Ce recueil de poésie m’a été offert pour Noël et je profite de ce mois thématique sur l’Amérique pour vous en parler. Avant d’ouvrir ce recueil, je n’avais encore jamais rien lu de Raymond Carver – ni en prose ni en poésie – et ce fut une lecture très intéressante, qui m’a permis de réaliser à quel point il a pu influencer la poésie contemporaine, et notamment française, car les ressemblances sont assez frappantes avec des poètes comme François de Cornière ou Cécile Coulon, entre autres. Mais j’ai préféré Raymond Carver à ces deux derniers, car les précurseurs sont en général plus convaincants que les épigones, et dans ce cas précis Carver m’a semblé plus percutant…
Biographie de l’écrivain
Raymond Carver (1938-1988) a été veilleur de nuit, standardiste ou encore enseignant avant de se consacrer à l’écriture. Il est considéré aujourd’hui comme le « Tchekhov américain ». Son œuvre, traduite dans le monde entier et couronnée de nombreux prix, est désormais disponible en Points dans son intégralité.
(Source : site de l’éditeur)
Note Pratique sur le livre
Editeur : Points Poésie
Date de publication : (chez Points) 2016
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jacqueline Huet, Jean-Pierre Carasso et Emmanuel Moses
Nombre de pages : 528
Quatrième de Couverture
« Je souhaite que, sur ma tombe, on grave les mots “Poète, nouvelliste, essayiste”, dans cet ordre précis », a dit Raymond Carver. La poésie occupe une place fondamentale dans son œuvre. Ses poèmes sont comme sa prose, justes et clairs, sans artifices : pas des poèmes pour des critiques, mais des poèmes pour des lecteurs.
Ce volume contient également de nombreux textes intimistes, hommages aux amis disparus, déclaration d’amour à sa fille…
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Page 117
Demain
Fumée de cigarette suspendue
dans l’air du salon. Les lumières du navire
au large sur l’eau, pâlissent. Les étoiles
sont des trous brûlants dans le ciel. En devenant
cendre, oui.
Mais ça va, c’est ce qu’elles sont censées faire.
Ces lumières que nous appelons étoiles.
Brûler un temps et puis mourir.
Moi dévoré d’impatience. Souhaitant
qu’on soit déjà demain.
Je me rappelle ma mère, Dieu la garde,
disant, Faut pas souhaiter être à demain.
Ca ne fait que raccourcir la vie.
N’empêche, je voudrais être
à demain. Demain dans ses plus beaux atours.
Je voudrais m’endormir, sans heurt.
Comme on franchit la portière d’une voiture
pour monter dans une autre. Et puis me réveiller !
Trouver demain dans ma chambre.
Je suis plus fatigué à présent que je ne puis dire.
Mon écuelle est vide. Mais c’est mon écuelle,
vois-tu,
et je l’adore.
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Page 273
La Vitesse foudroyante du passé
Le cadavre est fauteur d’angoisse chez ceux qui croient
au Jugement dernier, et chez ceux qui n’y croient pas.
– André Malraux
Il enterra sa femme qui était morte dans
les douleurs. Dans les douleurs, il
se réfugia sur sa véranda, d’où il regarda
le soleil se coucher et la lune se lever.
Les jours semblaient passer seulement pour revenir
encore. Comme lorsqu’en rêve on pense,
J’ai déjà fait ce rêve-là.
Rien, de ce qui se produit, ne demeurera.
Avec son couteau il pela
une pomme. La pulpe blanche, corps
de la pomme, s’assombrit
et vira au brun, puis au noir,
sous ses yeux. Le visage exténué de la mort !
La vitesse foudroyante du passé.
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Page 367
Deux mondes
Dans un air lourd
de l’odeur des crocus,
du parfum sensuel des crocus,
je regarde un soleil citron disparaître,
la mer passer du bleu
au noir d’une olive.
Je regarde la foudre bondir depuis l’Asie tandis
qu’assoupie,
mon amour remue et respire et
se rendort,
présente en ce monde et pourtant
présente en un autre.
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