Douglas Harding,
Interview avec Jan Kersschot, en 2000
Jan Kersschot : Cela fait environ 60 ans maintenant que vous partagez votre vision. Comment tout cela a-t-il commencé ?
Douglas Harding : J'avais 31 ans quand je l'ai découverte, dans les Himalayas. Je l'ai racontée dans le livre "Vivre sans tête." Cela s'est produit dans les montagnes, mais cela aurait pu arriver n'importe où en fait ; cela n'a rien à voir avec les montagnes.
JK : Bien que cette expérience himalayenne puisse paraître à certains lecteurs comme une expérience mystique, elle n'était pas vraiment spéciale, n'est-ce pas ?
DH : Eh bien, ce n'est pas quelque chose de spécial du tout, mais plutôt quelque chose de naturel. C'est quelque chose qui - quand vous le voyez - vous relie à tout. C'est la révélation de l'évidence, pas la réalisation de l'extraordinaire.
JK : Il ne s'agit pas d'une expérience de sommet, mais plutôt d'une expérience de vallée.
DH : Oui, exactement ; ce n'est pas une expérience mystique.
JK : Pourtant, beaucoup de gens ont beaucoup d'attentes à ce sujet. Ils ne font pas la différence entre l'éveil et la félicité.
DH : Oh, oui, absolument. Une des façons d'éviter de voir sa vraie nature, c'est d'attendre des expériences mystiques.
JK : Vous avez dit aujourd'hui que depuis que vous l'avez vu pour la première fois, il y a 60 ans, cela a évolué au fil des ans. Que voulez-vous dire par là ?
DH : Eh bien, il faut être précis sur ce point. Et faire la distinction entre ce qui se change et ce qui ne change pas. Il y a un aspect soudain et un aspect graduel ; l'aspect soudain, c'est qu'une fois qu'on le voit, c'est bon. L'aspect progressif se trouve dans le fait qu'il y a un développement de ce que j'appellerais la " continuité " et aussi un développement de la confiance. Le premier - voir qui vous êtes - c'est toujours la même chose. Le second c'est une chose graduelle.
JK : Pouvez-vous expliquer cela ?
DH : Eh bien, la vision est toujours la même. Pourquoi ? Parce que c'est simple et clair, et que la Clarté est la Clarté. Elle n'est pas voilée par moments ou claire à moitié à d'autres. Elle reste toujours la même. Ce qui change - dans l'expérience - c'est deux choses.
D'abord c'est la continuité de la vision : au début, elle va et vient , il faut toujours y revenir [Douglas pointe avec son index vers son visage].
Ensuite, il y a la confiance. On n'a pas forcément confiance en elle au début, on n'a pas confiance en elle pour diriger sa vie. Mais on apprend peu à peu à faire confiance à cette clarté. Il y a donc peu à peu un développement de la continuité et un développement de la confiance. C'est une chose très graduelle. Et puis en fin de compte, tout devient naturel.
JK : Donc, au fur et à mesure qu'on pratique cette voie , cela devient de plus en plus naturel ; et par conséquent nous n'avons plus besoin des expériences?
DH : Exactement ! Et comme on la pratique - et il faut la pratiquer en revenant toujours de l'apparence à la réalité, en faisant ce voyage - cela se passe de plus en plus naturellement.
JK : Est-ce que ça devient comme un processus automatique?
DH : Oui, vous avez raison. Mais je ne sais pas si "automatique" est le bon mot. J'ai le sentiment que si cela devient naturel, c'est parce que vous le pratiquez. En revenant juste à l'endroit d'où nous ne sommes jamais partis. Du moins, c'est mon impression.
On revient à ce à partir de quoi on regarde.
JK : Je peux voir votre visage là-bas, je vous vois boire du thé, et je peux voir ma Clarté 'ici', sans avoir besoin de faire l'expérience du doigt. C'est là tout le temps. Et l'espace de mon côté aussi.
DH : Oui, tu es Espace pour mon visage, tu es Capacité pour lui.
JK : Tout le temps.
