La ruée vers l'ombre, d'Arthur Billerey

Publié le 13 juin 2023 par Francisrichard @francisrichard

D'après la quatrième de couverture, le poète Arthur Billerey révèle, dans ce recueil, à travers son élan poétique les tourments liés à l'éco-anxiété de sa génération.

Ce serait suffisant pour dissuader quiconque de sensé d'ouvrir ce livre. Mais, si les poètes n'ont pas toujours raison sur le fond, ils savent parfois y mettre la forme.

Si la croyance dominante, qui fait fi de l'observation honnête du réel, est qu'il y a des raisons d'être anxieux, il convient de passer outre pour apprécier l'expression.

D'ailleurs le lecteur attentif peut, à raison, se demander si le poète qui semble faire partie des croyants de cette religion, de temps en temps, ne cède pas à l'ironie:

il est écrit dans le journal

qu'il faut changer drastiquement

nos modes de vie nos habitudes

Le titre lui-même, La ruée vers l'ombre, est un clin d'oeil à une autre ruée, celle vers l'or, qui fit beaucoup rêver et qui déçut également nombre de ses participants.  

Il s'agit ici d'une ombre bien particulière, celle qui permet de se protéger contre le réchauffement climatique, dont il est convenu de surestimer les effets et l'exception.

Le poète n'est pas complètement dupe puisqu'il dit:

il a fait chaud comme en quarante

moins les balles et moins les bombes

Il ne voit pourtant pas l'avenir avec sérénité et reprend la sémantique des médias et des politiques:

le futur ce mourant qui nous tisonne

suit à la trace l'empreinte carbone

Jusque dans un propos amoureux:

une lumière en toi quelquefois me malmème

et c'est la fonte de la banquise à mes yeux

Pour se donner bonne conscience, il se dit qu'il appartient au moins au camp du bien:

il y en a qui se la coulent douce

actionnaires d'un océan de ruines

ce qui est aussi une façon de faire

mais qui n'est pas la mienne

Comme dans les religions révélées que cette religion singe et qui sont mises sous le tapis, la culpabilité fait son retour, mais cette fois elle est séculière:

est-ce de ma faute ou de la tienne

si l'eau ne traverse plus les roches

Qui dit culpabilité, dit repentance où l'humour toutefois n'est pas absent:

alors j'ai des comptes à rendre

jusqu'à l'arête de poisson

alors j'ai des comptes à rendre

jusqu'à la cime de l'arbre

comme la forêt vierge

rend la nuit venue quiétude

à chacun de ses singes

Une petite allusion à Éole, la divinité du vent des Anciens, et à l'abandon des énergies fossiles, confirme l'orthodoxie du propos:

on pourrait remplacer le diesel et l'essence

par le vent histoire de laisser nos empreintes

Il est peut-être, cependant, hétérodoxe de dire:

le réchauffement syllabique

le vois-tu venir?

[...]

voilà les mots retransformés

en énergie solaire

la nuit ne peut l'ensevelir

Francis Richard

La ruée vers l'ombre, Arthur Billerey, 96 pages, Editions Empreintes

Recueil précédent aux Éditions de l'Aire:

À l'aube des mouches (2019)