity, forme un arrière plan lugubre et menaçant durant presque toute la longueur du livre et c’est comme un personnage à part entière, qui impose sa présence immobile et silencieuse et dont on se doute qu’il va jouer un rôle important à un moment ou à un autre.
Sans conteste, un très beau livre !
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Un Extrait Pages 10-11
Cependant on avait toujours laissé entendre à Charity Royall qu’elle devait considérer comme un privilège d’habiter North Dormer. Elle savait qu’en comparaison de l’endroit d’où elle venait, le village jouissait de tous les progrès modernes. Depuis qu’enfant elle y avait été amenée, tous les gens du pays n’avaient cessé de lui ressasser. Même la vieille Miss Hatchard, à une heure terrible de la vie de Charity, lui avait dit :
– Ma petite, n’oubliez jamais que Mrs Royall vous a ramenée de la « Montagne ».
On l’avait en effet ramenée de la « Montagne », de cette falaise qui dressait sa tragique muraille au-dessus des collines plus basses de la chaîne de l’Aigle (Eagle Range), faisant à la vallée solitaire comme un fond perpétuel de mélancolie. La « Montagne » s’élevait à vingt bons kilomètres de là, mais de façon si abrupte que son ombre semblait se projeter jusque sur North Dormer. Et c’était comme un grand aimant attirant les nuages pour les disperser en tempête à travers la vallée. Si jamais, dans le ciel d’été le plus pur, une légère vapeur traînait sur North Dormer, elle filait droit sur la Montagne comme une barque emportée par un tourbillon et, là, accrochée aux rochers, déchirée et multipliée, s’épandait ensuite sur la vallée qu’elle noyait de pluie et de ténèbres.