DH : Oui. Tout le temps. En fait, tu n'as même pas besoin d'une expérience pour voir cela.
Jan : Découvrir cette vision, c'est plus devenir ordinaire que spécial ?
Douglas Harding : Cela vous rend plus ordinaire que spécial. Tu ne te sens pas spécial. Je pense que c'est très important parce que cette vision n'a rien à voir avec un gourou et des disciples. Je ne me comporte pas comme ça parce que je ne me sens pas comme ça. Quand vous voyez vraiment qui vous êtes vraiment, vous voyez que vous n'êtes rien, et donc vous ne vous croyez pas supérieur. Le fait que vous souhaitiez le célébrer et le partager avec vos amis, c'est votre privilège, mais cela ne veut pas dire que d'autres personnes n'y sont pas, elles sont toutes, en un certain sens, illuminées. Ils sont simplement ignorants de leur propre illumination. Donc tu ne peux pas te sentir supérieur. C'est très démocratique, cette vision.
JK : Cela n'a rien à voir avec le fait qu'une personne soit meilleure ou plus spirituelle que l'autre.
DH : Le mot illuminé est un mot douteux parce qu'il a été mal employé. Je ne l'utilise pas dans les ateliers. La phrase "Je suis illuminé et vous êtes endormis" est fausse. Ça ne marche pas comme ça.
JK : Votre message est complètement différent.
DH : Je dis : "C'est évident, c'est partageable." Mon rôle, c'est de partager cela. C'est une bonne nouvelle. Il ne s'agit pas de supériorité. Si quelqu'un est intéressé...
JK : ... vous êtes ouvert et disponible.
DH : C'est exact. J'invite les gens à se découvrir eux-mêmes.
JK : Pourquoi y a-t-il encore tant de confusion à ce sujet ? Pourquoi y a-t-il encore tant de maîtres, pourquoi leurs disciples font-ils semblant que leur gourou a des pouvoirs spéciaux ? Pourquoi les gens veulent-ils devenir des dévots, plutôt que de simples chercheurs?
DH : Tu vois, Jan, nous avons une énorme résistance à " Cela" . Pourquoi ? Parce que c'est la mort. Et bien que cela soit immédiatement suivi d'une résurrection, les gens ont peur de " Cela. ". Nous avons tous cette résistance - y compris Douglas - et l'une des formes que prend cette résistance est de créer une distance, en créant une recherche spirituelle. Les gens vont voir un gourou, qui est soi-disant illuminé, et ils disent : "il est là-bas au bout du chemin, et moi, je suis à mi-chemin, et il m'aidera dans ce voyage." Les gens disent : "Je suis un chercheur", et ne réalisent pas qu'en même temps, ils se disent secrètement : "Je suis sûr que je ne serai pas un trouveur." Les chercheurs sont terrifiés à l'idée d'être un découvreur. Et tout en étant un chercheur, en suivant le chemin, vous avez toutes les récompenses d'un voyage spirituel sans le danger - en fait, le danger mortel - de l'arrivée. Parce que l'arrivée est la mort, et c'est la résurrection. Les gens ne voient tout simplement pas cela
JK : Est-ce la même peur qui empêche les gens de " voir la Conscience Une " pendant les expériences ?
DH : Exactement. Beaucoup de gens pensent qu'ils ne le " voient " pas, mais je pense qu'il faut d'abord le voir avant de pouvoir le rejeter ; nous le voyons brièvement mais inconsciemment nous le rejetons immédiatement. Je pense qu'il est impossible de ne pas le voir.
Jan Kersschot :Certaines personnes se plaignent du fait qu'elles semblent manquer le but de vos expériences.
Douglas Harding : Les gens ont tellement d'excuses pour l'éviter : ils disent qu'ils ne le comprennent pas, qu'ils s'attendaient à quelque chose de bien plus spectaculaire, qu'ils n'en voient pas l'intérêt, ou qu'ils s'endorment tout simplement. C'est le même évitement, la même peur de ce " Rien ", la même peur de disparaître.
JK : Et nous devons accepter ce phénomène de résistance. Quand le courant électrique est trop fort, je pense qu'il vaut mieux utiliser ses propres fusibles de sécurité que d'avoir un court-circuit complet du système nerveux. Peut-être que cet évitement n'est qu'un mécanisme d'autoprotection. Quelque chose que les gens utilisent "quand ils ne sont pas encore prêts".
DH : Catherine et moi faisons le tour du monde pour donner des ateliers, et nous savons que seule une petite partie des gens le voit vraiment. Mais avec les années, le groupe grandit, et les graines germeront quand le moment sera venu.
JK : Je pense qu'il y a aussi une joie à partager cela.
DH : Oh vraiment. Absolument.
JK : C'est l'une des plus belles choses que l'on puisse partager avec quelqu'un, n'est-ce pas ?
DH. C'est la plus précieuse.
JK : Et beaucoup de gens ne le réalisent toujours pas.
DH : C'est un mystère de savoir qui est prêt pour ça. Nous ne savons pas qui est prêt et qui ne l'est pas. Dans le groupe de 80 personnes que nous avons eu ici en Belgique aujourd'hui, peut-être quelques-unes, trois, quatre ou cinq, vont vraiment le réaliser et voir leur vie changer.
JK : Ne pensez-vous pas que plus de gens que jamais sont "ouverts" à ce genre d'approche ?
DH : Eh bien, Jan, il me semble - non pas à cause de Douglas mais en dépit de Douglas - que c'est une percée spirituelle dans l'histoire parce que les expériences transforment le "ouï-dire" en "regard" et que cela est révolutionnaire. Il est étonnant que depuis les 5000 dernières années, personne n'ait insisté pour regarder juste " ici " [en montrant son visage], juste en tournant l'attention à 180 degrés.
JK : C'est comme mettre toute la théorie en pratique.
DH : Le dzogchen le formule très bien : "Voir avec la conscience nue." C'est évident, naturel, et tout le monde le vit.
JK : Et c'est simple.
DH : Et c'est partageable. Et aussi totalement négligé. Je pense que le temps est venu maintenant pour que cela fasse surface. viennent pour le laisser remonter à la surface, maintenant. Vous voyez, dans le passé, seules quelques personnes sont parvenues à cette vision béatifique. Il y avait des masses de gens qui étaient sur la route, cherchant, mais seulement quelques-uns ont réalisé l'union absolue avec Dieu. Je pense que que maintenant davantage de gens vont venir à cela.
JK : Mais vous ne suggérez pas que c'est seulement pour quelques élus.
DH : En un certain sens, vous redevenez comme un enfant. C'est ce que Jésus disait : "A moins que tu ne deviennes comme un petit enfant, tu n'entreras jamais dans la le royaume des cieux."
JK : Si vous deviez résumer votre message à des gens qui ne sont pas familiers avec vos ateliers et vos livres, que diriez-vous ?
DH : Je peux le résumer en 7 mots : "Je ne suis pas ce que je parais être." Je suis le contraire de ce que je parais. Vous avez mon apparence, j'ai ce que je suis. Et ce à partir de quoi je regarde est différent de ce que je vois dans le miroir. Quand je regarde dans le miroir, je vois mon apparence, mais ce à partir de quoi je regarde, c'est l'espace. C'est une différence totale, à tous égards. J'ai l'air d'être une masse solide, mais " ici " je suis transparent : encore une fois, une différence totale. Je donne l'apparence de regarder à partir de deux yeux, alors que " ici " il n'y a qu'un seul œil.
JK : Cette vision est à la fois si simple et si profonde. C'est un paradoxe : elle change tout, sans rien changer en réalité. Il n'y a rien à changer pour voir " Ceci ".
DH : Les choses profondes sont simples. Si ce n'est pas simple, cela ne peut pas être vrai. Mais les choses simples sont difficiles.
JK : Les gens préfèrent les théories compliquées.
DH : L'humanité déteste la simplicité.
JK : La rendre compliquée est une autre façon d'éviter cette vision."